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UNE DIVERGENCE JURISPRUDENTIELLE LONGTEMPS FICTIVE ET RAPIDEMENT DISPARUE

Le juge communautaire est accusé par la doctrine d’avoir adopté une position en contradiction avec celle du juge européen concernant l’inviolabilité du domicile des personnes morales depuis l’affaire Hoechst. Il s’avère cependant qu’une telle opposition relève de la fiction (§ 1). Ce n’est qu’avec l’adoption de l’arrêt Société Colas Est et autres c. France par la Cour E.D.H. que naît une discordance entre les jurisprudences européenne et communautaire. Elle sera toutefois éphémère, dans la mesure où la C.J.C.E. s’aligne avec le juge européen quelques mois plus tard (§ 2).

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§ 1 – Une contradiction inexistante entre les juges européen et communautaire.

A l’origine, la Communauté économique européenne ne prédisposait pas au développement d’un droit communautaire des droits fondamentaux de la personne. La C.J.C.E. a réussi néanmoins à protéger ces droits fondamentaux, notamment dans le respect de la Conv.E.S.D.H. (A). Dans ce cadre, elle refuse de reconnaître l’inviolabilité du domicile des personnes morales en tant que principe général du droit communautaire (B). Ce refus est analysé à tort par la doctrine comme constituant une divergence avec la jurisprudence de la Cour E.D.H. (C). La doctrine maintient ses analyses erronées lors de la confirmation de la jurisprudence communautaire. Néanmoins, cette confirmation peut susciter des critiques (D).

A – La sauvegarde des droits fondamentaux par la C.J.C.E. dans le respect de la Conv.E.S.D.H.

A l’origine, la C.J.C.E. n’a pas vocation à être une juridiction gardienne des droits fondamentaux des ressortissants communautaires. Selon l’article 164 du Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne en date du 25 mars 1957, elle a pour compétence d’« assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du présent Traité »1.

Or, en 1957, l’objectif poursuivi par la conclusion du Traité instituant la Communauté économique européenne est une intégration économique généralisée des Etats membres. La C.J.C.E. est chargée initialement d’appliquer et d’interpréter des droits principalement de nature économique. Dès lors les rédacteurs du traité n’ont intégré aucune déclaration de droits de l’homme, ou encore, aucun énoncé de droits fondamentaux. Cette affirmation doit toutefois être nuancée. Certaines dispositions du Traité de Rome prévoient la protection de droits fondamentaux.

1 Article 164, Traité instituant la Communauté économique européenne, 25 mars 1957, http://eur-lex.europa.eu/fr plus précisément http://eur-lex.europa.eu/fr. Cet article est devenu l’article 220 dans la version consolidée du Traité sur l’Union européenne et du Traité instituant la Communauté européenne, J.O.U.E., n° C 321 E/1, 29 décembre 2006 ; http://eur-lex.europa.eu. Cet article est devenu l’article 19 dans la version consolidée du Traité sur l’Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, J.O.U.E., n° C 115 du 9 mai 2008 ; http://eur-lex.europa.eu.

171 Cependant, sont uniquement inscrits des droits fondamentaux de nature économique. Cette reconnaissance a pour seul objectif d’assurer la construction économique de la Communauté européenne. La volonté des rédacteurs du traité n’est pas de protéger des droits individuels. A l’origine, aucune disposition du Traité de Rome ne renvoie par conséquent à la Conv.E.S.D.H. et ne donne compétence à la C.J.C.E. pour statuer en se fondant sur cette Convention. Les Communautés européennes n’ont de plus pas adhéré à la Conv.E.S.D.H.1

L’élaboration du droit communautaire des droits fondamentaux est en réalité l’œuvre de la jurisprudence audacieuse2 de la C.J.C.E. La Cour de Luxembourg fait preuve de hardiesse, puisqu’elle élabore sa jurisprudence sans référence aux traités communautaires. Elle commence par affirmer l’appartenance des droits fondamentaux de la personne aux principes généraux du droit communautaire3. Afin d’assurer le respect de ces droits, elle indique ensuite être tenue de s’inspirer des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres.4 Elle précise également devoir tenir compte des accords internationaux conclus par les Etats membres5.

