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UN CONCEPT À L’ORIGINE LIMITÉ AU DOMICILE PERSONNEL LIÉ À LA VIE PRIVÉE PERSONNELLE

En l’absence de définition du domicile dans l’article 8, paragraphe 1, de la Conv.E.S.D.H., la Cour européenne adopte une politique jurisprudentielle similaire à celle relative à la définition de la notion de vie privée. Le juge européen limite le champ d’application du droit au respect du domicile au domicile personnel des personnes physiques. Il en a toutefois une conception large, à l’instar de la vie privée personnelle. Il élabore dès lors des critères de définition du domicile personnel d’interprétation large (§ 1). Il profite par ailleurs de cette jurisprudence pour autonomiser le concept de domicile (§ 2).

§ 1 – Les critères jurisprudentiels d’interprétation large de la définition du domicile personnel.

Le domicile personnel de la personne physique est avant tout un local d’habitation (A). La détention d’un titre légal d’occupation n’est pas obligatoire (B). La qualification de domicile est en revanche subordonnée à l’existence de la volonté de la personne physique d’établir son habitation dans le local, ainsi que la présence de liens étroits entre la personne et ledit local (C). L’occupation de ce dernier doit enfin être permanente (D).

A - La présence d’un local d’habitation.

Il peut paraître évident que la qualification de domicile dépend de l’existence d’un local d’habitation. Il semble dès lors superflu de le préciser et de souligner qu’il s’agit d’un critère de définition de la notion de domicile. Cependant, le juge européen a tout d’abord été amené à souligner cette vérité, puis à l’interpréter.

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Dans l’arrêt Loizidou c. Turquie en date du 18 décembre 19961

, la Cour E.D.H. est saisie par Madame Loizidou d’une requête notamment pour violation de son droit au respect de son domicile par la Turquie. La requérante a élu domicile à Nicosie à Chypre, mais est originaire d’une ville voisine Kyrenia, où elle a acquis un terrain. Au moment de l’occupation turque du nord de Chypre, elle a décidé de commencer la construction d’un appartement sur son terrain, pour en faire son domicile. En raison de l’occupation, les travaux n’aboutissaient pas. Elle n’a pas pu retourner vivre dans sa propriété, l’accès lui ayant été interdit par les forces armées turques2. La Cour européenne indique alors qu’« un bien-fonds sur lequel on envisage d’édifier une maison à des fins d’habitation […] [, ainsi que] la région d’un Etat où l’on a grandi et où la famille a ses racines mais où l’on ne vit plus »3

ne constituent pas des domiciles au sens de l’article 8 de la Conv.E.S.D.H.

La Cour européenne rappelle par cet arrêt que la notion de domicile nécessite, avant toute chose, l’existence même d’un local habitable, destiné à l’habitation4

. La seule présence de liens étroits5 avec un lieu ne suffit pas pour être assimilé à un domicile au sens de la Convention européenne. La question s’est posée de savoir si un véhicule automobile bénéficie de cette qualification. La Commission européenne des droits de l’homme6

répond par la négative dans sa décision X c. Belgique en date du 30 mai 19747.

Le requérant saisit la Commission pour violation de l’article 8 de la Convention européenne au motif que sa voiture fermée a fait l’objet d’une fouille par les agents de police sans son consentement, ni habilitation législative. La Commission européenne considère que

1 Cour E.D.H., 18 décembre 1996, Loizidou c. Turquie, Série A, n° 310 ; V. BERGER, Jurisprudence de la

Cour européenne des droits de l’homme, 12ème éd., Paris, Sirey, Dalloz, 2011, § 270, pp. 760-767 ; J.-P. COT, « La responsabilité de la Turquie et le respect de la Convention européenne dans la partie nord de Chypre »,

R.T.D.H., 1998, pp. 77-116.

2 La Commission européenne des droits de l’homme ne s’est pas prononcée sur la notion de domicile en l’espèce. Elle relève simplement l’absence de violation de l’article 8 de la Convention européenne, la requérante ayant déménagé à Nicosie. Rapp. Com.E.D.H., 8 juillet 1993, Loizidou c. Turquie, req. n° 15318/89, Série A, n° 310, § 68, p. 289.

3 Cour E.D.H., 18 décembre 1996, Loizidou c. Turquie, op. cit., § 66.

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La Cour de cassation partage la même position. V. supra, pp. 39-40.

