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LA PROTECTION DU DOMICILE PERSONNEL DE LA PERSONNE PHYSIQUE PAR LE JUGE PENAL

Les juridictions judiciaires ont construit leur définition générale du domicile à partir de critères de définition qu’elles ont dégagés tout au long de leur jurisprudence. Elles appliquent cette définition afin d’assurer la protection du domicile personnel de la personne physique, dans la mesure où les critères d’identification de ce domicile ont servi l’élaboration de cette définition générale. Le domicile personnel de la personne physique est entendu au sens premier du terme. En effet, le juge judiciaire reconnaît la protection du local d’habitation de toute personne physique (§ 1) à condition qu’il soit effectivement occupé, la détention d’un titre juridique d’occupation lui important peu (§ 2). Il est intéressant de relever que ces critères de définition rejoignent ceux qui permettaient d’identifier le domicile protégé par le droit romain1. La raison en est sans doute la finalité commune de la protection, à savoir la sauvegarde de la personne.

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§ 1 – Le local d’habitation de toute personne physique.

L’inviolabilité du domicile protège le domicile de toute personne physique. L’article 184 de l’ancien Code pénal réprimait l’introduction « dans le domicile d’un citoyen »1

. Au regard de la lettre du texte, les juridictions judiciaires n’auraient pu, en principe, protéger que le domicile des Français. Cependant, dès 1893, la Cour de cassation affirme que le domicile protégé est « la demeure d’autrui »2. Dans un arrêt du 31 janvier 19143, elle reconnaît l’application de l’inviolabilité du domicile au domicile d’une personne.

La Haute juridiction ne retient pas par ailleurs le terme de citoyen, mais celui de personne dans l’énoncé de sa définition générale du domicile, en 19574. Les juridictions judiciaires n’ont ainsi pas limité leur interprétation et leur définition du domicile protégé à celui du citoyen. Elles reconnaissent la sauvegarde du domicile de toute personne physique. Elles n’ont pas adopté une interprétation littérale de l’article 184 de l’ancien Code pénal. Monsieur Vitu considère que « le mot "citoyen" utilisé par l’article 184 n’a […] aucun sens juridique spécial […] ne pouvant servir à exclure quiconque du bénéfice du texte »5

.

Selon Merle et Monsieur Vitu, « l’examen des décisions rendues [en matière pénale montre] […] que, sous les exigences de la pratique et du bon sens, l’interprétation téléologique ou déclarative l’a rapidement emporté »6

. Cette méthode d’interprétation « attribue […] une importance première au but de la loi. […] Elle se fonde […] sur la volonté déclarée ou présumée du législateur qui doit pouvoir l’emporter quand la lettre a trahi l’esprit de la loi »7.

Les juridictions judiciaires recourent à cette méthode pour interpréter les termes de l’article 184 de l’ancien Code pénal. Le législateur a adopté cet article, en 1810, afin de tirer

1 E. GARÇON, op. cit., p. 723.

2 Cass. crim., 24 juin 1893, Bull. crim., 1893, n° 166, pp. 257-258 ; D.P., 1895, 1, pp. 407-408 ; S., 1893, 1, pp. 491-492. Expression réutilisée dans Cass. crim., 7 juillet 1916, op. cit. ; Cass. crim., 20 octobre 1954, Bull. crim., 1954, n° 303, pp. 522-523 ; D., 1954, p. 784 ; J.C.P. G., 1955, II, 8571 ; Cass. crim., 3 novembre 1955, Bull.

crim., 1955, n° 457, pp. 806-807 ; D., 1956, juris., p. 26.

3 Cass. crim., 31 janvier 1914, Bull. crim., 1914, n° 74, pp. 131-133 ; D., 1918, 1, pp. 76-77 ; S., 1916, pp. 59-60.

4 V., supra, p. 32.

5

R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel. Droit pénal spécial, par A. VITU, vol. 1, op. cit., § 300, p. 249.

6 R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel. Problèmes généraux de la science criminelle. Droit pénal

général, op. cit., § 175, p. 254.

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les conséquences de la consécration de l’inviolabilité du domicile par la Constitution de l’an VIII. Il a ainsi instauré des sanctions pénales en cas d’atteinte portée au principe.

