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Une pluralité de méthodes de recueil des données

Dans le document La dimension spatiale de la violence conjugale (Page 128-136)

PARTIE II DISPOSITIF DE RECHERCHE, PRÉSENTATION ET

Chapitre 3. Dispositif de recherche

3.4. Le dispositif de recherche

3.4.3. Une pluralité de méthodes de recueil des données

De la collaboration entre « Parle avec elles » et l’association Radio Campus FM, est née la création d’un projet de Radio à Toulouse nommé « Radio Basta ». Le cœur de ce projet repose sur l’utilisation de l’outil radiophonique par les habitantes du quartier pour qu'elles deviennent actrices dans la dénonciation des inégalités femmes/hommes. Il prend la forme d’émissions de radio sur la vie des habitantes du quartier. Dans le cadre de ces émissions, une série de portraits de femmes a été réalisée, relatant l’expérience qu’elles ont dans les espaces publics.

3.4.3. Une pluralité de méthodes de recueil des données

3.4.3.1. Les groupes de parole et les entretiens semi-directifs37

J’ai commencé mon dispositif de recueil des données par la mise en place de deux groupes de discussion – le premier au sein de DCDF.31 et le deuxième au sein de l’Apiaf. Chacun d’eux a eu une durée d’environ 1h15 et a regroupé au total une trentaine des femmes. Leur profil est celui des femmes accompagnées par les deux associations. Aucune variable discriminante n’a été retenue. Toutes ces femmes étaient déjà inscrites dans une logique de participation aux groupes de parole organisés par ces associations. Elles se connaissaient entre elles, ce qui a facilité l’organisation et l’animation de l’activité. Par ailleurs, les discussions ont été coanimées par des professionnelles habituées aux groupes de parole, ce qui a rendu proprice un climat de confiance favorable à la discussion. L’avantage de cette méthode réside dans le fait que le groupe permet d’envisager les énonciations individuelles dans un contexte dialogique. C’est ainsi que les femmes, en échangeant et en mettant en dialogue leurs vécus respectifs, parvenaient à transcender l’individuel pour saisir un contexte plus global. C’est par ce dialogue, par cette mise en perspective de l’individuel, que l’expérience commune du vécu de la violence conjugale peut émerger et créer une parole collective.Nous nous sommes appuyées sur les grilles suivantes pour alimenter l’échange entre les femmes.

37 Etant donné la nécessité, et le souhait des femmes interviewées, de préserver leur anonymat, les fichiers audio concernant les entretiens individuels ne sont pas transmis dans les annexes.

Figure 13. Guide d’animation des groupes de discussion (Expériences dans les espaces extérieurs au domicile)

Figure 14. Guide d’animation des groupes de discussion (Expériences dans les espaces du domicile)

Dans les groupes de discussion – tout comme dans les entretiens individuels –, j’ai porté un intérêt particulier au récit diachronique. Autrement dit, j’ai veillé à produire des récits qui retracent les débuts de la vie en couple et s’étalent jusqu’à la séparation. C’est à partir de cette trajectoire de vie conjugale que les rapports aux espaces ont pu être saisis.

Dans un deuxième temps, j’ai proposé à certaines femmes ayant participé aux groupes de parole d’approfondir leur récit à l’aide d’entretiens semi-directifs individuels. Sept entretiens

ont ainsi été réalisés. Ils ont pris appui sur la même grille utilisée pour les groupes de parole. Toutes les femmes contactées avaient comme point commun le fait d’avoir déjà un certain recul sur l’expérience vécue. Étant donné que le sujet abordé a forcément une résonance avec les souffrances vécues, il était nécessaire d’éviter de mettre les femmes en situation de vulnérabilité. Ainsi, toutes avaient bénéficié d’un accompagnement à l’Apiaf et, de ce fait, avaient engagé un travail de résilience, ce pourquoi nous avons estimé qu’elles pouvaient élaborer un récit avec distance et une certaine perspective. L’ensemble des entretiens a été réalisé dans les locaux de l’Apiaf. En effet, les femmes connaissaient ce lieu et y avaient tissé un rapport de confiance, ce qui était bénéfique pour instaurer une ambiance détendue et propice à l’échange. Étant donné que les entretiens se déroulaient dans un temps restreint et que, malgré la distance qu’elles avaient construite avec l’expérience de la violence, le sujet pouvait réactiver des souffrances encore présentes, il était judicieux qu’ils se déroulent dans ce cadre familier et sécurisant.