5 V. infra, pp. 114-117.

6 Selon le système originaire de contrôle de la Conv.E.S.D.H., un individu avait l’obligation de saisir la Commission européenne des droits de l’homme. Il ne pouvait pas saisir directement la Cour E.D.H. La Commission européenne devait se prononcer sur la recevabilité de la requête. S’il y avait lieu, elle devait également émettre un avis sur le fond de l’affaire et saisir ensuite la Cour E.D.H. En raison essentiellement d’un engorgement du rôle des organes de contrôle, le protocole additionnel n° 11 de la Conv.E.S.D.H., adopté le 11 mai 1994 et entré en vigueur le 1er novembre 1998, réforme le système de contrôle confié désormais à un seul organe, la Cour E.D.H. Par conséquent la Commission européenne des droits de l’homme n’est plus.

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107 la notion de domicile au sens de l’article 8 « est une notion précise qui ne […] [peut] être étendue arbitrairement »1.

Elle refuse alors de reconnaître la qualification de domicile à un véhicule stationné sur la voie publique. Il ne s’agit pas en effet d’un local d’habitation. Il importe peu que la personne physique exerce dans son véhicule des activités qui peuvent relever de sa vie privée. Cette interprétation de la Conv.E.S.D.H. est en adéquation avec la conception de la notion de domicile des juridictions françaises2. La solution aurait sans doute été différente si le véhicule automobile se trouvait au sein de l’habitation du requérant. Il est en effet possible d’imaginer que le juge européen aurait dès lors considéré le véhicule comme un bien meuble présent dans le domicile. L’automobile aurait ainsi bénéficié de la même protection de l’article 8 de la Conv.E.S.D.H. que tous les autres biens présents dans l’habitation dans le cadre d’une éventuelle perquisition illégale.

La Cour européenne interprète de manière large le critère du local d’habitation. Les véhicules automobiles ne sont certes pas qualifiés de domicile personnel. La Cour E.D.H. retient en revanche cette qualification, lorsqu’elle se trouve en présence d’une caravane. Dans l’arrêt Buckley c. Royaume-Uni du 25 septembre 19963

, elle étend la notion de domicile personnel garantie par l’article 8 de la Conv.E.S.D.H. à des caravanes au motif notamment4

qu’elles constituent des locaux d’habitation. Elle inclut dans l’extension le terrain attenant à la caravane. Ainsi, elle protège également les dépendances immédiates du domicile. Elle rejoint alors la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation française5.

La Cour E.D.H. prend par conséquent en considération, de manière indirecte, le droit de la minorité tsigane. Elle accorde aux tsiganes le droit à la protection de leur domicile par l’article 8 de la Convention, notamment à l’inviolabilité de leur domicile. Cependant, il est surprenant et regrettable que le juge européen n’ait pas été jusqu’au bout de sa logique. Il ne leur reconnaît pas en effet l’applicabilité de l’article 8 de la Convention européenne au droit d’avoir un mode de vie traditionnel.

1 Idem.

2 V. supra, pp. 71-76.

3 Cour E.D.H., 25 septembre 1996, Buckley c. Royaume-Uni, Rec., 1996-IV p. 1271 ; O. DE SCHUTTER, « Le droit au mode de vie tsigane devant la Cour européenne des droits de l’homme : droits culturels, droits des minorités, discrimination positive », R.T.D.H., 1997, pp. 47-93 ; J.-P. MARGUENAUD et J. RAYNARD,

R.T.D. civ., 2001, § 5, pp. 448-451.

4 V. infra, pp. 121-128.

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Ceci est désormais chose faite. Dans son arrêt Chapman c. Royaume-Uni en date du 18 janvier 20011, la Cour E.D.H. confirme la solution retenue en 1996. Comme le souligne Monsieur Sudre, elle reconnaît que « le droit au respect de la vie privée et familiale de l’article 8 garantit aux membres d’une minorité le droit d’avoir un mode de vie traditionnel »2

. Dans son arrêt Moreno Gomez c. Espagne du 16 novembre 2004, la Cour européenne affirme que « le domicile est normalement le lieu, l’espace physiquement déterminé où se développe la vie privée et familiale. L’individu a droit au respect de son domicile, conçu non seulement comme le droit à un simple espace physique mais aussi comme celui à la jouissance, en toute tranquillité, dudit espace »3.