Or, la Constitution du 22 frimaire an VIII a été la première Constitution à consacrer l’inviolabilité du domicile de « toute personne habitant sur le territoire français »1

. Les Constitutions antérieures reconnaissaient l’inviolabilité du domicile du seul citoyen2

. Le domicile des étrangers vivant en France n’était alors pas protégé. La Constitution de l’an VIII a mis fin cette distinction. Elle a admis l’inviolabilité du domicile de toute personne physique, quelle que soit sa nationalité, dès lors qu’elle habitait sur le territoire français.

En interdisant l’introduction dans le domicile du seul citoyen, le législateur a, semble-t-il, commis une erreur de rédaction. Les juridictions judiciaires ont alors interprété l’article 184 de l’ancien Code pénal en se basant sur la volonté du législateur d’appliquer l’inviolabilité du domicile consacrée par la Constitution de l’an VIII. C’est pourquoi, elles ont considéré que le législateur cherchait à protéger le domicile de toute personne habitant sur le territoire français. Elles protègent alors le domicile de toute personne physique.

Lors de l’adoption du nouveau Code pénal3

, le législateur a substitué le terme autrui à celui de citoyen. Les articles 226-4 et 432-8 prévoient ainsi la protection du domicile d’autrui. Le Code pénal prévoit par ailleurs en son article 111-4 que « la loi pénale est d’interprétation stricte »4. Merle et Monsieur Vitu expliquent qu’« interpréter "strictement" [signifie] […] s’en tenir aux frontières des textes […] quitte […] à savoir les porter à l’emplacement que leur assigne l’esprit qui a présidé à la naissance de ces textes. Interpréter strictement, c’est donc faire prévaloir cette méthode téléologique qui a été précédemment décrite »5. En application de cet article 111-4 du Code pénal, les juridictions judiciaires maintiennent ainsi leur interprétation téléologique des dispositions du Code pénal. Elles considèrent que le terme autrui désigne toute personne. Le domicile protégé reste ainsi le domicile de toute personne physique.

Il existe, en conséquence, une continuité certaine entre la jurisprudence judiciaire établie sous l’empire de l’ancien Code pénal et celle rendue après l’entrée en vigueur de

1 Article 76, Constitution du 22 frimaire an VIII, op. cit.

2 Article 9 du Titre IV, Constitution des 3 et 4 septembre 1791, op. cit. ; article 359, Constitution du 5 fructidor an III, op. cit.

3

Loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relative à la répression des crimes et délits contre les personnes, op. cit.

4 Code pénal, op. cit., p. 29.

5 R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel. Problèmes généraux de la science criminelle. Droit pénal

39 l’actuel Code pénal1

. Protéger le domicile de toute personne physique, et non du seul citoyen, offre un champ d’application plus large à l’inviolabilité du domicile. Les garanties individuelles de la personne sont ainsi accrues. Cette interprétation est approuvée. Elle permet de faire de la notion de domicile une garantie satisfaisante de l’effectivité de l’inviolabilité du domicile.

Le domicile personnel de la personne physique protégé par l’inviolabilité du domicile est principalement « tout lieu qui sert d’habitation à un individu »2. Le plus souvent, il s’agit d’une maison3

, même partiellement achevée4 ou d’un appartement5. Toutefois, il peut prendre d’autres formes. Les juridictions judiciaires reconnaissent la qualification de domicile à une chambre louée en meublé chez un particulier6. Cette dernière louée auprès d’un employeur constitue le domicile personnel du salarié, même si la chambre est également utilisée par le patron comme bureau de comptabilité et d’archives7. Une chambre d’hôtel8