La logique des entretiens semi-directifs s’appuie sur le point de vue individuel. En partant d’un « je », les entretiens permettent la description et la formulation d’un récit fondé sur un vécu singulier et unique. Ce sont ces récits qui, en s’accumulant, permettent de mesurer leur rapprochement mais aussi leur caractère inédit et non reproductible. Les entretiens individuels sont subjectifs, linéaires, diachroniques ; ils prennent racine dans le passé pour ensuite relater la trajectoire prise par la vie en couple. Ils rendent compte de l’expérience de violence vécue et de son impact sur les activités, sur les fréquentations ainsi que sur les espaces occupés et utilisés par les femmes.

Mais la nature et la teneur des propos sont influencés par la situation d’échange duelle intrinsèque à l’entretien. Alors que les femmes rencontrées ont laissé la violence derrière elles et ont entamé une démarche d’autonomisation, elles gardent néanmoins souvent des blessures narcissiques, des traumas, et continuent de gérer des problèmes non encore résolus. La place centrale qui leur est donnée par la situation d’entretien peut les conduire à élaborer un récit leur permettant de se « libérer » des effets traumatiques encore latents. Les entretiens ont eu cet effet cathartique que je n’avais pas d’emblée mesurée. Il a donc été nécessaire de porter une attention particulière à la direction prise par les récits. Pour ce faire, j’ai veillé, à travers l’échange et les relances, à éviter toute mise en « errance » des propos et de « canaliser » si besoin la discussion.

Comme je l’ai évoqué précédement, j’ai pris appui sur la grille utilisée pour les groupes de disucssion. Ainsi, les entretiens se sont structurés en deux sous-thèmes principaux : les espaces publics et les espaces du domicile. Je proposais un de ces thèmes puis je laissais à la femme l’élaboration de son propre récit. Par ma présence, je veillais à ce que la discussion reste dans

les limites fixées par le cadre de l’échange et par le fil conducteur de mon sujet d’étude. Une fois les entretiens réalisés, j’ai procédé à leur retranscription. Celle-ci s’est faite mot par mot sans prendre en compte les silences ou les onomatopées. Je suis restée attachée aux dires exprimés tels qu’ils ont été livrés.

Les contenus des groupes de parole et des entretiens semi-directifs individuels ont été ensuite complétés par deux ateliers de cartographie. Un premier atelier nommé « Cartographie subjective » a été effectué à l’Apiaf ; un deuxième atelier, « Itinéraires de la vie quotidienne », a été réalisé à DCDF.31. Ces ateliers ont été animés auprès de deux groupes de femmes n’ayant participé ni aux groupes de parole, ni aux entretiens individuels. Le premier groupe a rassemblé 4 femmes accompagnées par l’Apiaf ; le deuxième groupe a été composé de 5 femmes accompagnées par DCDF.31.

Dans le point suivant j’explique en détail ces outils.

3.4.3.2. Les ateliers de cartographie

Une carte c’est la représentation d’un espace. Elle ne se veut pas sa copie conforme mais son interprétation.

3.4.3.2.1. La « cartographie subjective »

Par cette cartographie, les femmes, en se situant dans le contexte de la conjugalité, représentaient les ressentis qu’elles éprouvaient dans les différents espaces de leur vie quotidienne (à l’extérieur comme à l’intérieur du domicile). Les objectifs étaient de rendre visibles les ressentis et d’identifier les pratiques spatiales pendant la vie en couple. Pour représenter les ressentis, elles ont utilisé des émoticônes. Pour les choisir, avec des membres de l’Apiaf, nous nous sommes inspirées des dires des femmes lors des entretiens. En partant de cette idée, nous avons ensuite travaillé la légende. Ainsi, nous avons retenu six émotions : la sécurité, le bien-être, le repos, la frustration, la peur et la tristesse. Ensuite, nous avons choisi des gommettes rouges pour exprimer les actes d’hostilité ou tout acte ressenti comme violent. Quatre gommettes représentaient les personnes se trouvant dans le lieu (seule, en couple, en famille, avec des personnes extérieures telles qu’ami·es, voisin·es, famille élargie ou autres). Nous disposions également de différentes gommettes pour représenter les lieux fréquentés tels que commerces, hôpitaux, écoles, administration… Une légende permettait de lire la signification de chaque image.

