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Une logique de quantification et d’orientation

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PARTIE 1 : ORIENTATION THEORIQUE ET PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE

A. Une logique de quantification et d’orientation

Dans l’enseignement secondaire général, des temps formalisés et planifiés hors SEA, en fin d’unité d’apprentissage ou en fin d’année scolaire (et de cycle), sont organisés pour évaluer des productions orales et écrites d’élèves à partir de situations-problèmes. Ces évaluations prennent la forme de successions d’exercices à résoudre par écrit, en physique-chimie. Ces pratiques évaluatives certificatives ou sommatives aboutissent à la production d’une valeur des écrits de l’élève, très souvent symbolisée par une note variant selon une échelle de 0 à 20 (Abernot, 1988). Bien qu’il paraisse nécessaire avant tout de définir la terminologie

« évaluation », nous allons ci-après exposer succinctement deux techniques d’évaluation telles qu’elles sont le plus souvent pratiquées, afin d’en dégager la logique de certification et d’orientation.

1. Évaluation usuelle dans l’enseignement secondaire

1.1 L’évaluation certificative

L’évaluation certificative se situe à la fin d’un cycle de formation : le brevet des collèges, en fin de 3e, et le baccalauréat en fin de Terminale. « (Elle) consiste à certifier socialement (…) les effets d’une action menée et considérée comme achevée » (De Ketele, 2010, p. 26) et concerne donc un résultat d’une unité de processus d’apprentissage. Un évaluateur compare les données de productions de l’élève à des données de référence prescrites selon des normes

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externes à la SEA. Une valeur symbolisée par un nombre numérique est alors attribuée à cette production. Ensuite, dans la plupart des cas, par délibération, un jury externe à l’établissement scolaire de l’élève décerne le diplôme visé. L’évaluation certificative a pour objectif de fournir des informations nécessaires et pertinentes aux évaluateurs pour orienter cette phase de décision de l’obtention du diplôme. D’un autre côté, l’évaluation de la production de l’élève relève, en partie, d’éthique professionnelle et de responsabilité du jury. Elle assure alors, dans sa dimension technique, des principes d’égale liberté4, d’égalité de chances5 et de différences6 (Marcel, 2013).

1.2 L’évaluation sommative

La démarche technique de l’évaluation sommative consiste aussi à une mesure de valeur de production écrite des élèves sous forme d’exercices. En outre, elle s’inscrit sur des temps d’enseignement institutionnalisés et se rapporte à des connaissances enseignées pendant un certain nombre de séances en rapport avec les programmes scolaires. Autrement dit, l’enseignant construit des valeurs de référence en rapport avec une unité d’enseignement-apprentissage. Il construit aussi des critères et des indices, observables et mesurables, identiques pour tous les élèves (Talbot, 2009 ; Rey, 2010). Dans tous les cas, une valeur statistique est attribuée aux productions de l’élève, pour chaque discipline : « les notes mensuelles ne sont que des constituantes de la moyenne trimestrielle » (Abernot, 1998, p. 40).

La note moyenne est alors un outil déterminant de décision et d’orientation pour passer à un niveau supérieur d’enseignement. Souvent, dans les bulletins, elle est accompagnée d’appréciations qualitatives (idem). De fait, cette technique d’évaluation a une fonction sociale (Talbot, 2009) qui est d’informer l’équipe d’enseignants, les parents et les élèves. Elle signale un état de construction de connaissances de l’élève en rapport avec un état de construction attendu en référence aux programmes scolaires du cycle concerné.

Bien que très largement répandues dans le système éducatif français, ces dimensions techniques visant des prises de décision peuvent amener à des discussions.

4 « Garanti par le niveau national au travers (…) des textes de cadrages » (Marcel, 2013, p.53)

5 « Les spécificités régionales ou locales ne sont ni un bénéfice ni un handicap pour les évaluer » (idem)

6 « Il ne peut être garanti qu’au niveau des évaluateurs, lors de situations d’administration et de correction /notation des épreuves » (idem).

17 1.3 Les limites d’une éthique d’égalité

Selon Rey (2010), l’utilisation de critères observables, mesurables et quantifiables à des fins d’évaluation, permet de se référer à des valeurs construites et partagées objectivement.

Aussi, cette logique de mesure des résultats des processus d’apprentissage7 assurerait l’égalité entre élèves, soit au niveau de la classe, soit au niveau national (Crahay, 2007 ; Marcel, 2013). Néanmoins, la question de la construction des valeurs objectives de référence n’est pas neutre et leur choix ne peut relever de consensus strictement établi entre collègues (Rey, 2010, 2012). Pour illustrer ce propos, prenons pour exemple, l’interprétation du programme scolaire dans la discipline physique-chimie. À sa lecture, l’enseignant transpose l’ensemble des prescriptions en fonction des contraintes de contexte, mais aussi en fonction de ses connaissances, de ses conceptions de l’apprentissage (Chevallard, 1994) et des échanges entre collègues. Les compétences, les capacités et les attitudes attendues peuvent être interprétées de différentes manières, ce qui peut supposer l’existence de valeurs de référence différentes entre enseignants : « les critères mobilisés lors d’une évaluation (…) sont hétérogènes et ont un poids différent selon les évaluateurs » (Marin, 2014, p. 108). Par ailleurs, Rey (2010) soulève la question de la compréhension par l’évaluateur de son activité évaluative et des implications qui en découlent. Il est ainsi possible qu’il soit influencé par sa subjectivité et ses intérêts8.

