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UNE EXTENSION À LA VIE PRIVÉE SOCIALE ET AU DOMICILE PROFESSIONNEL DE LA PERSONNE PHYSIQUE

La Cour E.D.H. étend les notions de vie privée et de domicile aux notions de vie privée sociale et de domicile professionnel de manière progressive (§ 1). Cette extension est confirmée quelques mois après sa consécration. Le juge européen fait preuve de sagesse dans la mise en application de la définition du domicile professionnel des personnes physiques (§ 2).

§ 1 – L’extension progressive au domicile professionnel.

La Cour européenne réalise tout d’abord un élargissement mesuré du concept de domicile garanti par l’article 8 de la Conv.E.S.D.H. (A). Elle reconnaît ensuite la protection du domicile professionnel des personnes physiques (B).

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A – L’élargissement mesuré du concept de domicile.

L’arrêt Chappell c. Royaume-Uni en date du 30 mars 19891

amorce l’extension de la notion de domicile par la Cour E.D.H. au domicile professionnel des personnes physiques. Le juge européen étend en effet la protection du droit au respect du domicile au domicile mixte. La rédaction de la Cour européenne fait toutefois naître un problème d’interprétation, qui doit être présenté préalablement.

Monsieur Chappell dirige une société qui enregistre des cassettes vidéo et les offre ensuite à ses adhérents. Ces enregistrements se font cependant sans respecter les droits d’auteur. Deux sociétés cinématographiques et deux organismes indépendants défendant les intérêts des producteurs et distributeurs décident d’agir à l’encontre de Monsieur Chappell. Ils obtiennent de la High Cour une ordonnance dite Anton Piller en vue de la détention, de la garde ou de la conservation de tout bien qui se trouve en cause. Il s’agit d’une mesure provisoire préalable à l’introduction de l’instance2

.

L’ordonnance Anton Piller rendue en l’espèce enjoint notamment à Monsieur Chappell et à sa société de laisser les demandeurs accéder immédiatement à des locaux déterminés, afin d’y rechercher et de placer sous leur garde toutes copies piratées des films et tous documents paraissant liés à l’acquisition, la fourniture ou la cession de telles copies. Les locaux sont à la fois le domicile de Monsieur Chappell et ses locaux professionnels3.

L’ordonnance est exécutée en même temps qu’un mandat de perquisition de la police obtenu dans le cadre d’une enquête ouverte au titre de la loi de 1959 sur les publications obscènes4. Lors de l’exécution de l’ordonnance, les demandeurs examinent et saisissent, outre les vidéocassettes, de la correspondance privée. Monsieur Chappell saisit la Commission européenne des droits de l’homme pour violation de l’article 8 de la Convention européenne, notamment de son droit au respect de son domicile.

1 Cour E.D.H., 30 mars 1989, Chappell c. Royaume-Uni, Série A, n° 152-A ; V. COUSSIRAT-COUSTÈRE, « La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de 1989 à 1991 », A.F.D.I., 1991, pp. 581-616, spéc. pp. 603-610 ; P.R., J.D.I., 1990, pp. 712-713.

2 Ibid., §§ 9-10.

3 Ibid., § 26.

4

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Dans son rapport du 14 mars 19851, la Commission européenne relève simplement que les locaux, objet de la perquisition, servent à la fois de domicile et de bureaux au requérant2. Elle considère la requête recevable et saisit la Cour E.D.H.

Après avoir rappelé la procédure et les faits, la Cour européenne examine immédiatement si les conditions de l’ingérence prévues par le paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention européenne sont remplies3. Elle ne se prononce pas expressément sur la notion de domicile prévue au paragraphe 1 de l’article 8. Dès lors, l’interprétation de cet arrêt quant à cette notion porte à discussion.

Le juge européen recherche si l’ingérence dans l’exercice du droit au respect du domicile du requérant remplit les conditions prévues par l’article 8 paragraphe 2 de la Conv.E.S.D.H. Il admet par conséquent que les locaux visités constituent le domicile de Monsieur Chappell. Cependant, dans ces mêmes locaux, Monsieur Chappell exerce également son activité professionnelle. La question est alors de savoir quelle est la nature du domicile reconnu par le juge européen : est-ce uniquement son domicile personnel, s’inscrivant ainsi dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, ou est-ce que ladite Cour reconnaît le droit à la protection du domicile professionnel de la personne physique ?

La lecture de l’arrêt Chappell c. Royaume-Uni ne permet pas d’établir clairement la nature du domicile en cause. L’interprétation de cet arrêt conduit à considérer que la Cour E.D.H. étend la protection de l’article 8 de la Conv.E.S.D.H. au domicile mixte.

