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Une instance à enjeux multiples

I. Les médias

1. Une instance à enjeux multiples

1.1. Importance du caractère informatif

Le besoin informationnel pour l’homme est primordial, surtout dans les sociétés actuelles. Les médias ont largement répondu à ce besoin depuis leur parution dans le cadre du journalisme (entre le dix-septième et le dix-huitième siècle). ‘Informer’ a même été considéré comme leur finalité première. Ainsi, sont-ils supposés rapporter des réalités et des vérités ou en témoigner le plus fidèlement et objectivement possible.

Cependant, de nombreux auteurs affirment que cette caractéristique que les gens leur attribuent couramment est trompeuse, entre autres, en raison de l’amplification ou de la simplification de faits rapportés, l’anticipation de la réaction du récepteur et la multiplicité des opinions ou des témoignages présentés.

Les médias utilisent donc des techniques pour donner l’illusion du vrai et du fidèle, dont l’impact est loin d’être bénéfique. V. Sacriste évoque justement celui de l’abondance informationnelle « […] qui n’implique pas pour autant que les individus soient mieux ou plus informés que dans le passé. L’abondance d’informations a plutôt eu tendance à noyer l’information et à conduire les individus, saturés, à rechercher l’information essentielle sans avoir non plus toujours les connaissances nécessaires pour la décrypter » (Sacriste, 2007 : 74).

Aussi, les médias emploient un langage spécifique (généralement opaque et suggestif) minutieusement préparé et adapté aux circonstances. A côté des ‘messages manifestes’, ils communiquent souvent ‘des messages cachés’ à effets importants. V. Sacriste affirme qu’ « en tout état de cause, le message caché peut être plus important que le message manifeste, puisqu’il échappe au contrôle de la conscience, qu’il n’est pas « perçu », qu’on ne peut lui opposer une résistance argumentée, mais qu’il est susceptible de s’immiscer dans l’esprit du spectateur » (Sacriste, 2007 : 308).

Pour garantir un maximum d’efficacité, le langage médiatique est pris en charge sous ses divers aspects (selon chaque média) : ‘le verbal’ (choix des mots, expressions

69 captivantes,…), ‘le paraverbal’ (timbre de la voix, débit de la parole, rythme et ponctuation du discours,…) et ‘le non verbal’ (apparence physique, gestes, expressions

faciales,…) (Chevalier et al., 2006 : 137).

Nous pouvons citer l’exemple du média télévisuel, qui conjugue ‘image’ et ‘voix’ et utilise des procédés comme ‘le zoom’, pour attirer l’attention du public et gagner sa confiance (Charaudeau, 1997 : 123).

L’information médiatique est alors dûment travaillée avant d’être communiquée au public qui sera justement soumis à l’impact de ce travail ; d’où la crainte que les médias peuvent inspirer aux spécialistes du domaine et même aux citoyens.

Malgré cela, les médias restent indispensables pour beaucoup de personnes et sont généralement vus comme source d’informations crédible ; principalement parce qu’ils font disparaitre l’obstacle du temps et de la distance et que la diffusion des informations est rapide (la parution quotidienne de certains journaux…) ou même instantanée (la diffusion ‘en direct’ à la télévision…).

P. Breton évoque, à ce propos, l’existence d’un ‘paradoxe’ autour de ces considérations, précisément concernant l’objectivité de l’information médiatique. Selon lui :

« Celle-ci est souvent déniée. Toute approche des faits serait par nature ou subjective ou orientée, c’est-à-dire expressive ou argumentative. Nous sommes là en plein paradoxe : le déni de l’objectivité s’accompagne d’une grande confiance concrète dans l’information. De là l’ambivalence dans laquelle nous percevons les professions de l’information. Le journaliste, spécialiste de l’information objective, se voit souvent suspecter de ne pas remplir son contrat, quand on ne le soupçonne pas de manipulation ou de désinformation volontaire » (Breton dans Vincent, 2005 : 117).

Les médias ont donc la capacité d’influencer les opinions et comportements des gens, et contribuent souvent à la modification des réalités sociales.

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1.2. Création de liens et effets psychologiques

Il est courant de penser que les médias sont au service du public. La raison en est qu’ils s’impliquent, tel que nous venons de le voir, à lui fournir des informations importantes. De plus, ils ont sur lui un effet psychologique bénéfique car ils constituent également une source essentielle de distraction et de création de liens.

Mais de même que les médias semblent présenter fidèlement le réel, alors que ce n’est pas le cas ; ils donnent une impression de contact plus profond que ce qu’il est véritablement. Des auteurs tels que P. Charaudeau, vont jusqu’à parler d’ ‘une illusion de contact’ (Charaudeau, 1997 : 123, 124).

A la télévision, par exemple, l’image (accompagnée de la voix) produit un effet de présence plus profond que celui qui résulte de l’unique description langagière (comme dans le cas de la presse écrite ou de la radio). Cette dernière invite à avoir recours à l’imagination et au pouvoir suggestif des mots, pour se représenter les réalités ; tandis que la télévision les incarne par l’image. Ce qui peut imprégner l’esprit des téléspectateurs et leur donne l’impression d’être en contact direct avec ce qui leur est montré (Charaudeau, 1997 : 119 à 124).

En fait, les médias, « du latin medius » (D. Vincent, 2005 : 9) qui veut dire ‘relais’, créent des connexions de par le monde : entre le cercle privé et le cercle public, entre des personnes qui se connaissent comme entre des tiers, entre des individus séparés par la distance et le temps, etc.

Les gens ont donc une agréable impression de lien. Tout ce qu’ils partagent (évènements, soucis communs, célébrations,…) les rapproche et provoque souvent chez eux un sentiment de curiosité et d’intérêt (voire d’attachement) vis-à-vis de l’autre.