2. Une objectivité relative

L’assurance de l’objectivité de l’évaluateur, de la justesse, de la clarté et de la mesure des apprentissages des élèves a effectivement montré certaines limites (Abernot, 1988). La présence des variables de contextualisation a été caractérisée dans le champ de la recherche et est actuellement mise en débat par les praticiens de l’enseignement, les décideurs politiques, mais aussi par les parents d’élèves. Pourtant, l’effet de la « subjectivité » de l’évaluateur-enseignant n’est pas nouveau dans le champ de la recherche ; il a fait l’objet de nombreuses publications dont la première en France serait apparue dans examens et docimologie (Pieron, 1963). Plus récemment, Leclercq et al. (2004), en réunissant divers travaux francophones, ont identifié et catégorisé des facteurs sources pouvant expliquer cette subjectivité : l’influence du contexte scolaire, les particularités intrinsèques aux élèves, et les facteurs internes des enseignants. Nous développerons succinctement quelques éléments ci-après afin d’illustrer

7 A finalité d'orientation

8 Connaissance, conception de l'apprentissage et du contexte

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notre propos, et nous nous centrerons en premier lieu sur l’influence d’un contexte : l’établissement.

2.1 L’influence d’un élément de contexte : l’établissement scolaire

Des travaux en sociologie de l’éducation ont montré l’existence d’un effet

« établissement » sur la valeur attribuée à la production de l’élève au moment de l’évaluation.

Ainsi, un même élève aurait des notations différentes suivant son établissement scolaire (Duru-Bellat et Mingat, 1993 ; Merle, 1996, 1998). Des stratégies de sélection seraient organisées par l’équipe pédagogique pour assurer l’image des établissements les plus réputés.

Dans les lycées dits renommés9, le système de notation serait toujours revu à la baisse afin que l’élève soit encouragé à progresser et à faire des efforts. A contrario, dans les établissements moins favorisés, les notes seraient plus élevées, car les enseignants craindraient une démotivation (idem).

Au cours d’une phase exploratoire, d’un travail de recherche antérieur, nous avons recueilli les propos d’un chef d’établissement de lycée reconnu pour l’excellence de ses classes préparatoires aux concours des grandes écoles. Assurant tenter de faire gommer des stratégies de notation aux enseignants, il conçoit que la moyenne annuelle des notes en sciences est souvent plus faible dans son établissement en comparaison aux autres, situés dans des quartiers moins favorisés. Les enseignants sembleraient assez souvent organiser des stratégies de notation correspondant aux classes préparatoires des grandes écoles.

Plus récemment, un chef d’établissement10 de collège a montré une volonté d’harmonisation des stratégies de notation plus juste et plus valorisante pour les élèves. Pour cela, il tente d’initier une réflexion et un travail collaboratif entre enseignants, où s’installent souvent des tensions. L’organisation de stratégie évaluative à finalité sélective et méritocratique paraît être encore active (Duru-Bellat, 2008).

Nous percevons ainsi qu’il s’est construit, entre collègues, des valeurs de référence collectives. Elles diffèreraient d’un établissement scolaire à l’autre et sembleraient être liées à de multiples variables de contexte (position sociale des familles, choix des options disciplinaires proposées, présence de classes préparatoires ou non…). Les pratiques d’évaluation des enseignants seraient influencées par des valeurs de référence partagées entre collègues au sein de l’établissement. Néanmoins, dans la partie ci-après, nous allons entrevoir

9 Et fréquentés de façon significative par des élèves de milieu culturellement et financièrement favorisé

10 Établissement où nous avons réalisé notre terrain d’enquêtes

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que l’enseignant peut aussi moduler ces pratiques, en fonction du contexte de la classe et des représentations qu’il a construites.

2.2 L’influence des facteurs internes à l’évaluateur

Les notes attribuées aux productions orales ou écrites des élèves ne se feraient pas de façon hiérarchique, et certaines variables intrinsèques à l’enseignant perturberaient aussi toute idée d’objectivité absolue (Abernot, 1998).

