• Aucun résultat trouvé

Sur la voie rapide qui mène au Sola Fly -over trois hommes en vélo se suivent. Sur leur porte-bagage en acier déglingué, une gamelle ronde à compartiments verticaux tient en équilibre maintenu par une lanière en chambre à air. Tentant de rester en marge du trafic, ils se dirigent à coups de pédale vers leur lieu de travail. Mis à part une chemise, un pantalon et des sandales, ils ne portent rien d’autre que leur gamelle. De toute cette journée de travail qui s’annonce pour eux, ils n’auront besoin que de ce repas préparé avant de prendre la route.

À 6 h du matin, dans la nuit de mars, les feux s’allument comme des lucioles le long de la route qui longe gulbai Tekra et qui mène au temple Shri Badia Dev. La fumée monte dans l’air sec alors que les flammes illuminent le visage des femmes accroupies au pied de leur foyer. Elles manient différentes gamelles pour que la cuisson d’aucun des différents éléments ne soit négligée. Toutes ces petites cuisines indépendantes qui se mettent en place avant le départ des travailleurs sont tenues exclusivement par les femmes préparant la gamelle de la journée de leur mari. Ces gamelles ont entre deux et quatre compartiments. On retrouve communément un étage de riz et un second de dal (lentilles bouillies réduites en purée, soupe ou ragoût. La texture dépend du type de lentille

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

utilisée), enfin les galettes de pain dont le nom dépend de la farine utilisée ou du type de cuisson. Ces trois premiers éléments constituent un repas végétarien équilibré. Dans les compartiments restants, selon la taille de la gamelle, il est possible de trouver un sabji (préparation de légumes) à base de pommes de terre, d’épinards, de pois chiches ou encore de paneer (fromage indien). Le nombre de compartiments donne une première idée du repas que contient une gamelle.

Pour pouvoir être emportée au travail, la gamelle doit être prête le matin. La cuisine démarre aux premières heures du jour pour que le repas soit prêt à l’heure de partir pour travailler. L’heure du repas venue, il suffit d’enlever la poignée verticale pour libérer les compartiments emboîtés. La disposition des différents plats est une question d’affinité. Les galettes de farine doivent se trouver à courte distance de la main droite puisque tout le repas, elles seront déchirées en morceaux pour pouvoir être utilisées comme des pinces pour manger les sabjis. Ces galettes sont des couverts nutritifs, destructibles et recyclables. Une fois les compartiments disposés sur une surface désignée comme table, la gamelle devient un buffet où toutes les associations sont possibles. La division de ce récipient permet à tous les participants au repas de partager leurs plats. Il n’est pas rare de voir deux hommes s’échanger tour à tour des parties de leur repas. Si un pain vient à manquer, il suffit de se servir autour. Si le plat de pommes de terre n’a pas changé depuis trois jours, il suffit de goûter le chou de son voisin. Contenu et contenant du repas sont étroitement liés. Quand le contenu apporte un repas traditionnel équilibré, l’heure du repas fait du contenant un outil de convivialité non verbale où les compartiments passent de main en main.

Une gamelle peut être livrée sur le lieu de travail. La commande se fait à la journée ou à la semaine. Mais le plus souvent, ce sont les femmes qui préparent les repas du midi. Le passage matinal des karts de fruits et légumes s’explique par cette nécessité de s’approvisionner en produit frais avant que les maris ne prennent la route. Paradoxalement, ce sont les femmes

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

qui cuisinent à la maison, mais dans la rue, ce sont les hommes, comme à Parimal Garden où la bordure est longée par des stands de cuisine de rue. Du nord au sud, on y trouve toutes les cuisines de l’Inde. Les expatriés issus d’un autre état que le Gujarat viennent y chercher la cuisine de leurs mères pour amortir le dépaysement. Pour d’autres, c’est l’occasion de changer ses habitudes grâce à la diversité des plats servis.

Ainsi, si les hommes sont représentés par une écrasante majorité lorsqu’il s’agit de cuisine de rue, la figure de la mère n’est jamais loin. Les petits feux qui s´allument au petit matin le long de la route de Gulbai Tekra sont là pour nous le rappeler. Il y a les feux à même le sol, entre deux pierres. D’autres sont faits d’une petite bouteille de gaz soudée à trois pattes métalliques pour maintenir la poêle. Des feux de bois sont protégés du vent par un petit muret de terre cuite.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

07 avril 2015. 6 h 29. Parimal Garden Je suis assis sur le même banc que la dernière fois, comme une

sorte d’habitude. Le petit garçon cireur de chaussures m’accueille de son sourire communicatif. Il rigole. Nous buvons un thé ensemble. Un client s’assoit sur le banc. Le cireur lui demande sans aucune insistance : « Sir, polish ? ». Sans décrocher de son téléphone, l’homme acquiesce et demande le prix. Il ôte ses chaussures, croise ses jambes en tailleur. Le petit garçon assis sur le trottoir cherche d’abord un moyen de protéger les lacets puis applique la première couche de cirage. Sans cesser de rire, il brosse une à une les chaussures avant de s’arrêter pour boire son thé. Il n’aurait pu faire les deux à la fois. Cirer et boire le thé. Le travail et le thé, deux activités hautement incompatibles. Dans les guichets de gare, aucune pause dans les horaires n’est indiquée. En revanche, il est possible de lire : « 10 h 30 — 10 h 45 tea break ». Boire un thé couvre plusieurs fonctions sociales. Celui du partage parce qu’il peut être offert ou divisé entre plusieurs personnes. Il marque le passage du travail à l’échange. C’est un temps qui ne peut être solitaire et qui annule toute indifférence vis-à-vis des personnes en présence. Il peut être vu comme un entre soi en ce sens que le thé, et à plus large échelle la nourriture, se partage entre des personnes qui se connaissent et de possibles invités. Mais dans la rue, tous se mélangent autour d’un thé. Peu importe l’influence, dans la société, peu importe la position, tous dépendent du vendeur de thé. Parimal Garden, au même titre que Manek Chowk, illustre cet effacement

Un thé