L’interprétation souple du critère du local d’habitation offre à la personne physique occupant le domicile une protection large de sa vie privée, de sa tranquillité, de sa sécurité et de sa liberté. Cette interprétation permet alors à la Cour E.D.H. de faire de ce critère de définition de la notion de domicile une garantie satisfaisante de l’effectivité de l’inviolabilité du domicile.

Un domicile au sens de l’article 8 de la Conv.E.S.D.H. est en conséquence, avant tout et comme en droit interne4, un local, mobile ou immobile, destiné à l’habitation. La détention d’un titre légal d’occupation n’est pas exigée pour bénéficier de la protection du droit au respect du domicile.

1 Cour E.D.H., 18 janvier 2001, Chapman c. Royaume-Uni, Rec., 2001-I ; J.-P. MARGUENAUD, « Le droit au respect du domicile », in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, G. GONZALEZ, A. GOUTTENOIRE, M.

LEVINET, J.-P. MARGUENAUD et F. SUDRE, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, Paris, Thémis droit, P.U.F., 2011, n° 48, pp. 525-535 ; J.-P. MARGUENAUD et J. RAYNARD, R.T.D. civ., 2001, § 5, pp. 448-451 ; F. SUDRE, « A propos de l’autorité d’un « précédent » en matière de

protection des droits des minorités », R.T.D.H., 2001, pp. 887-915.

2 F. SUDRE, « Convention européenne des droits de l’homme. Droits garantis. Droit au respect de la vie privée et familiale », op. cit., § 54.

3 Cour E.D.H., 16 novembre 2004, Moreno Gomez c. Espagne, § 53, J.-P. MARGUENAUD, « La protection de l’environnement », in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, G. GONZALEZ, A. GOUTTENOIRE, M.

LEVINET, J.-P. MARGUENAUD et F. SUDRE, op. cit., n° 49, pp. 535-545 ; F. G. TRÉBULLE, « A propos

de quelques développements récents des droits environnementaux de l’homme… », Rev. dr. imm., mars - avril 2005, n° 2, pp. 58-102.

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B - La détention d’un titre légal d’occupation non obligatoire.

La Commission européenne des droits de l’homme est la première à interpréter la notion de domicile au sens de l’article 8, paragraphe 1, de la Convention européenne dans sa décision Wiggins c. Royaume-Uni en date du 8 février 19781. Monsieur Wiggins est propriétaire d’une maison sur l’île de Guernesey, où il vit avec son épouse. En vertu de la loi de 1969 sur la règlementation du logement à Guernesey, le couple n’a pas besoin d’un permis de logement, Madame Wiggins étant née sur l’île. Les époux divorcent. Monsieur Wiggins conserve seul la maison et perd alors le droit de résider sur l’île de Guernesey sans agrément. Suite au refus des services du logement de lui délivrer une telle autorisation, il saisit la Commission européenne invoquant notamment la violation de l’article 8 de la Convention européenne par l’administration britannique.

La Commission recherche alors si la maison constitue le domicile du requérant au sens de l’article 8 de la Convention. Elle relève que Monsieur Wiggins est devenu légalement le propriétaire du logement en 1970. Elle constate que, très tôt, il rénove les lieux et emménage avec son épouse dans la maison. La Commission européenne en conclut que la maison constitue le domicile des époux au sens de l’article 8 de la Conv.E.S.D.H.

Elle considère que le départ de l’épouse de l’habitation ne modifie pas la situation de Monsieur Wiggins quant à son domicile. La maison ne cesse pas d’être son domicile au motif qu’il n’a pas l’autorisation légale de l’occuper. La définition du domicile au sens de l’article 8 paragraphe 1 de la Conv.E.S.D.H. ne semble pas par conséquent dépendre, selon la Commission européenne, de sa détermination légale par le droit interne des Etats contractants. Elle dépend alors de circonstances factuelles librement interprétées par le juge européen.

Cette première approche de la définition du domicile, au sens de l’article 8 de la Convention européenne, laisse entrevoir la naissance d’une notion européenne du domicile qui serait autonome par rapport à celles retenues par les Etats membres du Conseil de l’Europe. Cette approche ne peut cependant apparaître comme suffisante et satisfaisante, et cela, pour deux raisons.

1 Rapp. Com.E.D.H., 8 février 1978, Wiggins c. Royaume-Uni, Décisions et rapports, 13, pp. 40-56 ; R. GOY, « La justice de Guernesey et la Cour européenne des droits de l’homme », R.D.I.D.C., 2003, pp. 92-124.