Une fois la Conv.E.S.D.H. ratifiée par l’ensemble des Etats membres de la Communauté européenne6, la C.J.C.E. fait expressément référence à la Convention comme fondement de principes généraux du droit communautaire7. La Conv.E.S.D.H. devient alors

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A propos de l’éventuelle adhésion de la Communauté européenne et/ou de l’Union européenne à la Conv.E.S.D.H., v. O. DE SCHUTTER, « L’adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’homme comme élément du débat sur l’avenir de l’Union », in E. BRIBOSIA et M. DONY, L’avenir

du système juridictionnel de l’Union européenne, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2002, pp.

205-256 ; J.-P. JACQUÉ, « Communauté européenne et Convention européenne des droits de l’homme », in E.

DECAUX, P. H. IMBERT et L.-E. PETTITI, La Convention européenne des droits de l’homme. Commentaire article par article, op. cit., pp. 94-100 ; J. RIDEAU, Le rôle de l’Union européenne en matière de protection des droits de l’homme, Académie de droit international de La Haye, Lille, Recueil des Cours, t. 265, 1997, pp.

32-37.

2 F. PICOD, « Les sources », in H. LABAYLE et F. SUDRE (ss dir.), Réalité et perspectives du droit

communautaire des droits fondamentaux, Droit et justice, n° 27, Némésis, Bruylant, Bruxelles, 2000, pp.

134-151.

3

C.J.C.E., 12 novembre 1969, Stauder c. Ville d’Uhlm-Sozialamt, aff. 29-69, Rec. C.J.C.E., 1969, XV, pp. 419-426, spéc. pt. 7, p. 425 ; K. ROEMER, conclusions de l’avocat général, Rec. C.J.C.E., p. 427.

4 C.J.C.E., 17 décembre 1970, Internationale Handelgesellschaft mbH c. Einfuhr- und Vorratstelle für getreide

und Futtermittel, aff. 11-70, Rec. C.J.C.E., 1970, pp. 1125-1141, spéc. pt. 4, p. 1135 ; A. DUTHEILLET DE LAMOTHE, Conclusions de l’Avocat général, 2 décembre 1970, Rec. C.J.C.E., 1970, pp. 1141-1158.

Réaffirmé dans C.J.C.E., 14 mai 1974, Nold, Kohlen- und Baustoffgrosshandlung c. Commission des

Communautés européennes, aff. 4-73, Rec. C.J.C.E., 1974-I, pp. 491-510 ; A. TRABUCCHI, Conclusions de

l’Avocat général, 28 mars 1974, Rec. C.J.C.E., 1974-I, pp. 510-516.

5

C.J.C.E., 14 mai 1974, Nold, Kohlen- und Baustoffgrosshandlung c. Commission des Communautés

européennes, aff. 4-73, pt. 13, op. cit., p. 508.

6 La République française est le dernier Etat à ratifier la Conv.E.S.D.H. le 3 mai 1974.

7 C.J.C.E., 28 octobre 1975, Ruttili c. Ministre de l’Intérieur, aff. 36-75, Rec. C.J.C.E., 1975-II, pp. 1219-1237 ;

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sa « source matérielle principale des droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire »1, comme le souligne Monsieur Sudre.

La démarche de la C.J.C.E. se trouve relayée et ratifiée par les traités communautaires qui consacrent sa jurisprudence. Monsieur Sudre considère que les traités communautaires « constitutionnalisent »2 la construction prétorienne de la C.J.C.E. en matière de droits fondamentaux. La première référence aux droits fondamentaux se manifeste à travers une déclaration des Etats membres dans l’Acte unique européen en date des 17 et 28 février 19863. Cette déclaration ne modifie cependant pas l’état du droit positif de l’époque. Elle ne fournit pas de fondement textuel à l’intervention de la C.J.C.E. en cette matière.