Ces contacts établis sont nécessaires pour les médias, qui cherchent ainsi à les développer ; entre autres, à travers des stratégies d’interpellation du public, visant à provoquer sa participation aux diverses productions médiatiques.

En guise d’illustration, nous citons encore le cas de la télévision où des présentateurs d’émissions s’adressent aux téléspectateurs, sous un ton agréable de conversation

71 amicale ; qui les réconforte et leur donne envie d’intervenir dans les programmes diffusés (pour poser des questions, exprimer leurs opinions ou sentiments, remercier le présentateur,…).

Ce ton parait spontané, or, il est couramment le produit de la stratégie médiatique. Ceci est confirmé par des psychologues qui estiment que « de nos jours, l’orateur adopte souvent un ton proche de la conversation, comme s’il s’adressait à chacun de ses auditeurs en particulier. Les discours réussis prononcés de la sorte sont en général soigneusement préparés, répétés, mais cela ne se voit pas, car la personne qui parle a l’air parfaitement décontractée » (Aubert, 1994 : 122).

Les gens sont alors mis à l’aise pour communiquer via les médias et ont à leur disposition des moyens qui leur facilitent le contact (lettre, téléphone, sites Internet, anonymat, etc.). Ce qui fait des productions médiatiques un lieu d’expression libre et même de confidences. D. Vincent indique, à ce sujet, que « le média devient comme un thérapeute auquel on se confie » (Vincent, 2005 : 14).

1.3. Fin attractive et commerciale des médias

L’apport informatif des médias, leur capacité à créer des liens, leurs bienfaits psychologiques et tout autre effet positif qu’ils peuvent avoir sur la société, permettent de leur reconnaitre une fonction civique essentielle.

A ce propos, M. Dagnaud évoque la question des valeurs et de la morale médiatiques et cite, dans ce contexte d’idées, l’exemple de ce qui est écrit dans le cahier des charges des chaines TF1 et M6, à savoir :

« la société veille dans ses programmes : à ne pas inciter à des pratiques ou des comportements délinquants ou inciviques ; à respecter les différentes sensibilités politiques, culturelles et religieuses du public ; à ne pas encourager les comportements discriminatoires en raison de la race, du sexe, de la religion, ou de la nationalité ; à promouvoir les valeurs d’intégration et de solidarité qui sont celles de la République ; à prendre en considération, dans la représentation à l’antenne, la diversité des origines et des cultures de la communauté nationale » (Dagnaud, 2006 : 215).

72 leurs principaux objectifs, plutôt qu’un effet inattendu de leur apport civique. Ils ont pour ambition de conquérir et de fidéliser un nombre maximal de personnes car c’est du public consommateur de leurs produits que leur succès dépend en grande partie.

Afin de répondre à leur souci de captation, les médias ont recours à différents moyens, parmi lesquels : la diversification des programmes, la créativité et la fiction, la qualité de l’information communiquée et les procédés d’interpellation du public (ton familier, images captivantes, publicité, etc.).

En fait, la stratégie médiatique vise à satisfaire la finalité civique et de commercialisation à la fois, en faisant des goûts du public, une source de gains. Actuellement, la grande diffusion des débats télévisés en témoigne bien, comme le signale G. Lochard : « On peut parler d’un vrai marché des débats télévisés, et cela s’observe de diverses manières : l’institutionnalisation du genre à l’ensemble des télévisions ; la diversité thématique ; la diffusion journalière ; la généralisation des dispositifs et des formats représentatifs du genre » (Lochard, 2006 : 157).

Toutefois, les médias sont confrontés à la complexité de la réalité sociale qui accroit l’importance de leurs enjeux. Ainsi, sont-ils également le lieu d’une concurrence considérable et de beaucoup de pression. M. Burger et G. Matrel affirment même que leur fonction attractive et commerciale domine leur finalité civique ; autrement dit, que « l’intérêt du public passe avant l’intérêt public » (Vincent, 2005 : 12).

V. Sacriste fait part de quelques constats qui rendent compte de cette considération :

« En tension continuelle entre la logique du bien public et celle de leurs intérêts économiques, les médias peuvent ainsi : séduire avant d’informer ; privilégier l’émotion à la raison ; se focaliser sur les groupes dominants ; ignorer les groupes minoritaires et marginaux ; privilégier la quantité à la qualité, le débat consensuel au débat conflictuel ; s’assujettir aux pressions politiques et/ou à celles des annonceurs en se censurant ou en modulant leurs critiques afin de ne pas perdre l’exclusivité de leurs discours, confidences ou budgets » (Sacriste, 2007 : 54).

Cette citation permet de comprendre que les médias utilisent divers moyens pour atteindre leurs objectifs : le recours au raisonnement, comme aux émotions et à

73 l’esthétique du langage ; l’appel à l’argumentation, mais aussi à la séduction, la manipulation, la propagande, etc.

Détail qui leur a accordé une image négative, souvent confrontée à l’ambiguïté de leur réalité et de leur tâche car celle-ci les amène à faire face à différentes sources de tension ; tel que le confirme le même auteur, pour qui « la gestion de ces tensions est donc une question de choix. Il n’en reste pas moins vrai qu’aux grandes peurs des critiques cyniques qui dénoncent un espace médiatique corrompu, uniforme, homogène, mercantile, hégémonique, s’affirme plutôt un paysage où les médias apparaissent comme une médiation complexe » (idem).

Dans ce qui suit, nous accorderons plus d’attention aux effets négatifs des médias et à la complexité du rapport dans lequel ils ont lieu : le rapport ‘mass-médias’.

2. Réalité complexe du rapport ‘mass-médias’