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La place d’une femme est à la maison…

Dans le document La dimension spatiale de la violence conjugale (Page 143-147)

PARTIE II DISPOSITIF DE RECHERCHE, PRÉSENTATION ET

Chapitre 4. La dimension spatiale de la violence conjugale

4.1. Avant la vie en couple : un rapport aux espaces conditionné par le sexisme de rue

4.1.1. La place d’une femme est à la maison…

Dans la table ronde organisée à Toulouse à l’occasion de la Journée du 8 mars 2019 sur le thème « Femmes et espaces publics », certaines associations partagent le constat que, dans les quartiers concernés par la politique de la ville, l’usage que les femmes font de l’espace diverge de celui des hommes. Ainsi, selon les dires d’une professionnelle de l’association « Parle avec elles », les habitantes du quartier de la R*, à Toulouse, circulent et se déplacent d’un point à un autre sans rester longtemps dans les espaces.

« Sur la R*, on ne dit pas que les femmes ne sont pas présentes, mais effectivement sur… sur une journée on peut voir les mouvements et les déplacements et que ce sont des mouvements assez masculins et que les femmes sont beaucoup plus en déplacement rapide et donc elles n’investissent pas l’espace public sur des temps un peu plus longs » (« Parle

avec elles » – Extrait table ronde « Femmes et espaces publics », Toulouse, 8 mars 2019)

Cette observation coïncide avec celle d’autres associations implantées dans d’autres quartiers populaires. Ainsi, par exemple, l’association FFPE (Fédération des Femmes pour l’Europe) explique, lors d’une réunion préparatoire à une marche exploratoire dans le quartier de LG* à Toulouse, que le sentiment d’insécurité évoqué par les femmes motivait chez elles des déplacements rapides et l’évitement de certains lieux.

« Au cours de la discussion, certaines femmes se sont rendu compte qu’elles vivent et circulent différemment dans l’espace public à cause d’un sentiment d’insécurité plus élevé que celui des hommes. Leur expertise de la sécurité et le regard différent qu’elles portent sur leur environnement urbain semble donc inconscients. La plupart d’entre-elles ont “avoué” éviter certains lieux, ne pas se sentir à l’aise à certains endroits (du fait d’espaces négligés, sales), ne pas sortir le soir après une certaine heure, marcher plus vite, etc. »

(FFPE – Extrait table ronde « Femmes et espaces publics », Toulouse, 8 mars 2019)

Les dires des femmes interviewées par l’émission de radio « Radio Basta » sur leur rapport aux espaces publics au sein du quartier La R* indiquent que les représentations à l’œuvre opèrent une division genrée des espaces, attribuant aux femmes ceux de la maison. Ainsi, bien que les espaces publics appartiennent à tout le monde, ils comportent une forte empreinte masculine.

« Pour moi la rue est à tout le monde quoi, on vit dans un monde moderne. Ça c’est sûr qu’il y a des mentalités qui sont un petit peu fermées dans le quartier, où la femme doit rester à la maison, c’est les hommes qui sont dehors, c’est bien de casser justement ces étiquettes-là. La rue appartient à tout le monde. » (PAD_n°02_Mme_SB _Portrait de

femmes _ Nuit de créatrices _ 2018)

Cette assignation motive, chez les femmes, des sorties en lien avec les tâches relatives à l’univers domestique. C’est lors de ces sorties qu’elles se rendent visibles à l’extérieur. Tel est le cas par exemple des allers-retours à l’école, mais aussi de tout type de déplacements qu’elles font en compagnie des enfants, des sorties au marché etc. Cependant, ces sorties s’inscrivent dans une temporalité très ritualisée et quotidienne ; elles ne s’improvisent pas, ni ne sont spontanées. Ainsi, par exemple, les sorties au marché ont lieu certains jours de la semaine et à certaines heures. Une fois que le marché se termine, la présence des femmes à l’extérieur diminue. Il en va de même pour les autres types de déplacements. La présence des femmes à l’extérieur augmente quand il s’agit d’emmener les enfants à l’école et d’aller les chercher. En dehors de ces moments, la présence des femmes à l’extérieur devient plus discrète. D’autre part, à la différence des hommes, les femmes ont la sensation de n’avoir pas d’espaces où elles peuvent aller pendant leur temps libre pour s‘y poser en toute tranquillité. Elles font le constat que les terrasses de café sont fréquentées majoritairement par les hommes. La forte présence masculine dans ces endroits dissuade les femmes de les utiliser.