Le Traité de Maastricht sur l’Union européenne4 du 7 février 1992 marque en revanche une avancée significative dans la constitutionnalisation de la construction prétorienne des droits fondamentaux communautaires. L’apport essentiel consiste en la reconnaissance du respect par l’Union européenne des droits garantis par la Conv.E.S.D.H.5

. le Traité de Maastricht consacre ainsi la jurisprudence de la C.J.C.E. en matière de droits fondamentaux. Il n’accorde cependant pas à la Cour la compétence pour connaître de ces droits. La consécration de sa jurisprudence laisse néanmoins penser que le Traité contient une reconnaissance implicite de compétence en la matière.

Cette compétence est expressément attribuée à la C.J.C.E. par le Traité d’Amsterdam modifiant le traité sur l’Union européenne et les Traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes6. La C.J.C.E. trouve ainsi une base juridique textuelle afin de protéger les droits fondamentaux en ayant recours à la Conv.E.S.D.H., malgré l’absence d’adhésion de l’Union européenne et de la Communauté européenne à la Convention. Ce fondement juridique se trouve renforcé par l’adoption du Traité de Lisbonne

1 F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., § 100, p. 145.

2

F. SUDRE, « Introduction », in F. LABAYLE et F. SUDRE, Réalité et perspectives du droit communautaire

des droits fondamentaux, op. cit., pp. 13 et 15-17. F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., pp. 149-150.

3 J.O.C.E., n° L169, 29 juin 1987, http://eur-lex.europa.eu.

4 J.O.C.E., n° C 191, 29 juillet 1992 ; http://eur-lex.europa.eu.

5

I. PINGEL-LENUZZA, "La garantie politique", in H. LABAYLE et F. SUDRE, Réalité et perspectives du

droit communautaire des droits fondamentaux, op. cit., p. 534.

6 Traité d’Amsterdam modifiant le traité sur l’Union européenne et les traites instituant les Communautés européennes et certains actes connexes, 2 octobre 1997, J.O.C.E., n° C 340, 10 novembre 1997 ; http://eur-lex.europa.eu.

173 le 13 décembre 20071, entré en vigueur le 1er décembre 20092. Ce dernier prévoit en effet l’adhésion de l’Union européenne à la Conv.E.S.D.H.

En conséquence, la C.J.C.E., devenue la Cour de justice de l’Union européenne avec l’adoption du Traité de Lisbonne3

, acquiert la compétence de se prononcer sur la protection des droits fondamentaux de la personne. Dans ce cadre, elle refuse de reconnaître le droit fondamental à l’inviolabilité du domicile des personnes morales.

B – Le refus du juge communautaire de reconnaître l’inviolabilité du domicile des personnes morales.

La C.J.C.E. a été amenée à se prononcer sur l’existence d’un principe général du droit communautaire à l’inviolabilité du domicile, en particulier applicable aux locaux commerciaux des personnes morales, en interprétant notamment l’article 8, paragraphe 1, de la Conv.E.S.D.H. Elle a été confrontée à ce problème dans son arrêt du 21 septembre 1989 Hoechst A.G. c. Commission des Communautés européennes4.

1

Traité de Lisbonne modifiant le Traité de l’Union européenne et le Traité instituant la Communauté européenne, 13 décembre 2007, J.O.U.E., n° C 306, 17 décembre 2007 ; http://eur-lex.europa.eu.

2 L’article 1er paragraphe 2 b) du Traité de Lisbonne modifie les dispositions de l’article 1er alinéa 3 des dispositions générales du Traité sur l’Union européenne et du Traité instituant la Communauté européenne. Il découle de ces modifications que le Traité instituant la Communauté européenne devient le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et que l’Union européenne se substitue et succède à la Communauté européenne. Art. 1er, § 2 b), Traité de Lisbonne modifiant le Traité de l’Union européenne et le Traité instituant la Communauté européenne, 13 décembre 2007, J.O.U.E., n° C 306, 17 décembre 2007, p. 10 ; http://eur-lex.europa.eu.

