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La concurrence fiscale comme avantage comparatif

Chapitre II État des travaux

2.4 La concurrence fiscale comme avantage comparatif

Les États occidentaux tirent profit des structures opaques de la finance internationale offertes par les CFE. Les auteurs que nous avons cités précédemment ont démontré que ceux-ci se sont développés avec l’aval des pays occidentaux. Pour Godefroy et Lascoumes (2004), ces centres font d’ailleurs aujourd’hui partie intégrante de la finance internationale. Il semblerait aussi que la volonté d’attirer des investissements étrangers a servi d’incitatif à un allégement des lois fiscales américaines.

Quelques fiscalistes observent la passivité du législateur en matière d’évitement fiscal (Lareau 2000; Alepin 2004, Deblock et Rioux 2008). Ils affirment que l’État peut percevoir l’évitement fiscal comme une façon d’accorder un avantage comparatif aux entreprises nationales. Il en résulte donc une concurrence fiscale qui, selon Deblock et Rioux (2008), a facilité l’évasion fiscale, poussé les gouvernements à baisser les taux d’imposition des bénéfices des sociétés et fait de la fiscalité l’un des critères de décision

des investisseurs. Pour Palan (2002), il s’agit là d’une stratégie rationnelle des États qui commercialisent leur souveraineté en cherchant à maximiser leurs bénéfices. Dans la même optique, Zagaris démontre qu’un ensemble de membres de l’OCDE dérogent aux normes préconisées par l’initiative de lutte à la concurrence fiscale dommageable (notamment parce que cette initiative ne fait pas l’unanimité). La motivation du législateur, dans ce cas, viendrait de la volonté d’attirer les investissements étrangers.

Pour illustrer cette réalité, Spencer et Sharman (2006b) et Langer (2000) utilisent l’exemple de l’intérêt sur les dépôts bancaires des non-résidents que nous avons expliqué précédemment54. Selon Langer, ce sont les lobbies d’affaires qui ont joué un rôle dans le maintien de cette exemption fiscale :

Les lobbies des banques, des associations de caisses d’épargnes et d’institutions de prêts et des compagnies d’assurance se sont ensuite mis au travail. Le rapport de la conférence a fait suite au projet de loi de la Chambre des représentants et le Tax Reform Act de 1976 a rendu l’exemption permanente (traduction libre, Langer 2000, 4).

L’argument avancé pour maintenir ce régime fiscal était alors qu’aucune banque ne pouvait survivre à une perte de ses dépôts dans la courte période suivant un changement de règlementation : les membres du Congrès américain supposaient alors que l’imposition des dépôts bancaires des étrangers les ferait fuir hors des États-Unis.

Il semble que les États-Unis aient joué un rôle décisif dans la défense de la concurrence fiscale55. Le gouvernement républicain de Bush a mis de côté toute tentative d’harmonisation fiscale à l’OCDE pour se concentrer uniquement sur les questions d’échange d’information (Godefroy et Lascoumes, 2004, 144). C’est ce que suggèrent

54. Outre les dépôts bancaires, Langer (2000, 4) montre que l’intérêt sur les obligations gouvernementales, les notes et coupons du Trésor, sur plusieurs obligations de société ainsi que sur les gains en capitaux à court terme (par exemple ceux issus de la spéculation sur séance) ne sont pas taxés lorsque détenus par des étrangers.

55. À ce sujet, Sullivan (2007) et Sharman (2006) montrent comment l’administration Bush s’est distinguée de l’administration Clinton qui était un leader au sein de l’OCDE au moment de sa tentative d’encadrer les pratiques fiscales dommageables.

Deblock et Rioux en citant une déclaration de mai 2001 faite par le secrétaire au Trésor américain56 :

Les États-Unis n’ont aucun intérêt à étouffer la concurrence qui force les gouvernements, tout comme les entreprises à l’efficacité. [...] Le travail de cette initiative de l’OCDE devrait être recentré sur ce qui constitue notre objectif commun : la nécessité pour les pays d’obtenir de l’information spécifique sur demande de la part d’autres pays de manière à prévenir l’évasion fiscale illégale par la minorité malhonnête. (traduction libre, Deblock et Rioux 2008, 33).

Deblock et Rioux (2008) montrent aussi que sur la scène internationale, les efforts visant à s’attaquer à la coordination des politiques fiscales ont été vite découragés. La Commission Zedillo, mise sur pied pour la Conférence internationale de Monterrey (2002) sur le financement du développement, proposait ainsi de créer une nouvelle organisation dans le domaine de la fiscalité. L’organisation aurait eu pour objectif, entre autres, de réduire la fraude et l’évasion fiscale et de discipliner la concurrence fiscale (Deblock et Rioux 2008). Cependant, les auteurs révèlent que la proposition, qualifiée d’erreur dans un rapport des Nations Unies rédigé par Sachs (2005), a rapidement été mise de côté par la communauté internationale. Kudrle (2008, 10-11) montre que les paradis fiscaux ont aussi saboté l’harmonisation fiscale. Citant Avi-Yonah, Kudrle indique que les juridictions peu regardantes attirent ceux qui se livrent à l’évasion fiscale, au détriment de celles qui coopèrent, récompensant ainsi les délinquants. Par cette affirmation, le juriste explique ce qui rend la coopération difficile de la part des paradis fiscaux et rappelle qu’ils ont aussi leur part de responsabilité.

Ainsi, il a été démontré que les lois fiscales ont souvent été allégées, a priori, pour faciliter l’investissement étranger. De plus, l’importance accordée à la concurrence fiscale semble avoir encouragé les États à bloquer des initiatives dont l’objectif était de réduire l’évasion fiscale. Notre hypothèse est que la concurrence fiscale sert d’argument (en plus de la volonté d’attirer des investissements) justifiant des pratiques d’opacité. Ces études semblent donc appuyer notre hypothèse. Portons maintenant notre attention

56. Webb (2004, 815) démontre aussi comment l’administration Bush avec en tête le secrétaire du Trésor Paul O’Neil a fait pression sur l’OCDE pour qu’elle abandonne l’initiative d’une harmonisation fiscale.

sur les différents acteurs qui cherchent à influencer les États-Unis dans le développement de leur position.

2.5 Les acteurs impliqués dans le débat sur la règlementation