ou d’hôpital9 jouit

1 Le Code pénal est entré en vigueur le 1er mars 1994.

2 S., 1916, 1, p. 59.

3 Tr. corr. Montauban, 14 juin 1912, Gaz. Pal., 1913, pp. 244-246 ; Tr. corr. Saint-Malo, 29 mars 1946, S., 1946, 2, p. 112 ; A. COLONMBINI, J.C.P. G., 1947, II, 3709 ; Tr. corr. Romorantin, 21 novembre 1950, Gaz. Pal., 1950, 1er sem., pp. 58-59 ; L. HUGUENEY, Rev. sc. crim., 1951, p. 518 ; C.A. Douai, 26 mai 1845, D.P., 1845, 5, n° 527 ; S., 1887, 2, p. 180 ; C.A. Paris, 22 juin 1849, S., 1850, 2, p. 87 ; D.P., 1851, 2, p. 214 ; C.A. Pau, 16 décembre 1911, D., 1912, 5, pp. 32-33 ; Gaz. Pal., 1912, 1er sem., p. 144 ; L. HUGUENEY, Rev. sc. crim., 1955, p. 521 ; S., 1912, 2, pp. 207-208 ; C.A. Orléans, 19 novembre 2007, n° 07/00257, inédit, http://www.legifrance.gouv.fr ; Cass. crim, 12 janvier 1837, Bull. crim., 1837, n° 9, pp. 10-13 ; Cass. crim., 13 décembre 1890, Bull. crim., 1890, n° 254, pp. 398-399 ; D.P., 1891, 1, p. 286 ; S., 1891, 1, p. 552 ; Cass. crim., 24 avril 1947, Bull. crim., 1947, n° 116, p. 163 ; S., 1948, 1, p. 36, en l’espèce, il s’agissait d’une villa ; Cass. crim., 13 octobre 1982, op. cit. ; Cass. crim., 9 août 1989, n° de pourvoi 88-82978, http://www.legifrance.gouv.fr ; M. VÉRON, Dr. pén., février 1990, n° 2, comm. n° 45, p. 3 ; M. VÉRON, Dr. pén., février 1991, comm. n° 41, p. 4 ; Cass. crim, 28 février 2001, op. cit. ; Cass. crim., 14 septembre 2004, Bull. crim., 2004, n° 206, pp. 737-741.

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Dès lors qu’elle est occupée, même partiellement : Cass. crim., 1er avril 1992, B. BOULAN, Rev. sc. crim., 1993, pp. 121-122.

5 Tr. corr. Chalon-sur-Saône, 17 février 1950, G. LEVASSEUR, J.C.P. G., 1950, II, 5505 ; C.A. Paris, 16 juin 1987, op. cit. ; Cass. crim., 24 juin 1893, op. cit. ; Cass. crim., 22 septembre 1930, Bull. crim., 1930, n° 243, pp. 480-482 ; Gaz. Pal., 1930, 2ème sem., juris., pp. 539-540 ; Cass. crim., 28 janvier 1958, Bull. crim., 1958, n° 94, pp. 161-163 ; J.C.P., G., 1958, IV, p. 34 ; Cass. crim., 26 juillet 1965, Gaz. Pal., 1965, 2ème sem., pp. 331-332 ;

P. BOUZAT, Rev. sc. crim., 1966, pp. 81-82 ; Cass. crim., 4 janvier 1977, op. cit. ; Cass. crim., 24 avril 1985, op. cit. ; Cass. crim., 22 juin 1997, op. cit.

6 Cass. crim., 20 octobre 1954, op. cit. ; Cass. crim., 26 février 1963, op. cit.

7 Cass. crim., 21 mai 1957, Bull. crim., 1957-1, n° 434, pp. 779-780 ; L. HUGUENEY, Rev. sc. crim., 1957-2, pp. 876-877.

8 Tr. corr. Avignon, 22 novembre 1921, Gaz. Pal., 1922, 1, pp. 478-480 ; Tr. corr. Seine, 15 mars 1951, A.

COLOMBINI, J.C.P. G., 1951, II, 6252 ; L. HUGUENEY, Rev. sc. crim., 1951, pp. 518-519 ; D., 1951, juris.,

pp. 326-327 ; S., 1951, chron., p. 39 ; Cass. crim., 31 janvier 1914, op. cit. ; Cass. crim., 3 novembre 1955, op.

cit. ; Cass. crim., 30 mai 1980, Bull. crim., 1980-1, n° 165, pp. 411-413 ; V. LESCLOUS et C. MARSAT, Dr. pén., novembre 1993, chron. n° 59, pp. 3-6, spéc. p. 4.

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de la qualification de domicile. L’appartement privé d’un ministre situé dans les locaux du ministère bénéficie également de la protection de l’inviolabilité du domicile1

.