Etrangement, dans un premier temps, cet arrêt n’a guère retenu l’attention de la doctrine. Les références à celui-ci et son interprétation par la doctrine se développent uniquement après que la Cour E.D.H. a rendu ses arrêts Niemietz c. Allemagne en date du 16 décembre 19924 et Société Colas Est et autres c. France en date du 16 avril 20021. Avant

1 Rapp. Com.E.D.H., 14 mars 1985, Chappell c. Royaume-Uni, Série A, n° 152-A, pp. 137-161 ; G.

COHEN-JONATHAN et J.-P. JACQUÉ, « Activités de la Commission européenne des droits de l’homme », A.F.D.I.,

1988, pp. 382-407, spéc. p. 399.

2

Ibid., p. 160.

3 Cour E.D.H., 30 mars 1989, Chappell c. Royaume-Uni, op. cit., §§ 51 et s.

4 Cour E.D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, Série A, n° 251-B ; V. BERGER, op. cit., § 200, pp. 543-546 ; V. BERGER, C. GIAKOUMOPOULOS, H. LABAYLE et F. SUDRE, « Droit administratif et Convention européenne des droits de l’homme », R.F.D.A., 1993, chron., pp. 963-1001, spéc. H. LABAYLE et

F. SUDRE, pp. 982-983 ; V. COUSSIRAT-COUSTÈRE, « La jurisprudence de la Cour européenne des droits

de l’homme en 1992 », A.F.D.I., 1992 XXXVIII, pp. 629-662, spéc. pp. 650, 654-655 ; J.-F. FLAUSS, « Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme », A.J.D.A., 1993, pp. 105-120, spéc. p. 114 ; P.

LAMBERT et F. RIGAUX, « Perquisition au cabinet d’un avocat et droit au respect de la vie privée, de la

correspondance et du domicile », R.T.D.H., 1993, pp. 467-481 ; J.-P. MARGUENAUD, « Le droit à la "vie privée sociale" », in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, G. GONZALEZ, A. GOUTTENOIRE, M. LEVINET,

J.-P. MARGUENAUD et F. SUDRE, op. cit., n° 47, pp. 515-525 ; H. MOCK, « Le droit au respect de la vie

131 cela, l’arrêt Chappell c. Royaume-Uni ne fait l’objet que d’un bref commentaire de six lignes par Monsieur Coussirat-Coustère en 1991 dans sa chronique de jurisprudence de la Cour E.D.H. Il indique que la Cour européenne « n’exclut pas que les locaux d’entreprise soient un "domicile" » 2.

Certes, le juge européen ne prohibe pas cette possibilité, dans la mesure où il n’aborde pas la question de la notion de domicile. Néanmoins, il ne l’admet pas pour autant. Selon Monsieur Sudre, l’arrêt Société Colas Est et autres c. France, qui consacre l’existence d’un droit au respect du domicile des personnes morales garanti par l’article 8 de la Cour E.S.D.H., « confirme la solution implicite de l’arrêt Chappell »3. Or, cette interprétation de l’arrêt Chappell c. Royaume-Uni n’emporte pas l’adhésion. Il importe peu en effet que le domicile de Monsieur Chappell soit également les locaux de sa société. La Cour européenne n’est pas saisie par une entreprise, personne morale, pour connaître de la violation de son droit au respect de son domicile, mais par Monsieur Chappell, personne physique4. Elle n’a pas eu alors à se prononcer sur l’applicabilité du droit au respect du domicile aux personnes morales. La Cour E.D.H. n’a pas en conséquence pu leur reconnaître un tel droit, même implicitement.

D’autres auteurs, à l’instar de Monsieur Marguenaud, soutiennent que « dans son arrêt Niemietz, la Cour s’en est tenue à reproduire la solution affirmée par son arrêt Chappell c. Royaume-Uni »5. Dans l’arrêt Niemietz c. Allemagne, la Cour européenne reconnaît le droit au respect du domicile professionnel d’une personne physique. Cette solution serait alors celle

1998, pp. 237-246, spéc. p. 243 ; J.-F. RENUCCI, D., 1993, somm., pp. 387-388 ; S. RUDLOFF, Droits et

libertés de l’avocat dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Notes de recherche présentées pour l’obtention du DEA de droit international), J.F. FLAUSS

(ss dir.), Bruylant, Bruxelles, 1995, pp. 41-46 ; B. ECOCHARD, M. LEVINET, B. PEYROT et F. SUDRE, « Chronique de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – 1992 », R.U.D.H., 1993, vol. 5, n° 1-2, pp. 1-15, spéc. p. 10 ; F. SUDRE, « Les aléas de la notion de "vie privée" dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in Mélanges en hommage à L.-E. Pettiti, Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. 687-705, spéc. p. 694 ; P. TAVERNIER, J.D.I., 1993-2, pp. 755-758.