3 Néanmoins, il est pris le parti dans la présente étude de conserver les anciennes dénominations des juridictions de l’Union européenne, dans la mesure où la jurisprudence étudiée est antérieure à l’adoption du Traité de Lisbonne. C’est également pourquoi l’expression « juge communautaire » est préférée à celle de « juge de l’Union européenne »

4 C.J.C.E., 21 septembre 1989, Hoechst c. Commission des Communautés européenne, aff. jointes 46-87 et 227-88, Rec. C.J.C.E., 1989, pp. 2919-2935 ; K. ARNOLD, J. THIEFFRY, et P. VAN DOORN, « Les pouvoirs d’enquête de la Commission C.E.E. en droit de la concurrence. Commentaire des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes des 21 septembre 1989 (Hoechst AG), 17 octobre 1989 (Dow Benelux NV), 17 octobre 1989 (Dow Chemical Iberica SA), 18 octobre 1989 (Orkem) et 18 octobre 1989 (Solvay et Cie) », Gaz.

Pal., 1990, doct., pp. 309-313 ; J. C. BONICHOT, Rev. sc. crim., 1990, pp. 160-165 ; M. C. BOUTARD-LABARDE et L. VOGEL, J.C.P. G., 1990, II, 21436 ; M. C. BOUTARD-BOUTARD-LABARDE et L. VOGEL, J.C.P. E., 1990, II, 15776, pp. 339-342 ; L. CARTOU, « La protection des locaux professionnels d’une entreprise en

droit communautaire », L.P.A., 29 novembre 1989, n° 143, pp. 26-29 ; Vl. CONSTANTINESCO et D.

SIMON, J.D.I., 1990, pp. 459-461 ; E. DÉAL, op. cit., pp. 174-177 ; S. FLOGAITIS, « Droits fondamentaux

et principes généraux du droit administratif dans la jurisprudence de la Cour de justice. Trois arrêts en matière de concurrence », Rev. eu. dr. pub., 1992, vol. 4, n° 2, pp. 291-307 ; C. GAVALDA et C. LUCAS DE LEYSSAC,

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En l’espèce, la société Hoechst A.G. est une société commerciale dont l’activité consiste à produire et vendre du PVC et du polyéthylène. Soupçonnant l’existence d’ententes1 entre certains producteurs et fournisseurs de ces substances, notamment la société Hoechst A.G., sur le marché intérieur, la Commission des Communautés européennes décide d’ouvrir une enquête. Elle adopte le 15 janvier 1987 plusieurs décisions2 ordonnant à diverses entreprises, dont la requérante, de se soumettre à des vérifications concernant leur participation éventuelle à des ententes sur le marché communautaire des produits thermoplastiques. Ces décisions permettent aux agents de la Commission de se présenter dans une entreprise, afin de mener leurs investigations.

La société Hoechst A.G. refuse de se soumettre aux vérifications à trois reprises, considérant qu’il s’agit de perquisitions. Après avoir obtenu des autorités judiciaires allemandes un mandat de perquisition, les agents de la Commission réussissent à réaliser leur enquête. La société Hoechst A.G. saisit alors la C.J.C.E. d’un recours en annulation notamment de la décision de vérifications.

S’agissant, selon elle, d’une véritable procédure de perquisition, elle invoque le respect du droit fondamental à l’inviolabilité du domicile. Elle se fonde sur « les ordres constitutionnels communs aux Etats membres [des Communautés européennes pour affirmer qu’]il existe, au niveau communautaire, un droit fondamental garantissant la protection du domicile »3. Elle considère que ce droit fondamental s’applique également à la protection des locaux commerciaux des personnes morales. La Commission des Communautés européennes partage l’opinion de la société requérante quant à l’existence d’un principe général du droit

D., 1990, somm., pp. 112-113 ; M.-A. HERMITTE, J.D.I., 1990, pp. 480-483 ; B. JANSEN, « Les pouvoirs

d’investigation de la Commission des Communautés européennes en matière de concurrence (observations au sujet des arrêts de la Cour des 21 septembre, 17 et 18 octobre 1989) », Revue du marché commun, 1990, n° 342, pp. 696-701 ; P. MENGOZZI, « Les principes fondamentaux du droit communautaire et le droit des Etats membres », Rev. dr. un. eur, 1er juillet 2002, pp. 438-440 ; J.-P. PUISSOCHET, « La Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de justice des Communautés européennes et la protection des droits de l’homme », in