L’élément essentiel d’identification est le caractère habitable du local, méritant d’être protégé. Comme le souligne Monsieur Sid Ahmed, ce « critère d’habitabilité […] est au centre de la notion de domicile en procédure pénale comme en droit pénal »2. La Cour de cassation exige ainsi que le local soit pourvu « des équipements nécessaires à une habitation effective »3. C’est pourquoi un appartement dévasté par une explosion4

ou « partiellement détruit [par un incendie] et devenu inhabitable a perdu toute affectation de domicile »5. Un édifice consacré à l’exercice d’un culte6

, les locaux collectifs d’une caserne de pompier7, une école désaffectée8 ainsi qu’un hall d’hôtel9 ne sont pas des locaux d’habitation. Il en est de même d’une hutte de chasse. Cette dernière constitue « un poste d’observation pour le chasseur, dépourvu des équipements les plus élémentaires propres à caractériser le domicile »10, notamment l’absence de raccordement au réseau électrique et de desserte en eau courante11.

Par analogie, un bateau mesurant cinq mètres de long n’est pas un local d’habitation, puisqu’« il s’agit d’une petite embarcation, sans aucun aménagement, […] serv[ant] […] [uniquement] de moyen de transport »12. Toutefois, il en va autrement d’« un yacht de plaisance, [d’]un voilier de haute mer ou [d’]une péniche »13

. Ces bateaux constituent des locaux d’habitations pouvant bénéficier de la qualification de domicile et ainsi être protégés par l’inviolabilité du domicile.

1

Cass. crim., 4 juin 1971, op. cit.

2 K. SID AHMED, op. cit., § 178, p. 148.

3 Cass. crim., 17 octobre 1995, Bull. crim., 1995-2, n° 310, pp. 851-854, spéc. p. 854 ; D., 1996, somm., pp. 256-257.

4

Cass. crim., 3 mars 1987, Dr. pén., 1994, comm. n° 194, p. 19 ; V. LESCLOUS et C. MARSAT, Dr. pén., août - septembre 1994, chron. n° 59, pp. 4-5.

5 Cass. crim., 31 mai 1994, Bull. crim., 1994-1, n° 213, pp. 522-525 ; J.C.P., G., 1994, IV, 2025 ; Dr. pén., août - septembre 1994, comm. n° 194, pp. 17-19 ; V. LESCLOUS et C. MARSAT, Dr. pén., août - septembre 1994, chron. n° 59, pp. 4-5 ; A. MARON, J.-H. ROBERT et M. VÉRON, J.C.P., G., 1995, I, 3819, n° 12, pp. 54-55, spéc. p. 55.

6 Cass. crim, 12 janvier 1837, op. cit.

7

Cass. crim., 17 mai 1993, V. LESCLOUS et C. MARSAT, Dr. pén., novembre 1993, chron. n° 59, pp. 3-6, spéc. pp. 3-4.

8 C.A. Pau, 24 avril 2008, n° 07/00858, inédit, http://www.legifrance.gouv.fr.

9 Cass. crim., 6 avril 1993, V. LESCLOUS et C. MARSAT, Dr. pén., novembre 1993, chron. n° 59, pp. 3-6, spéc. pp. 3-4.

10

Cass. crim., 9 janvier 1992, Bull. crim., 1992-1, n° 6, pp. 15-17, spéc. p. 17 ; J.C.P. G., 1992, IV, 1205 ; A.

MARON, J.-H. ROBERT et M. VÉRON, J.C.P., G., 1995, I, 3819, n° 12, pp. 54-55, spéc. p. 55.

11 Cass. crim., 6 mai 2002, J.-H. ROBERT, Dr. pén., 2002, n° 10, comm. n° 130, pp. 19-20.

12 Cass. crim, 20 novembre 1984, Bull. crim., 1984-2, n° 355, pp. 937-940, spéc. p. 939.

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41 D’autres véhicules que les bateaux peuvent être spécialement aménagés pour l’habitation. L’article R 111-37 du Code de l’urbanisme donne une définition précise de la notion de caravane. Il dispose que « sont regardés comme des caravanes les véhicules terrestres habitables qui sont destinés à une occupation temporaire ou saisonnière à usage de loisir, qui conservent en permanence des moyens de mobilité leur permettant de se déplacer par eux-mêmes ou d'être déplacés par traction et que le code de la route n'interdit pas de faire circuler »1. Les camping-cars et les caravanes peuvent être qualifiés de domicile2. Certains trains se sont vus également aménagés des wagons couchettes. A l’instar de la chambre d’hôtel, les cabines de ces wagons sont le domicile du voyageur le temps du voyage, tout comme les cabines des bateaux de croisières.