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Tout d’abord, la décision Wiggins c. Royaume-Uni ne constitue qu’une première appréhension de la notion de domicile au sens de l’article 8 de la Convention européenne. Son contenu, sa définition restent encore particulièrement imprécis. Ensuite, cette décision est rendue par la Commission européenne des droits de l’homme1, qui n’avait pas la même autorité que la Cour E.D.H.

La Cour européenne confirme à plusieurs occasions le critère de définition du domicile avancé par la Commission européenne des droits de l’homme, c’est-à-dire l’absence de détention obligatoire d’un titre légal d’occupation. Elle le fait implicitement lorsqu’elle est confrontée pour la première fois à la définition de la notion de domicile dans l’arrêt Gillow c. Royaume-Uni du 24 novembre 19862. Elle renouvelle l’opération dans son arrêt Buckley c. Royaume-Uni du 25 septembre 1996. Néanmoins, elle va au-delà de la simple confirmation implicite de ce critère. Elle se trouve en effet en position pour reconnaître l’autonomie du concept de domicile, ce qu’elle fait de manière implicite.

Elle confirme enfin expressément le critère dégagé par la Commission européenne des droits de l’homme dans son arrêt Prokopovitch c. Russie du 18 novembre 20043, dans lequel elle consacre également l’autonomisation de la notion de domicile4. En l’espèce, la requérante vit en concubinage dans un appartement. Ce dernier n’est cependant pas son lieu de résidence officielle, qui est fixé à son ancienne adresse. Elle ne dispose pas du droit de propriété, ni d’un droit de bail sur l’appartement en cause. Néanmoins, il importe peu à la Cour E.D.H. que la requérante ne détienne aucun titre légal d’occupation. La Cour affirme que « la notion de domicile au sens de l’article 8 ne se limite pas au domicile légalement occupé ou établi »5

.

1 La Commission européenne des droits de l’homme a rendu une décision déclarant irrecevable la requête de Monsieur Wiggins. Par conséquent, la Cour E.D.H., n’ayant pas été saisie, n’a pas eu à se prononcer en l’espèce.

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V. infra, pp. 114-116. Cour E.D.H., 24 novembre 1986, Gillow c. Royaume-Uni, Série A, n° 109, § 46 ; V.

BERGER, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, op. cit., § 193, pp. 525-529 ; G. COHEN-JONATHAN, « Jurisprudence Cour européenne des droits de l’homme », Cah. dr. eu., 1988, pp.

438-490, spéc. p. 466 ; V. COUSSIRAT-COUSTÈRE, « La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en 1986 », A.F.D.I., XXXIII, 1987, pp. 239-263, spéc. p. 255 ; R. GOY, « La justice de Guernesey et la Cour européenne des droits de l’homme », op. cit. ; P. ROLLAND, J.D.I., 1987, pp. 804-805.

3 Cour E.D.H., 18 novembre 2004, Prokopovitch c. Russie, Rec., 2004-XI ; M. NADAUD, J.C.P. G., 2005, I, 169 ; C. PICHERAL, R.D.P., 2005, n° 3, pp. 785 ; F. SUDRE, J.C.P. G., 2005, I, 103. Confirmé par Cour E.D.H., 19 septembre 2006, McKay-Kopecka c. Pologne, non publié, disponible uniquement en version anglaise, http://hudoc.echr.coe.int, absence de numérotation des paragraphes, pp. 9-10 du document disponible sur le site de la Cour E.D.H.

4 V. infra, pp. 128-131.

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111 En définissant ainsi le domicile, la Cour E.D.H. rejoint la conception du domicile adoptée par les juridictions judiciaires françaises1. Surtout, elle garantit, même à l’occupant précaire, la protection de sa vie privée, de sa tranquillité, de sa liberté et de sa sécurité en son domicile et la préserve contre des mesures arbitraires de fonctionnaires.

Le domicile personnel d’une personne physique est, en conséquence, un local d’habitation pour lequel elle n’est pas tenue de disposer d’une autorisation légale d’occupation. Ces critères de définition dégagés par le juge européen forment des garanties satisfaisantes de l’effectivité de l’inviolabilité du domicile. Cependant, cette définition est encore insuffisante. C’est pourquoi la Cour E.D.H. recherche si la personne physique, titulaire du domicile, manifeste la volonté d’établir son habitation en ce lieu. Elle regarde également s’il existe des liens étroits entre le domicile et son titulaire. La Cour européenne dégage ces deux critères de définition dans l’arrêt Gillow c. Royaume-Uni du 24 novembre 1986.

