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Une pièce de tissu,

Les habits sont des fils de coton qui une fois raffinés, maillés, tissés deviennent du tissu. Ces rouleaux de tissu qui une fois imprimé de motifs par de lourds tampons, brodés et découpés deviennent des morceaux de tissu. Ces morceaux de tissu deviennent habits lorsque, passés entre les mains du tailleur, ils en prennent les formes.

Dans le marché de textile entre Gandhi Road et Jami Masjid, les ruelles sont envahies par les rouleaux de tissu. Les sarees suspendus en hauteur sont des vitrines aussi bien que des auvents. Impossible de trouver une chemise ou un pantalon mais nombreux sont les cintres soutenant deux morceaux de tissus distinct. L’un d’un mètre soixante sur un mètre cinquante deviendra pantalon. Le second de deux mètres cinquante sur soixante-quinze centimètres deviendra chemise. Leur couleur ne semble pas toujours associée pertinemment mais on ne discute pas les goûts et les couleurs. D’autres supportent trois pièces de tissu de dimensions et épaisseurs différentes. Elles deviendront écharpe, sarwel et kamiz. Des magasins dont l’enseigne contient souvent le terme « Matching » sont remplis de rouleaux plats de tissu, tapissant les murs de toutes les nuances de couleurs. C’est ici que viennent les femmes pour trouver la couleur de la blouse qui s’accordera le mieux avec les couleurs dominantes de leur nouveau saree.

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Le Gujari Bazaar est un grand marché qui rassemble tous les dimanches les vendeurs d’Ahmedabad. Il s’étend depuis plus de six siècles au bord de la Sabarmati que le River Front project sépare à mesure que les travaux avancent. On y trouve tout. Le marché aux animaux est reclus sous Elis Bridge. Les poulets encadrés par les coqs s’égosillent à coté d’un troupeau de chèvres loin d’être impressionné par ce tapage diurne. Dans cette foule d’hommes, quelqu’un sort avec un cabri dans les bras ou une chèvre tenue par une épaisse corde. Les vendeurs de produits neufs sont installés au plus près de la Sabarmati tandis que les chiffoniers se répartissent le parking exhibant des tas informes de montres hors d’usages, de chaussures éventrées et de fils électriques noircis par la poussière. Viennent plus loin les menuisiers vendant leurs cadres de lit accompagné des vendeurs de cordes et de sangles qui servent à tresser les matelas. Les vendeurs d’antiquités se mêlent aux vendeurs d’haltères et d’outils rouillés. Les vendeurs de karts neufs sont installés à l’opposé de la rivière. En fin de parcours, les vendeurs d’électronique, de montres neuves et de montures de lunettes se partagent l’espace animé par les enceintes en vente crachant le dernier Bollywood song.

Sur les larges stelles hautes de soixante-dix centimètres, au coeur du marché, les fripiers recouvrent le béton de leurs piles de vêtements. Sans eux, ces stelles ressembleraient à un désert de sculptures en l’honneur du lobby du ciment, abolissant ce qui a permis à ce marché de se maintenir pendant six cents années, sa résilience.

Il y a les fripiers pour femmes et les fripiers pour hommes. Comme il y a les tailleurs pour hommes et les tailleurs pour femmes et les coiffeurs pour femmes et les coiffeurs pour hommes. Mais à la différence des coiffeurs et des tailleurs qui sont sans exception des hommes, les fripiers pour femmes sont des fripières et inversement pour les fripiers pour hommes. Les habits exposés en piles ou en tas ont déjà vécu une vie. Nous sommmes loin des rouleaux de tissu des ruelles du marché au textile, en attente de devenir chemise, pantalon, saree, kurta, sarwel, longhi ou kameez. Dans cette abondance, les seuls indices qui attestent de