1

Cour E.D.H., 16 avril 2002, Société Colas Est et autres c. France, Rec., 2002-III.

2 V. COUSSIRAT-COUSTÈRE, « La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de 1989 à 1991 », op. cit., § 58, p. 604.

3

F. SUDRE, « Convention européenne des droits de l’homme. Droits garantis. Droit au respect de la vie privée et familiale », op. cit., § 44. Opinion maintenue dans son ouvrage, v. F. SUDRE, Droit européen et international

des droits de l’homme, 9ème éd., P.U.F., Paris, 2008, § 226-2, p. 463.

4 Opinion partagée par N. MATHEY, « La protection du domicile des personnes morales relève des droits de l’Homme ! », Bull. Joly des Sociétés, 2002, § 214, pt. 9, p. 966 ; et par J. MOULY, « Vie professionnelle et vie privée. De nouvelles rencontres sous l’égide de l’article 8 de la Convention européenne », in F. SUDRE (ss dir.),

Le droit au respect de la vie privée au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, Nemesis,

Bruylant, Bruxelles, 2005, § 25, p. 296.

5 J.-P. MARGUENAUD, in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, G. GONZALEZ, A. GOUTTENOIRE, M.

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rendue implicitement par le juge européen dans l’affaire Chappell. Or, une telle interprétation doit être relativisée.

Il est vrai que les locaux de l’espèce sont ceux dans lesquels Monsieur Chappell exerce son activité professionnelle. La Cour européenne accepte d’exercer son contrôle sur l’existence d’une ingérence dans ces locaux. Il est possible d’en déduire qu’elle reconnaît que des locaux professionnels d’une personne physique peuvent constituer un domicile au sens de l’article 8, paragraphe 1, de la Conv.E.S.D.H. Il faut néanmoins rappeler que Monsieur Chappell vit et habite dans une partie de ces locaux1. Ces locaux professionnels constituent par conséquent, pour partie, également le domicile personnel de Monsieur Chappell. C’est alors, sans nul doute, parce que le domicile personnel du requérant est en cause que la Cour E.D.H. exerce son contrôle. La présence simultanée des locaux professionnels du requérant ne verrouille pas pour autant son intervention.

Si la Cour européenne n’avait pas voulu intégrer les locaux professionnels du requérant dans la notion de domicile au sens de la Convention européenne, elle aurait pu accepter d’exercer son contrôle uniquement sur la perquisition de la chambre de Monsieur Chappell. Il s’agit en effet de la seule pièce des locaux2

pouvant bénéficier, jusqu’à ce jour, de la qualification de domicile personnel au sens de l’article 8 suivant l’interprétation de la Convention européenne.

Monsieur Mouly partage l’analyse selon laquelle la Cour E.D.H. exerce son contrôle au nom du droit au respect du domicile personnel du requérant. Il affirme alors que c’est à ce titre que son activité professionnelle bénéficie de la protection de l’article 8 de la Convention européenne3. Le juge européen maintient ainsi, selon lui, sa notion de domicile limitée exclusivement au domicile personnel, tout en admettant que le domicile personnel ne protège plus uniquement les activités relevant de la vie privée, mais également celles relevant du domaine professionnel du titulaire du domicile, personne physique.

Il est cependant possible de pousser plus avant l’analyse et l’interprétation de cet arrêt. Le juge européen reconnaît implicitement à la personne physique le droit au respect de son domicile professionnel uniquement s’il est en même temps son domicile personnel4

. Monsieur

1 Cour E.D.H., 30 mars 1989, Chappell c. Royaume-Uni, op. cit., § 36.

2

Idem.

3 J. MOULY, op. cit., § 23, p. 295.

4 Opinion partagée par de nombreux auteurs. V. N. DEFFAINS, « Droit au respect du domicile (art. 8). Visites dans les locaux professionnels des sociétés commerciales », Europe, 2002, comm. n° 307, p. 31 ; A. LEPAGE, « Les personnes morales ont droit au respect de leur domicile sur le fondement de l’article 8 de la Convention »,

133 Mathey parle même de « domicile mixte »1. Le domicile étant par excellence le lieu d’exercice de la vie privée de la personne, il est alors possible d’en déduire que la Cour E.D.H. reconnaît également implicitement que la notion de vie privée comprend à la fois la vie personnelle mais également la vie professionnelle d’une personne physique, dès lors qu’elles sont éminemment liées, voire indissociables.

L’extension du domicile au domicile mixte étend la protection de l’inviolabilité du domicile à ces lieux. La sauvegarde de la personne physique, notamment contre l’arbitraire, de sa vie privée, de sa tranquillité, de sa liberté et de sa sécurité se trouve alors élargie à ce domicile. Le juge européen renforce ainsi la notion de domicile et assure des garanties satisfaisantes de l’effectivité de l’inviolabilité du domicile.