« Mais en fait l’espace public j’ai l’impression que là, à ce moment, c’est plus pris – surtout la place –, c’est plus pris par les hommes que les femmes, parce qu’en fait il y a pas des lieux vraiment où les femmes peuvent se retrouver, donc il y a les cafés donc c’est que les hommes… même les centres comm… juste pour acheter ; en fait les femmes vont juste là pour acheter, et les jours du marché oui, ça c’est sûr qu’il y a beaucoup des femmes ça c’est… même plus que d’hommes, mais voilà, en fait… mais après c’est vrai que ça n’a pas trop changé hein, non. » (PAD_n°07_Mme HA _ Portrait de femmes _ Nuit des Créatrices

_ 2018)

Les femmes font le choix de fréquenter ou non certains lieux selon la présence de critères qu’elles estiment souhaitables ou, a contrario, inacceptables (Di Méo, 2012). Ainsi, la sensibilité éprouvée à l’égard d’une certaine ambiance urbaine considérée comme inacceptable réduit l’attractivité et la fréquentation de certains lieux. Certaines propositions viennent l’illustrer, comme l’existence d’une ambiance misogyne, l’absence de cafés, de « belles » terrasses… les critères de beauté et de civilité apparaissent ainsi comme des éléments qui comptent dans la décision d’occuper certains lieux. Ces critères tracent une sorte « d’idéologie urbaine » (Di Méo, 2012) qui valorise certains attributs et en proscrit d’autres, venant par-là

ériger de véritables cartographies mentales qui vont guider les pratiques spatiales des femmes. Ceci est illustré par les dires d’une membre de l’association « Partage », lors de sa participation à la table ronde du 8 mars 2019 :

« Je reviens sur l’occupation de l’espace public. Effectivement c’est un… pour nous c’est un drame. Moi je suis très sceptique sur ce côté-là, parce que je trouve dramatique que dans les quartiers, je parle essentiellement du GM*, les personnes ne s’autorisent pas, je parle d’autorisation parce qu’il n’y a pas d’interdiction d’occuper l’espace public, bien sûr pour les femmes, mais on ne s’autorise pas parce qu’il y a des interdictions, des mots qui se disent par des jeunes et des moins jeunes, par des misogynes qui font comme un contrôle social, une pression publique vis-à-vis des femmes de ne pas s’autoriser à se poser sur l’espace public et à l’occuper, culturellement, socialement, économiquement, etc. Et je continuerai sur un autre aspect qui me paraît aussi inquiétant, c’est le fait qu’il n’y ait pas de cafés dignes de ce nom. Sur le GM*, il n’y a pas de bar café digne de ce nom. Il y a le

[…] qui est le seul, et encore on s’inquiète parce que la vente d’alcool a été arrêtée depuis

deux mois. Mais aucun autre bar digne de ce nom avec une terrasse bien jolie où les gens peuvent se poser et les femmes peuvent se poser. Moi c’est un truc qui effectivement m’inquiète beaucoup.

Ça s’enferme de plus en plus. Je ne veux pas être négativiste mais il y a pas mal d’activités culturelles qui sont sur le territoire, c’est très riche où les gens viennent d’une façon mixte sur les activités. Mais quand ce sont des activités fermées sur l’espace public d’une personne libre, moi ça me questionne. » (Association « Partage » – Extrait table ronde les

femmes et espaces publics. Toulouse, 8 mars 2019)

D’autre part, sans pour autant relever de la misogynie, certaines attitudes et comportements chez les hommes créent une ambiance d’agressivité qui génère comme conséquence une territorialisation masculine des lieux. Cette ambiance est provoquée par des comportements qui sont rattachés à certains termes comme « saleté », « bruit », « monopolisation de l’espace » et qui renvoient à un modèle de virilité contraire à un véritable partage et à une cohabitation dans l’espace public.

« Il y a ça et il y a d'autres choses, juste pour témoigner. C'est… l'agressivité que l'on ressent, ça n'est pas que dans le fait que c'est occupé que par des hommes. Ça c'est déjà agressif je trouve. Mais moi j'ai envie de jouer des coudes pour dire “Je vais m'y asseoir.” Mais on a envie de moins en moins de s'y asseoir.

Mais c'est aussi la posture des hommes. Parler fort… Moi, ce matin j'ai fait un peu l'exemple. Je jongle entre les crachats. L'usage de l'espace public c'est ça aussi. Je me dis : “Mince alors”. Les hommes crachent beaucoup. Je ne vois pas les femmes cracher. Les hommes pissent beaucoup. Est-ce que les femmes font pipi ?