L’assimilation à un local d’habitation d’une tente de camping mérite d’être soulevée. Madame Matsopoulou affirme que la Chambre criminelle de la Cour de cassation admet, dans son arrêt du 18 octobre 19723, que constitue un domicile « la tente sous laquelle vivent les vacanciers »4. L’étude de l’arrêt révèle cependant que la Haute juridiction n’est pas saisie d’une violation de domicile ou d’une question liée à une perquisition. Le problème de droit porte sur l’application de la légitime défense d’un lieu habité. La Chambre criminelle casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dont elle était saisie, au motif notamment que les juges du fond ne l’ont pas mise en mesure de vérifier si le fait justificatif de la légitime défense n’était pas caractérisé en l’espèce. Elle n’a donc pas adopté la solution annoncée par Madame Matsopoulou. L’affirmation est faite, en revanche, par l’annotateur de l’arrêt. Il profite des faits de l’espèce pour ouvrir son analyse. Il considère alors « qu’une tente de camping, située sur un terrain privé et clos, constitu[e] un domicile »5.

S’agissant d’un abri en toile portatif, une tente de camping a certes un caractère précaire. Cependant, elle est destinée à permettre l’hébergement des personnes physiques, généralement de manière temporaire. Elle est spécialement aménagée à cet effet. Elle peut être alors assimilée à un local d’habitation. Une analogie avec une hutte de chasse ne paraît

1

Article R 111-37, Code de l’urbanisme, 21ème éd., Paris, Dalloz, 2012, p. 1740.

2 Cass. crim., 30 octobre 2006, Bull. crim., n° 261, pp. 964-966 ; A.J.D.I., n° 4/2007, p. 315 ; J. HAUSER,

R.T.D. Civ., 2007, n° 1, chron., pp. 87-88 ; T. GARÉ, D., 2007, pan., pp. 2638-2639 ; Y. MAYAUD,

« Chronique de jurisprudence. Infraction contre les personnes », Rev. sc. crim., janvier - mars 2007, n° 1, pp. 76-84, spéc. § 4 pp. 83-84 ; G. ROUJOU de BOUBÉE, Rev. dr. imm., 2007, p. 85 ; C. SAAS, A.J. Pén., janvier 2007, p. 32 ; M. VÉRON, Dr. pén., janvier 2007, n° 1, comm. n° 7, p. 16. En l’espèce, la qualification de domicile a été refusée à une roulotte, car elle n’était pas occupée par celui qui invoquait la violation de domicile.

3 Cass. crim., 18 octobre 1972, Gaz. Pal., 1973, 1er sem., pp. 100-101.

4 H. MATSOPOULOU, « Violation de domicile », op. cit., § 19.

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pas pertinente pour refuser la qualification de domicile à une tente de camping. L’absence de connexion aux réseaux d’eau potable et électrique n’est en effet pas convaincante. Le concept même du camping consiste justement à vivre en plein air. Les tentes de camping sont en outre le plus souvent installées de nos jours sur des terrains spécialement aménagés. Ces terrains sont munis d’installations sommaires, tels qu’abris, eau potable, sanitaires. Ils pourvoient ainsi aux carences de la tente en équipements nécessaires à l’habitation. Même en l’absence de jurisprudence, il est permis par conséquent d’affirmer qu’une tente constitue un local d’habitation pouvant bénéficier de la qualification de domicile. Il s’agit bien du lieu où le campeur, qui occupe la tente, peut se dire chez lui.

Un détenu n’est pas en revanche en droit de se dire la même chose s’agissant de sa cellule, selon la Cour de cassation. Dans un arrêt du 18 octobre 19891, la Haute juridiction considère qu’une cellule de maison d’arrêt ne constitue pas le domicile du détenu. La Cour d’appel de Paris précise, dans son arrêt du 2 décembre 1988, objet du pourvoi en cassation, qu’ « une cellule de maison d’arrêt ne saurait constituer un domicile, dès lors qu’on ne l’a pas choisi »2.

