• Aucun résultat trouvé

La stratégie argumentative

4.1. L’argumentation spontanée/stratégique

La notion de ‘stratégie’ rappelle les interactions compétitives ou à enjeux importants (débats, interviews, échanges professionnels, etc.), qui nécessitent de bien préparer son intervention langagière, en vue de réaliser ses objectifs. Cependant, selon R. Vion, même une simple conversation peut avoir des enjeux qui poussent à être compétitif et stratège ; comme l’envie d’avoir le dernier mot ou d’impressionner son interlocuteur (Quemada & Rastier, 2000 : 126).

R. et J. Simonet estiment important, pour un locuteur, de procéder à un travail de préparation, pour avoir un maximum de garantie concernant l’efficacité de son argumentation ; mais ceci n’est pas chose aisée. En effet, d’après les consignes stratégiques qu’ils ont présentées dans leur ouvrage « Savoir argumenter : Du dialogue au débat » (2001 : 39 à 91), une bonne stratégie argumentative requiert beaucoup de savoir-faire et se prévoit en deux temps : « Donc, analyser la situation AVANT et PENDANT l’argumentation est la condition de base pour élaborer une stratégie efficace » (2001 : 42).

D’après ces auteurs, le locuteur doit effectuer une analyse globale de la situation (temps, lieu, acteurs, message, conditions,… ), déterminer clairement ses objectifs (à atteindre de manière progressive, en passant par des objectifs intermédiaires), tenir compte de l’autre et de sa contre-argumentation (pour prévoir ses réactions), préparer un plan d’argumentation concis et clair et le tester sur un public de confiance (la simulation de la situation d’argumentation permettrait des modifications pertinentes du plan), etc.

R. et J. Simonet abordent donc l’instance argumentative, en considérant ses principaux aspects et composantes, dans leur diversité, et tiennent compte de plusieurs paramètres. Ce qui donne l’impression que réussir une argumentation est une tâche difficile qui ne peut être effectuée par tout le monde.

Toutefois, malgré qu’au quotidien les gens ont souvent recours à l’improvisation dans leurs échanges et que « le locuteur ne dispose pas véritablement […] d’un savoir et

32 produits soient efficaces dans la réalisation des objectifs argumentatifs. La raison en est, d’après R. Amossy, que ce qui semble spontané, en réalité, comprend également de la stratégie. Celle-ci se révèle à travers des éléments tels que ‘les choix lexicaux’.

L’auteur pense, à ce propos, que « […] la sélection d’un mot n’est jamais dénuée de poids argumentatif, même si elle n’a pas fait l’objet d’un calcul préalable, et même si au

premier abord ce mot semble ordinaire et passe inaperçu » (Amossy, 2006 : 158). C’est

pourquoi, dans l’analyse argumentative, il est important de tenir compte de « l’interdiscours » (idem) qui peut accorder au mot diverses interprétations.

Aussi, la simple répétition de termes, surtout quand ils sont inspirés d’un milieu social particulier, peut relever de la stratégie car elle est susceptible de les rendre plus crédibles et d’accroitre leur impact sur l’auditoire. De plus, si un raisonnement argumentatif ou la signification d’un terme gardent une part d’implicite, celle-ci va constituer, selon R. Koren, une source de force discursive : « […] les dénominations retenues ne constituent que la partie visible d’un raisonnement d’autant plus puissant qu’il reste implicite. La répétition des noms finit par leur donner l’apparence de la

vérité » (Koren, citée par Amossy, 2006 : 159).

4.2. Le locuteur-stratège

La question du choix lexical, que nous venons d’aborder, montre que le locuteur fait souvent preuve de stratégie dans son discours, même sans le prévoir. En fait, ceci est principalement dû à l’objectif inhérent à tout acte argumentatif, à savoir : convaincre l’autre du bien-fondé de ses opinions et exercer sur lui une influence par le biais de la langue. Ce qui constitue, selon H. Fretel, « la raison d’être de tout énoncé » (Fretel dans Boix, 2007 : 355).

L’auteur affirme aussi que « tout discours suppose une dimension argumentative. Le locuteur peut avoir connaissance, conscience de ce fait, mais il ne le maitrisera pas pour autant » (idem). En effet, la maitrise de l’argumentation ou, plus précisément, de la stratégie argumentative, nécessite, tel que nous l’avons déjà signalé1, un savoir-faire, mais aussi beaucoup de pratique.

33 Ces considérations expliquent tout l’intérêt accordé par R. et J. Simonet à la prise en considération de l’interlocuteur, dans tout travail de préparation d’une stratégie efficace. Toutefois, ce travail ne peut donner de résultats définitifs car ce que le locuteur prévoit doit en partie être revu et modifié, tout au long de l’échange, pour y être adapté. Il faut donc savoir garder le contrôle de son argumentation, en étant attentif à la dynamique de l’interaction. Les deux auteurs résument justement le genre d’actions à entreprendre pour bien gérer la situation : « Donc, écouter, observer, interpréter, prendre

en compte, intégrer, changer de cap, anticiper, improviser » (Simonet, 2001: 85).

Ces verbes d’action témoignent de l’importance des ajustements qui peuvent être opérés, dans l’instance de l’échange. D’ailleurs, selon R. et J. Simonet, il peut même arriver de changer d’objectif(s).

Ces ajustements proviennent aussi de la participation mutuelle, du locuteur et de l’interlocuteur, à la construction des significations ; à travers le savoir de chacun, mais surtout, le savoir commun. D’après H. Fretel, ceci est une contrainte que le locuteur ne peut éviter, et qui l’amène à se montrer stratège, même sans le prévoir (Fretel dans Boix,

2007 : 355, 356).

En fait, ce que les interlocuteurs peuvent partager, les prédispose à la coopération et à la confrontation modérée de leurs opinions ; d’où la nécessité de se trouver des points communs avec son interlocuteur, dans tout travail d’élaboration d’une stratégie

argumentative (Simonet, 2001: 40 à 47). Ceci va donc pousser les interlocuteurs à mieux

accepter leurs points de différence et la possibilité de s’influencer mutuellement.

En effet, en abordant également la question de la nécessaire prise en considération de l’interlocuteur, dans la stratégie argumentative, C. Foullioux affirme que le locuteur « […] doit être capable de prévoir les effets que son discours est susceptible d’avoir sur l’autre. Le locuteur aura tout intérêt à le ménager s’il veut obtenir de celui-ci une adhésion ou une réaction donnée. Cette prise en compte de l’autre, de la part du locuteur,

est spécialement présente dans l’atténuation » (Foullioux dans Boix, 2007 : 406).

Enfin, H. Fretel et C. Foullioux se rejoignent pour signaler une autre contrainte qui s’impose au locuteur et le rend stratège malgré lui ; il s’agit de l’importance de ‘l’image’ donnée de soi, lors de l’interaction et le fait de vouloir éviter que l’interlocuteur n’y porte atteinte (Fretel & Foullioux, dans Boix, 2007 : 355, 405).

34