Autre chose que j'observe, car moi j'aime bien observer, c'est je m'assois dans le métro. Il y a deux petites places. Je prends la place et je vois des hommes assis comme ça, et les femmes assises comme ça. Moi je dis “Monsieur, je n'ai pas beaucoup de place, est-ce que vous pouvez serrer un peu vos jambes ?” Ouh là, ça a été compliqué. Et les femmes se marraient en face de moi. Je veux dire, l'usage public il est dans toute cette dimension. Le droit de l'espace public, de l'usage des femmes et des hommes à égalité, il n'est pas égalitaire. Donc c'est vraiment sur ces questions-là qu'il faut qu'on se pose. Ce n'est pas que dans notre petit quartier. C'est tout ça qu'il faut ouvrir, c'est cette réflexion là et cette évolution-là. » (Intervenante – Extrait table ronde « Femmes et espaces publics ».

Toulouse, 8 mars 2019)

Que ce soit l’assignation aux tâches qui relèvent de l’univers domestique, ou bien les comportements misogynes, ou encore l’ambiance d’agressivité ressentie dans certains lieux, etc., ces facteurs tracent une configuration spatiale des espaces publics. Ils produisent une territorialisation des espaces au bénéfice des hommes et, en conséquence, une sexuation spatiale sous forme d’opposition. Cette sexuation entrave la possibilité d’une réelle mixité dans les espaces de la ville. En effet, bien que le terme mixité soit flou et ses contours imprécis, son sens étymologique, dérivé du terme « mixtus », nous permet de connecter la signification de ce terme à celui de « mélange ». Ainsi, la mixité serait le résultat de mélange d’éléments de caractères différents. Autrement dit, la mixité serait le produit de la cohabitation (dans le sens donné au terme « habiter » dans la première partie) d’éléments divers. Or, dans le sujet qui nous occupe, nous pouvons voir que la coprésence qui peut exister à certains moments ne relève pas d’une mixité, d’une cohabitation. La coprésence n’est pas un gage de mixité. Il peut y avoir une coprésence en même temps qu’une ségrégation spatiale entre les genres. Cette ségrégation entraîne, chez les femmes, le développement de pratiques tournées vers l’intérieur. Surtout à partir d’une certaine heure.

4.1.2. …surtout à partir d’une certaine heure

La masculinisation des espaces publics augmente et est plus flagrante au fur et à mesure que la nuit approche. C’est alors que la possibilité d’être dehors se voit compromise par une régulation sociale. En prenant la forme d’une ambiance d’insécurité, elle fonctionne comme un « couvre-feu » qui renforce l’évincement des femmes de l’extérieur. Les parents et la famille élargie régulent la présence des jeunes filles à l’extérieur, mais ce sont souvent les mères qui transmettent à leurs filles des stratégies pour « composer » avec ces régulations sociales afin qu’elles apprennent à « faire avec ».

« Ici et maintenant la rue est à nous ? je crois qu’elle n’est pas à nous hein, je ne pense pas hein. Après, c’est vrai que nous, dans le quartier, c’est vrai que c’est pas pareil, moi… je… parce qu’on est dans le quartier hein, nous c’est vrai que c’est difficile pour une femme. Par exemple il y a certaines heures par exemple, ici, où c’est difficile pour une femme d’aller par exemple sur la place. À dix-neuf heures par exemple, c’est blindé d’hommes, et c’est vrai qu’une femme qui va à dix-neuf heures acheter du pain, c’est un peu mal vu, enfin moi personnellement je vais acheter le pain à dix-neuf heures hein, je ne regarde pas le regard des gens mais beaucoup de femmes nous disent que voilà qu’elles n’osent pas aller à la place vers dix-neuf heures ou vingt heures parce qu’il y trop d’hommes ou par exemple c’est même pas compliqué. Je vais donner juste une anecdote, ma fille à moi par exemple, même en pleine après-midi elle ne passera pas sur la place parce qu’il y a beaucoup de jeunes, voilà, donc… et souvent les filles sont… voilà… sont…si elles sont habillées juste normales, elles peuvent être insultées, elles peuvent être… après moi comme je l’ai expliqué à mes filles, je dis : “faut pas regarder le regard des gens, vous avancez, point”. Après, moi j’ai un tempérament assez vif donc… j’ai peur de rien donc… moi, je vais aller acheter mon pain à dix-neuf heures, je vais aller l’acheter, il y a personne qui va me l’imposer mais c’est vrai que beaucoup de femmes ont du mal à aller sur la place. » (PAD_n°05_Mme_Dj2_Portrait de femmes _ Nuit de créatrices_2018)

Comme le montre cet extrait, afin de prévenir des situations gênantes, l’on apprend aux filles à adopter une attitude de contournement et d’évitement des interactions visuelles avec certaines personnes. L’adoption d’une attitude de soumission est ainsi apprise. De même, la tenue vestimentaire fait aussi l’objet d’une régulation sociale.

4.1.3. La régulation sociale de la tenue vestimentaire et les modalités adoptées

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