• Aucun résultat trouvé

Coopération et harmonisation en matière financière : la théorie des régimes

Chapitre III Cadre théorique

3.1 Coopération et harmonisation en matière financière : la théorie des régimes

Notre travail vise à préciser le rôle joué par les États-Unis dans le maintien de l’opacité financière internationale. La notion de rôle renvoie nécessairement au comportement des États sur la scène internationale ainsi qu’à la manière dont ils gèrent leur souveraineté. La théorie des régimes apporte une explication à ce qui influence l’État à réglementer un domaine d’activité économique donné. Krasner (1982) établit les fondations de la théorie en définissant un régime, forme d’institution internationale, comme un ensemble de principes, de normes, de règles et de procédures de décision autour desquels les attentes des acteurs convergent dans un domaine donné. En 1984, Keohane démontre l’importance des institutions qui fournissent de l’information aux États, leur permettant ainsi d’atteindre leurs propres objectifs de manière plus efficace, en abaissant les coûts reliés à la coopération (Katzenstein, Krasner et Keohane 1998). Simmons (1987) illustre que les régimes affectent l’État de deux façons : ils modifient

l’univers dans lequel ils interagissent et les intérêts et préférences des acteurs. Du point de vue néolibéral, les régimes favorisent aussi la coopération des acteurs en décourageant la désertion, en augmentant le volume d’information et en réduisant les coûts de transaction (Macleod et al. 2004). Singer, qui s’intéresse à l’harmonisation de la règlementation, indique que selon Kapstein (dans Singer 2004, 543), la coopération peut être le résultat d’une connaissance consensuelle. Dans le cas qui l’intéresse (règlementation bancaire relative aux accords de Bâle), il existait un tel consensus au sein des autorités de règlementation quant à l’existence d’un risque systémique en l’absence de coopération. Ce faisant, Kapstein s’inscrit dans l’approche cognitive de la théorie des régimes qui considère l’importance de l’idéologie, des valeurs et des croyances57.

Dans le cas qui nous intéresse, on constate l’existence d’un régime en matière antiblanchiment dont les normes ne sont pas toutes suivies par les États qui en font partie et de l’absence de régime en matière d’évasion fiscale. Il s’agit donc de savoir ce qui justifie que les États ne coopèrent pas. Simmons (1987) illustre qu’il existe trois possibilités en fonction desquelles il peut y avoir une dissociation entre les règles d’un régime et l’attitude des États. Elle indique que ceci peut se produire lorsque les normes sont non contraignantes, lorsque certains acteurs agissent de manière opportuniste et de manière involontaire lorsque des contraintes politiques empêchent un État de supporter ses engagements internationaux. Pour le régime antiblanchiment, le premier cas de figure s’applique puisque nous sommes en présence de recommandations non contraignantes. La question est donc de déterminer pourquoi les États dérogent des normes du régime. Simmons (2001), qui s’est intéressée à l’influence des régimes sur la règlementation des marchés financiers, développe un modèle selon lequel l’harmonisation est fonction d’un calcul coûts-bénéfices fait par les États. Pour Simmons, les États tentent de maximiser les bénéfices de la coopération et de minimiser les coûts impartis aux groupes politiquement importants.

Ce faisant, Simmons (2001) introduit un élément qui, pour plusieurs, constituait une faiblesse de la théorie des régimes : le fait de ne pas accorder assez d’importance à la politique nationale et à son interaction avec les institutions internationales. Cette critique avait d’ailleurs été soulignée par Simmons (1987), Simmons et Martin (1998), Katzenstein, Keohane et Krasner (1998). Singer (2004) s’inscrit dans cette mouvance lorsqu’il s’intéresse à l’influence de différents acteurs internes en matière de règlementation internationale. Il cherche les motifs qui poussent les autorités de règlementation financières nationales (autorité à qui le législateur délègue des pouvoirs) à rechercher l’harmonisation internationale de leurs politiques58. Se fondant sur les travaux de Grossman et Helpmann, il suppose que le législateur cherche à répondre aux demandes des firmes (principaux contributeurs aux campagnes électorales) et à mettre en place des politiques qui bénéficient à l’électorat en général (Singer 2004, 536). Une agence de règlementation n’aurait d’autre choix, selon l’auteur, que de tenir compte des préférences du législateur de manière à éviter que celui-ci n’intervienne directement en légiférant (plutôt que de laisser l’agence de règlementation règlementer)59. Partant de l’importance de la politique nationale, Putnam (1993) tente lui aussi de rallier les niveaux national et international avec la théorie des jeux à deux niveaux. Celle-ci se présente ainsi :