La solution est justifiée pour Monsieur Doucet. « Une personne condamnée à l’emprisonnement se trouve par hypothèse privée de liberté, d’indépendance et de vie privée […]. Elle ne peut dès lors plus avoir de domicile, mais une simple adresse »3. Il est vrai qu’un détenu perd, par son incarcération, sa liberté et son indépendance. Il ne perd cependant pas l’exercice de toute vie privée, en tout cas aujourd’hui. Dans sa cellule, le détenu peut exercer des activités qui relèvent de sa vie privée. Il peut, en effet, écrire ou lire son courrier4, s’habiller ou encore se soigner, au sens premier du terme. Certes un détenu est rarement seul dans sa cellule compte tenu de la surpopulation carcérale, excepté en cas de placement en isolement. La vie privée du détenu est alors limitée, non seulement parce qu’il est privé de liberté, mais aussi parce qu’il partage sa cellule avec des co-detenus. Elle doit, bien évidement, l’être également par les nécessités de surveillance, dont l’autorité pénitentiaire est en charge. Ses agents doivent avoir le droit de pénétrer dans les cellules à tout moment.

1 Cass. crim., 18 octobre 1989, J.-P. DOUCET, Gaz. Pal., 1990, 1er sem., chron. de dr. et de juris. crim., p. 235 ; http://www.legifrance.gouv.fr.

2 Idem.

3 J.-P. DOUCET, op. cit.

4 Même si ce courrier peut être lu par les autorités pénitentiaires et transmis au ministère public si nécessaire, cette lecture n’est pas systématique, préservant ainsi un minimum de vie privée au détenu.

43 Toutefois, comme l’affirme Madame Rassat, cette obligation « relève d’un fait justificatif qui ne conduit pas à interdire de considérer […] ces cellules comme des domiciles à l’égard de toutes personnes autres que celles qui sont précisément autorisées à y pénétrer (les co-détenus non occupants de la même cellule par exemple) »1.

La cellule bénéficie d’aménagement permettant au détenu de vivre à l’intérieur. A l’instar d’une chambre de bonne, elle contient un minimum de meubles meublants, tels que des lits, une table, un évier, des sanitaires. La cellule pourrait ainsi être qualifiée de local d’habitation. Admettre une telle qualification pourrait néanmoins soulever des critiques. Or, au regard de la définition générale du domicile, la Cour de cassation n’attache pas d’importance à l’affectation donnée au local. Il reste ainsi toujours possible de considérer la cellule comme un domicile. Malgré sa privation de liberté, le détenu possède quelques biens personnels2. Il occupe alors de manière effective3 la cellule. Il importe peu qu’il ne détienne aucun titre juridique d’occupation.

Pour refuser la qualification de domicile à une cellule, la Cour d’appel de Paris invoque cependant l’absence de volonté du détenu d’établir en ce lieu son domicile. Le détenu n’a effectivement pas choisi a priori de vivre dans sa cellule. Libre, il ne resterait certainement pas résider au sein de l’établissement pénitentiaire. La quasi-totalité des détenus finit toutefois, plus ou moins rapidement, par se résigner et par accepter de vivre en détention. Dans une certaine mesure, il est alors possible de considérer que le détenu a choisi d’établir son domicile en sa cellule pour le temps de sa détention.

Il suffirait que les juridictions judiciaires adoptent une interprétation large de la notion de volonté. Le juge judiciaire pourrait justifier le recours à cette méthode par la nécessité de protéger le minimum de vie privée, de sécurité et de tranquillité que possède le détenu dans sa cellule contre les immixtions des autres prisonniers. Au vu de la définition générale du domicile, la cellule d’un détenu pourrait alors être garantie par l’inviolabilité du domicile. Cette protection devrait toutefois être limitée, compte tenu de la situation du détenu. Le droit d’entrer à tout moment dans la cellule du détenu doit être maintenu au bénéfice des autorités pénitentiaires, au nom du maintien de l’ordre public.

1 M.-L. RASSAT, Droit pénal spécial. Infractions des et contre les particuliers, op. cit., § 408, p. 453.

2 Vêtements, courriers, livres.

3

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Indépendamment de la cellule, les juridictions judiciaires ont une conception large du domicile personnel de la personne physique. Elles justifient la protection de locaux d’habitation variés par la « garantie générale et absolue, [contenue dans le Code pénal], pour la personne, pour sa vie privée, pour le secret dont il a le droit de se couvrir et pour tous les intérêts de fortune et d’honneur qui s’y rattachent »1. En d’autres termes, la conception large du local d’habitation s’explique par la nécessité de protéger la personne de l’occupant, sa liberté, sa vie privée, sa sécurité et sa tranquillité garanties par l’inviolabilité du domicile.

Les juridictions judiciaires définissent ainsi la notion de domicile en cherchant à satisfaire la volonté du législateur. Elles ont alors recours à la méthode d’interprétation