Figure 15. « Cartographie subjective » – Légende des émoticônes, images et gommettes proposés

En dehors de cette légende, d’autres gommettes étaient aussi à disposition des femmes pour caractériser les modes de déplacements (bus/métro, vélo, voiture à pied). Par ailleurs, des crayons de différentes couleurs pouvaient être utilisés pour personnaliser certains aspects de la carte. En dernier lieu, nous avons donné la consigne de signifier, par des lignes de différentes épaisseurs, la fréquence de différents déplacements pour identifier ainsi ceux qui sont les plus effectués dans leur vie quotidienne.

Lors de la présentation de notre outil, nous avons pris un temps pour que les femmes se familiarisent avec les images et puissent les commenter. Conscientes à la fois de l’importance d’exprimer de la manière la plus libre possible les rapports aux espaces, et de s’accorder sur

des symboles communs pour qu’une lecture univoque puisse en être faite, nous avons souhaité que la légende soit un guide mais sans qu’elle limite la représentation des éléments que les femmes jugeraient importants. C’est pourquoi nous avons expliqué qu’elles pouvaient rajouter des dessins, écrire, ou transformer les gommettes et les émoticônes si elles l’estimaient nécessaire.

3.4.3.2.1. Les « Itinéraires de la vie quotidienne » 38

Cette cartographie était davantage centrée sur les types de déplacements effectués à l’extérieur du domicile. Les femmes ont représenté deux cartes. Dans la première, elles rendaient visibles le nombre et la nature des sorties en prenant comme référence un jour-type de leur quotidien en couple. Dans la deuxième carte, elles se situaient après la séparation. Ce faisant, nous pouvions voir les écarts des pratiques spatiales susceptibles d’exister pendant après la vie en couple. L’objectif était de rendre visibles les effets de la vie en couple sur les types de déplacement et, en conséquence, sur les espaces occupés, et ceci à une échelle territoriale allant du plus proche du domicile au plus éloigné. Ainsi, nous avons considéré les espaces intermédiaires (situés à la frontière entre l’espace public et privé), les espaces de proximité (situés entre 5 mn et 10 mn à pied du domicile) et ceux qui sont le plus éloignés (situés à plus de 10 mn à pied).

Figure 16. « Itinéraires de la vie quotidienne » – Les différents espaces

Déroulement de l’activité : Nous avons pris comme support une feuille qui représente les trois échelles territoriales mentionnées ci-dessus.

38 Pour la mise en place de cet atelier, je me suis inspirée du Guide « Espacios de la vida cotidiana » de l’auteure Adriana Cicoletto, publié par la coopérative Catalane Col-lectiu Punt 6.

Ensuite, à l’aide de symboles, nous y avons représenté l’ensemble des activités que les partenaires féminines effectuaient pour satisfaire les besoins de leur quotidien. Ces activités se divisent en cinq sphères :

Figure 17. « Itinéraires de la vie quotidienne » – Symboles proposés pour représenter les activités de la vie quotidienne

Nous avons relié chaque sphère d’une manière chronologique : (1•Premier déplacement, 2•Deuxième déplacement…). Il était possible d’intégrer d’autres symboles pour apporter des informations supplémentaires (par exemple : utilisation ou non des moyens de transport [bus, métro, voiture…] ; présence du téléphone dans les déplacements ou les activités…).

Figure 18. « Itinéraires de la vie quotidienne » – Chronologie des déplacements entre les différents espaces

Nous avons complété les informations de cette cartographie « Itinéraires de la vie quotidienne » par une matrice appelée « Matrice des espaces sécures/insécures ». Par cet outil,

nous invitions les femmes à compléter ou à apporter des informations supplémentaires concernant ce qu’elles avaient représenté dans la cartographie précédente.

Figure 19. « Itinéraires de la vie quotidienne » – Matrice des espaces sécures/insécures

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