58. Il développe un modèle qu’il vérifie dans deux analyses de cas, soit les accords de Bâle (1988), ainsi que les négociations sur la suffisance des fonds propres (ratio capital/risque) ayant eu lieu au sein de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) entre 1988 et 1992.

59. Appliquant un calcul d’utilité, les agences de règlementation tiendraient compte, selon l’auteur, de deux éléments, soit la confiance envers la règlementation et la compétitivité des entreprises nationales. D’un côté de la balance, les législateurs interviennent, de l’autre survient un problème de compétitivité et entre les deux se situe la zone d’intervention des organes de règlementation que l’auteur qualifie de « formule gagnante » (Singer 2004, 537). Contrairement au législateur, la règlementation est le seul outil dont disposent les agences de règlementation. L’hypothèse proposée par l’auteur est que les agences de règlementation sont plus susceptibles de rechercher l’harmonisation internationale lorsqu’un choc exogène tend à réduire l’étendue de la formule gagnante (c’est-à-dire lorsqu’un choc vient affecter la confiance des marchés, appelant les agences de règlementation à intervenir, mais qu’une intervention risquerait de réduire la compétitivité des entreprises réglementées). Devant les pressions des groupes nationaux, les agences de réglementation se voient alors forcées de rechercher l’harmonisation internationale, puisque celle-ci permet d’éviter de désavantager les entreprises locales puisque leurs rivales étrangères sont aussi règlementées (Singer 2004, 542). L’auteur suppose que l’harmonisation provient en majorité des agences de règlementation, ajoutant que celles-ci sont plus disposées à intervenir lorsque les entreprises locales subissent la concurrence de firmes étrangères, et lorsque la confiance dans le système financier est à la baisse.

Au niveau national, les [différents] groupes [de pression] font pression sur le gouvernement pour qu’il adopte des politiques favorables à leurs intérêts et les politiciens recherchent le pouvoir en forgeant des coalitions au sein de ces groupes de pression. Au niveau international, les gouvernements nationaux cherchent à maximiser leur capacité à satisfaire les groupes de pression, tout en minimisant les conséquences négatives des développements ayant lieu à l’extérieur du pays. Aucun des deux niveaux ne peut être ignoré par ceux qui prennent des décisions, tant que leurs pays demeurent interdépendants, mais souverains (traduction libre, Putnam 1993, 436).

Au niveau I (international), les négociateurs tentent d’obtenir des accords et au niveau II (national), les différents groupes nationaux discutent de l’utilité de ratifier un accord. Une formule gagnante de niveau II est un ensemble dont l’étendue représente la possibilité qu’une négociation de niveau I soit acceptée. Pour Putnam, la taille de cet ensemble dépend de la relation entre les acteurs de niveau II (distribution des pouvoirs entre ces acteurs, les coalitions qu’ils forment et leurs préférences), les institutions politiques du niveau II (indépendance de l’exécutif, procédures, etc.) et les stratégies des négociateurs au niveau I (Putnam 1993, 443-450).

La théorie des régimes a été appliquée à la lutte contre le blanchiment des capitaux. Tsingou (2010) démontre que le régime antiblanchiment suit trois modèles : transfert de modèles de règlementation du niveau mondial au régional, pression du bas (national ou régional) vers le haut (mondial) et diffusion horizontale. Ainsi, l’évolution de la théorie des régimes appelle à porter une attention particulière à l’importance des acteurs internes, nous amenant à étudier ce qui, au niveau national, pousse les États-Unis à favoriser l’opacité financière.

3.2 Coopération multilatérale difficile : la théorie des jeux non