P. MAHONEY, F. MATSCHER et L. WILDHABER (ss dir.), Mélanges Ryssdal, Protection des droits de l’homme, la perspective européenne, Berlin, Bonn, Köln, München, éd. Carl Heymanns Verlag KG, 2000, pp.

1139-1151.

1 Les ententes sont des pratiques anticoncurrentielles consistant en des accords ou des pratiques concertées concernant notamment la fixation de prix et de quotas de livraison entre entreprises, comme en l’espèce. Ces ententes sont interdites par l’article 85 du Traité instituant la Communauté économique européenne, http://eur-lex.europa.eu. Cet article est devenu l’article 81 dans la version consolidée du Traité sur l’Union européenne et du Traité instituant la Communauté européenne, op. cit. Cet article est devenu l’article 101, depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, dans la version consolidée du Traité sur l’Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, op. cit. ou J.O.U.E., n° C115, 9 mai 2008 ; http://eur-lex.europa.eu.

2 Ces décisions sont prises en vertu de l’article 14 du règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du Traité instituant la Communauté économique européenne,

J.O.C.E., 21 février 1962, p. 204/62.

3

175 communautaire à l’inviolabilité du domicile et à l’extension de son application aux locaux professionnels des personnes morales1.

Dans ses conclusions, l’avocat général, Monsieur Mischo, s’intéresse tout d’abord au droit constitutionnel des Etats membres de la Communauté économique européenne. Il constate qu’ils garantissent, tous, la protection de l’inviolabilité du domicile privé2

, excepté le Royaume-Uni. Ne disposant pas d’une Constitution écrite mais coutumière, la protection de l’inviolabilité du domicile privé est tout de même largement garantie par les tribunaux britanniques3.

Il relève également que l’inviolabilité du domicile privé est protégée par l’article 8 de la Conv.E.S.D.H. La Convention est ratifiée par l’ensemble des Etats membres de la Communauté. Il conclut que, compte tenu des traditions constitutionnelles communes des Etats membres de la Communauté et de la garantie apportée par l’article 8 de la Conv.E.S.D.H., ce droit à l’inviolabilité du domicile est « l’un des droits fondamentaux dont toutes les institutions de la Communauté doivent assurer le respect »4.

Monsieur Mischo se demande alors si ce principe général du droit communautaire s’applique également aux locaux commerciaux des personnes morales. Pour ce faire, il réalise le même raisonnement que précédemment. Il remarque que la solution n’est pas uniforme entre les Etats membres de la Communauté. Il recense en effet trois hypothèses. Certains Etats reconnaissent l’extension de la protection de l’inviolabilité du domicile aux personnes morales. Il s’agit du Danemark, de l’Allemagne, de l’Espagne, de la France, de l’Italie et du Royaume-Uni. D’autres Etats membres de la Communauté refusent en revanche d’admettre une telle extension. Il s’agit de l’Irlande et des Pays-Bas. Enfin, quelques Etats membres n’ont pas encore clairement et définitivement répondu à la question. Il s’agit de la Belgique, du Luxembourg et du Portugal. Il reste le cas particulier de la Grèce dont l’article 9 paragraphe 1 de la Constitution de 1975 prévoit la garantie de l’inviolabilité du domicile aussi bien à l’égard des personnes physiques qu’à l’égard des personnes morales. Il apparaît cependant qu’en matière de concurrence, le législateur adopte une conception stricte de la notion de domicile excluant les locaux commerciaux des personnes morales.