2.2.1 Des effets observés dans les copies notées

Un effet Posthumus (1947) chez l’enseignant se dégagerait dans la répartition des notes de copies d’élèves (Abernot, 1998). Selon une courbe de Gauss, les notes répartiraient les élèves en 5 groupes : bon (13%), moyen (70%), médiocre (13%), excellent (2%), très mauvais (2%) (Landsheere cité par Leclercq, Niaise et Demeuse, 2004). Ces résultats mettent en évidence une sélection où « 15% » des élèves seraient en réussites et « 15% » des élèves seraient en difficultés. Par ce fait, ce mécanisme favoriserait une identification des élèves pouvant être orientés vers les filières d’excellence par un jeu « compétitif » (Leclercq, Nicaise et Demeuse, 2004). D’autres effets de correction ont été mis en évidence, par exemple, les effets d’ordre et de contraste, et de contamination (Abernot, 1998).

Plus récemment, Merle (1998) observe l’organisation d’« arrangements » chez l’enseignant afin de trouver une paix sociale avec les élèves dans la classe, les collègues dans l’établissement ou encore les parents d’élève. En effet, la complexité des pratiques de la profession exerce des tensions chez l’enseignant qui est alors amené à trouver des échappatoires par la mise en place de stratégies dans l’attribution de notes. Par exemple, afin d’éviter des conflits avec des élèves en difficultés et perturbateurs, l’enseignant recourrait à une surnotation de sa copie. Parfois, des arrangements évaluatifs sont aussi avérés pour défendre des valeurs d’équité plutôt que d’égalité. Conscient des différences de processus d’apprentissage entre élèves, l’enseignant vise à corriger certaines inégalités dues aux procédures exigées par les textes officiels. Il adapte alors leurs valeurs de référence en fonction des représentations qu’ils ont des élèves pour ne pas les pénaliser en fonction de leurs caractéristiques (Cogérino et Mnaffakh, 2007). Le lien entre l’activité évaluative de l’enseignant et les représentations qu’il construit sur les élèves à partir de leur comportement et leurs caractéristiques personnelles a aussi été établi en psychologie sociale.

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2.2.2 Influence des stéréotypes des élèves

Face aux comportements et aux stéréotypes sociaux, physiques… des élèves en classe, l’enseignant construirait des représentations impliquant des attentes spécifiques sur leur travail. Ils créeraient des catégories d’élèves à partir, entre autres, de leurs comportements : les « faibles » et les « forts » (Gilly, 1980 ; Trinquier, 2010b). Pour la catégorie d’élèves dits

« moyens », l’enseignant aurait des difficultés à se les représenter à partir de ce qu’il perçoit en classe. Il s’appuierait alors sur leurs origines socio-culturelles.

Les pratiques évaluatives de l’enseignant seraient gouvernées par ce qu’il « a déjà dans la tête » (Monteil, 1990), c’est-à-dire des représentations, mais aussi par des comparaisons 11 entre élèves. Ainsi, les caractéristiques des élèves comme leur « origine sociale » (famille favorisée vs défavorisée) et leur genre (masculin vs féminin) influeraient sur les valeurs de référence des enseignants lors de l’évaluation (Leclercq et al., 2004). Par exemple, une notation serait plus favorable aux filles qu’aux garçons, ces dernières ayant une attitude plus proche des attentes des enseignants (Duru-Bellat, 1995).

3. En résumé

Une première réflexion sur les évaluations sommatives et certificatives, mesurées et quantifiées, souvent formalisées et écrites, dans une fonction d’orientation, a permis de montrer l’importance d’une vigilance et d’un questionnement sur les dimensions techniques et axiologiques. Dans un souci d’équité et d’égalité pour l’enseignant, ces évaluations assurent un rôle d’information sur le résultat d’un processus d’apprentissage par l’établissement de critères et d’indicateurs identifiables. L’idée d’une note (ou de n’importe quel symbole) représentant une preuve indiscutable des apprentissages des élèves est une des attentes de l’institution scolaire et des parents (Merle, 2012). En pratique, l’évaluation des résultats d’apprentissages des élèves est perçue comme une démarche sociale ou pédagogique de

« jugement » pour orienter et sélectionner les élèves (De Ketele, 2010). En réalité, réalisée en fin d’unité d’enseignement-apprentissage (plus ou moins longue), elle ne peut être une activité d’enseignement assurant une objectivité absolue du professeur. La présence de variables de contextualisation inférerait sur ses valeurs de référence : ses facteurs internes (représentations des élèves), l’établissement scolaire (les orientations scolaires) et le contexte (des représentations collectives professionnelles, par exemple, les valeurs collectives construites entre collègues d’un même établissement).

11 Liées aux résultats scolaires des élèves

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Peu souvent débattues dans le monde enseignant, d’autres logiques et dimensions apparaissent au-delà de celles que nous venons de présenter (De Ketele, 2010). L’évaluation des élèves pourrait être aussi au service de la régulation de leurs apprentissages sur des temps non planifiés en classe, et dans l’immédiateté des difficultés observées par l’enseignant. C’est cette dimension de régulation que nous avons souhaité traiter. Mieux la décrire et la comprendre permettrait in fine, de l’envisager en couplage avec la logique de quantification et de certification12 afin de mieux répondre aux problématiques d’évaluation.

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