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la vie passée de morceau de tissu de ces vêtements sont la partie du tissu indiquant sa qualité et sa provenance que les tailleurs utilisent pour l’intérieur des poches et de la taille des pantalons. Pour les chemises ne sortant pas d’une usine, l’étiquette du tailleur témoigne de ce passé d’errance enroulé autour d’un mince tube de carton épais. Saree et longhi sont des tissus que les motifs et les broderies différencient d’un simple morceau de tissu. Ainsi, quand un kameez ou un pantalon est déchiré de sorte qu’aucune réparation n’est envisageable, ils ne peuvent être réutilisés sans transformation intermédiaire. Un saree, un longhi ou un dhoti pourra immédiatement être réutilisé. Le saree est une pièce de cinq mètres de long que les femmes enroulent autour de leur taille avant de ramèner l’extrémité derrière leur dos en couvrant le ventre et la poitrine. Elle s’accompagne de la blouse couvrant le buste et les épaules. Le dothi est une pièce de quatre mètres et demi de long sur un mètre vingt portée nouée et pliée à la taille par les hommes. Un longhi est un demi-dothi. Si le saree est encore portée par un grand nombre de femme comme l’est le sarwel-kameez, les hommes ont pour la plupart opté pour la combinaison chemise-pantalon. De part sa rareté, le port du longhi et du dothi à Ahmedabad peut se charger d’une signification religieuse, ethnique ou sociale comme pour les vieux pasteurs portant le dothi blanc ou bleu.

Saree et dothi ont une commune faculté. Celle de pouvoir être détourné instantanément de leur usage d’origine. Tout n’est que question d’imagination. Les fripiers du Gujari Bazaar transportent leur marchandise dans de vieux sarees élimés aux couleurs palissantes. Au Jamalpur Market, les fleurs et les courgettes arrivent aussi dans de gros ballots de tissu. Il suffit aux artisans chargés de fabriquer les colliers de fleurs avant l’heure de l’offrande du matin, de poser les ballots de fleurs au sol, de dénouer le gros noeud fait avec les quatres coins et d’étaler son étoffe avant de s’y asseoir pour commencer le travail d’assemblage. Avec un seul noeud, le saree devient sac puis assise pour finir atelier. De ses cinq mètres de long, il définit un espace au sol, une empreinte que les artisans utilisent pour marquer l’étendue de leur espace de travail.

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Si nous suivions à la trace la journée du longhi d’un boucher de Bathiyar Gully, nous commencerions la journée autour de la taille, quelques plis gardant en mémoire les mouvements de la nuit. Après avoir pris une toilette sur le bord de la rue ou dans l’arrière-cour d’étroits bâtiments, notre boucher s’en servirait pour se sécher avant de s’apprêter à commencer sa journée de travail. Après le déjeuner, il deviendrait turban pour se protéger de l’agression du soleil.

Hormis ces deux habits, détournés et usés jusqu’à leurs dernières fibres, le tissu s’insinue dans la ville et s’exprime dans les savoirs-faire du quotidien. Les vendeurs de thé filtre leur boisson avant de le servir à l’aide d’un tissu blanc bruni par le temps. Les cireurs utilisent aussi un fin morceau de tissu pour donner au cirage sa brillance. C’est avec une bande de tissu lâche qu’ils commencent par frotter énergiquement à l’arrière du talon avant d’en faire autant sur la pointe de chaque chaussure. Les porteurs posent sur leur tête un petit torchon enroulé sur lui-même de sorte qu’il forme une galette de tissu. Les charges posées en équilibre sur ce morceau sont amorties si bien que la pression exercée sur le sommet du crâne est en partie réduite.

Aussi reconnaissable que leur morceau de chiffon, les porteurs utilisent un langage qui leur est propre. Constitué d’onomatopés, ils s’en servent pour dégager leur passage lorsque les lourdes charges, qu’ils transportent, ne leur permettent pas de s’arrêter ne serait-ce une seconde. C’est une série de sons courts, produits par la bouche, qui se détachent instantanément du tumulte ambiant par leur singularité.

Le tissu est un pan entier de la vie quotidienne d’Ahmedabad et se retrouve sous différents usages et formes. Cette flexibilité l’implique parfois dans de curieuse position comme ce kart rempli de tomates entre Manek Chowk sous lequel un bébé dormait lové dans un hamac improvisé dans une grande pièce de coton violette nouée entre deux roues. Il s’exprime à travers des domaines variés, tant dans les savoirs-faire, les traditions que dans les hiérarchies sociales. Le tissu est partout jusque dans ces robinets au ras du sol

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sortant de la façade des vétustes maisons bourgeoises de la vieille ville. Les femmes s’en servent pour la lessive du matin. Seule ou à deux, elles frottent et battent les vêtements sur de lourdes plaques de pierre polie avant de les rincer sous l’eau de ces petits robinets. L’eau savonneuse inonde la rue de son écume. Ni lavoir, ni machine à laver, les petits groupes de femmes dispersés dans les rues et les ruelles prennent possession de l’espace exposant le fruit de leur travail sur des fils à linge tendus à hauteur d’homme.

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