1 Ibid., p. 2870.

2 J. MISCHO, Conclusions de l’Avocat général, 21 février 1989, Rec. C.J.C.E., 1989, pp. 2884-2892.

3 Ibid., p. 2892.

4

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Concernant la Conv.E.S.D.H., l’avocat général considère que l’application de l’article 8, en particulier du droit au respect du domicile, aux personnes morales n’est pas clairement établie. Il laisse entendre, à juste titre, que la Cour E.D.H. doit encore se prononcer sur cette interprétation.

Malgré ces données contradictoires et parfois incertaines, Monsieur Mischo estime qu’il existe une tendance générale au niveau des droits nationaux propice à une assimilation de la protection du domicile des personnes morales à celle garantie aux domiciles des personnes physiques par le droit fondamental à l’inviolabilité du domicile. Il se déclare par conséquent favorable à l’extension du principe général du droit communautaire de l’inviolabilité du domicile aux locaux commerciaux des personnes morales. Dès lors, il invite la C.J.C.E. à adopter cette solution1.

La Cour de justice rejette partiellement la proposition de son avocat général dans son arrêt du 21 septembre 1989. Elle commence par rappeler que les droits fondamentaux de la personne appartiennent aux principes généraux du droit communautaire. Ces droits fondamentaux doivent être en accord avec les traditions constitutionnelles des Etats membres de la Communauté et avec les instruments internationaux auxquels ces mêmes Etats ont adhéré ou seulement coopéré. Elle saisit l’occasion de l’achèvement de la ratification de la Conv.E.S.D.H. par tous les Etats membres de la Communauté pour préciser que cette Convention « revêt à cet effet une signification particulière »2. Elle met alors en œuvre cette méthode d’analyse afin de déterminer s’il existe dans l’ordre juridique communautaire un droit fondamental à l’inviolabilité du domicile.

Au regard des droits nationaux, notamment constitutionnels, des Etats membres de Communauté, la C.J.C.E. consacre le droit fondamental à l’inviolabilité du domicile en tant que principe général du droit communautaire. Elle estime cependant que ce droit s’applique uniquement au domicile privé des personnes physiques3. Elle constate l’existence de divergences significatives au sein des « systèmes juridiques des Etats membres [concernant] la nature et le degré de protection des locaux commerciaux face aux interventions des

1 Ibid., p. 2893.

2 C.J.C.E., 21 septembre 1989, Hoechst c. Commission des Communautés européenne, aff. jointes 46-87 et 227-88, op. cit., pt. 13, p. 2923.

3

177 autorités publiques »1. Elle se doit alors de les prendre en considération. C’est pourquoi elle refuse de reconnaître le droit fondamental à l’inviolabilité du domicile des personnes morales.

La C.J.C.E. affirme en outre que « l’objet de la protection de […] [l’article 8 de la Conv.E.S.D.H. garantissant notamment le droit au respect du domicile] concerne [uniquement] le domaine d’épanouissement personnel de l’homme »2

. Elle en déduit que le droit au respect du domicile garanti par la Convention ne s’applique pas aux locaux commerciaux des personnes morales. La Cour du Luxembourg voit par conséquent renforcé son refus de consacrer l’existence d’un droit fondamental à l’inviolabilité du domicile des personnes morales en droit communautaire.

Elle constate néanmoins, au sein des Etats membres de la Communauté, l’existence d’un principe commun de limitation des interventions des autorités publiques dans les activités privées des personnes tant physiques que morales. Dès lors la Cour de justice accepte de reconnaître au moins l’existence d’un principe général du droit communautaire garantissant une protection de la sphère des activités privées des personnes physiques et morales contre des interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique. Ce nouveau droit permet de pallier quelque peu l’absence d’un droit fondamental à l’inviolabilité du domicile des personnes morales dans l’ordre juridique communautaire.

Une analyse plus approfondie de ce principe général du droit communautaire permet même d’affirmer qu’il protège, malgré tout, indirectement les locaux des entreprises privées. L’objet de la protection de ce principe est certes plus large que celui de l’inviolabilité du domicile tel qu’interprété par la C.J.C.E. Toutefois, ce nouveau droit fondamental poursuit finalement un objectif commun avec le droit à l’inviolabilité du domicile, bien que, pour ce