C – La volonté d’établir son habitation et la présence de liens étroits.

La question de la définition du domicile se pose pour la première fois devant la Cour européenne dans son arrêt Gillow c. Royaume-Uni du 24 novembre 1986. En 1957, les époux Gillow achètent un terrain et font construire une maison sur l’île de Guernesey. Ils l’habitent jusqu’en 1960, date à laquelle ils partent vivre à l’étranger. Selon la loi de 1957 sur le contrôle du logement, les époux Gillow n’ont pas besoin d’un permis pour résider dans leur maison. En 1978, ils décident de revenir vivre dans leur propriété à Guernesey, qu’ils avaient louée meublée entre-temps.

Cependant, en vertu de la loi locale de 1969 sur le logement, ils ont perdu leur droit de résidence. Ils doivent alors obtenir un permis des services du logement pour résider dans leur maison, en vertu de la loi de 1975 sur le contrôle du logement à Guernesey. L’ensemble de leurs demandes est rejeté. Les services du logement les poursuivent pour occupation illégale de leur propriété. Ils finissent par vendre, en avril 1980, leur maison, à défaut de pouvoir vivre dedans. Ils décident de former un recours devant la Cour E.D.H., notamment pour violation de leur droit au respect du domicile.

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L’arrêt de la Cour européenne ne met pas en œuvre le principe de l’inviolabilité du domicile. Cet arrêt n’est cependant pas dénué d’intérêt pour la présente étude. Le juge européen est en effet amené à s’interroger sur le sens de la notion de domicile, afin de déterminer si la violation alléguée par les requérants de l’article 8 de la Conv.E.S.D.H. est fondée.

Le gouvernement britannique conteste devant la Commission européenne des droits de l’homme l’affirmation selon laquelle la maison des époux Gillow à Guernesey constitue leur domicile au sens de l’article 8 de ladite Convention. Il relève que les époux Gillow n’avaient aucun lien avec l’île de Guernesey avant leur installation en avril 1956. Il souligne également qu’ils sont partis en 1960 pour l’étranger pendant 18 années, sans jamais revenir. Il considère ainsi que les caractères de stabilité et de durée, nécessaires à la définition du domicile au sens de l’article 8 de la Convention européenne, ne sont pas réunis en l’espèce. Les requérants n’ont pas entretenu, selon le gouvernement britannique, de liens suffisamment étroits et permanents avec leur maison de Guernesey. Il s’appuie par ailleurs sur deux demandes de renseignements relatifs aux conditions de vente de leur maison, au cours des dix-huit années de leur absence, pour affirmer que les époux Gillow ne considéraient pas cette propriété comme leur domicile1.

Malgré cette opposition du gouvernement britannique, la Commission européenne des droits de l’homme n’exclut pas la qualification de domicile au sens de l’article 8 de la Convention. Elle relève que l’absence des requérants, du fait de leurs obligations professionnelles, ne les a pas empêchés de maintenir des liens avec la maison. Elle constate par ailleurs que leur volonté de revenir vivre dans l’habitation s’est concrétisée en 1979. Elle affirme par conséquent que la question de la qualification de domicile au sens de l’article 8 de la Convention relève d’une interprétation du texte et d’un examen au fond de l’affaire qu’elle renvoie à la Cour européenne2.

La Cour de Strasbourg admet la qualification de domicile dans son arrêt du 24 novembre 1986. Le juge européen relève que les époux Gillow n’ont pas choisi de domicile ailleurs qu’à Guernesey, qu’ils s’y sont installés avec leur famille et leur mobilier en 1958, manifestant leur volonté d’établir dans cette maison leur domicile. La Cour de Strasbourg constate en effet que si tel n’avait pas été le cas, les époux Gillow n’auraient pas vendu leur

1 Rapp. Com.E.D.H., 9 décembre 1982, Gillow c. Royaume-Uni, Rec., p. 107 et 117.

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113 précédente demeure dans le Lancashire, avant de venir s’installer à Guernesey en 1956. Par ailleurs, lors de leur départ de l’île en 1960, ils auraient alors vendu cette habitation. La Cour européenne souligne que, malgré ce départ, les époux Gillow ont toujours affirmé vouloir revenir s’installer dans leur maison et conserver ainsi leur domicile pendant leur absence. Cet éloignement, de près de dix-neuf ans, ne les a pas empêchés de conserver la propriété de la