Par l’arrêt Chappell c. Royaume-Uni, la Cour européenne étend discrètement le concept de domicile au sens de l’article 8, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et ouvre la voie à une extension expresse et plus précise de cette notion par l’arrêt Niemietz c. Allemagne du 16 décembre 1992.

B – La reconnaissance de la protection du domicile professionnel.

Dans l’arrêt Niemietz c. Allemagne, la Commission européenne est saisie par un avocat, Maître Niemietz, pour connaître notamment de la violation de l’article 8 de la Conv.E.S.D.H. lors d’une perquisition dans son cabinet. Dans son rapport du 29 mai 19912, elle déclare la requête recevable, prenant en compte les caractéristiques de l’activité d’avocat et du local en cause constitutives d’une sphère privée3

. La Cour E.D.H. est alors saisie du litige. Le gouvernement allemand affirme que l’article 8 de la Convention est inapplicable à

D., 2003, somm., p. 1541 ; M. LEVINET, dans sa contribution à l’Institution de Droit européen des Droits de

l’homme sous la direction de F. SUDRE, « Chronique de jurisprudence de la C.E.D.H. : affaires françaises (2002) », R.D.P., 2003, p. 707.

1 N. MATHEY, op. cit., § 9, p. 965. Opinion partagée par B. ECOCHARD, M. LEVINET, B. PEYROT et F.

SUDRE, « Chronique de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – 1992 », op. cit., p. 10.

2 Rapp. Com.E.D.H., 29 mai 1991, Niemietz c. Allemagne, Série A, n° 251-B ; J.-F. FLAUSS, « Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme », A.J.D.A., 1992, pp. 15-35, spéc. p. 31 ; S. RUDLOFF, op. cit., pp. 42-43.

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un cabinet d’avocat. Selon lui, cet article concerne la vie privée et le domicile, non la vie et les locaux professionnels comme en l’espèce1

. Il demande alors à la Cour européenne d’adopter « une analyse exégétique […] [du texte aboutissant à] une approche restrictive […] puisque le texte lui-même parle de "vie privée" et non pas de "vie professionnelle", laquelle paraît exclue de son champ d’application »2

.

Cette argumentation n’est pas accueillie par le juge européen. Globalement, il suit la position adoptée par la Commission européenne des droits de l’homme. Il développe néanmoins un raisonnement plus nourri. Il affirme qu’il est impossible, et au demeurant pas nécessaire, de chercher à définir de manière exhaustive la notion de vie privée. Il déclare que la notion ne doit toutefois pas se « limiter à un "cercle intime" où chacun peut mener sa vie personnelle à sa guise […] [excluant le monde extérieur]. Le respect de la vie privée doit aussi englober, dans une certaine mesure, le droit pour l’individu de nouer et développer des relations avec ses semblables »3.

Or, l’environnement, dans lequel l’individu est le plus à même de développer de telles relations, est principalement et précisément son lieu de travail. La Cour européenne souligne de plus qu’il est souvent difficile de distinguer, au sein des activités d’une personne physique, celles relevant du domaine professionnel et celles du domaine privé. Le risque de créer des inégalités de traitement est important. Le juge européen invoque ainsi, ce que Monsieur Mouly appelle, « l’indivisibilité de la vie privée et de la vie professionnelle »4. Il étend le droit de la personne physique au respect de sa vie privée personnelle à celui de sa vie privée sociale.

Le droit au respect du domicile étant en lien avec le droit au respect de la vie privée, l’extension du concept de vie privée conduit la Cour européenne à étendre dans le même sens la notion de domicile. Dès lors, comme le relève Monsieur Coussirat-Coustère, la Cour européenne estime que « le sens ordinaire des mots "home" et "domicile" n’exclut pas un bureau ou un local professionnel »5 d’une personne physique. Elle constate en outre que de nombreux Etats contractants ont déjà admis l’application de l’article 8 de la Convention européenne à de tels locaux professionnels.

1 Cour E.D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, op. cit., § 27.

2

D., 1993, somm., § 4, p. 387.

3 Cour E.D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, op.cit., § 29.

4 J. MOULY, op. cit., § 23, p. 295.

5 V. COUSSIRAT-COUSTÈRE, « La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en 1992 »,

135 Elle affirme par ailleurs que des inégalités de traitement peuvent apparaître d’une interprétation restrictive de la notion de domicile se limitant au home britannique. Certaines personnes exercent chez elles leur activité professionnelle, alors que d’autres sont amenées à exercer des activités relevant du domaine privé dans le local professionnel. Elle en déduit alors que l’établissement de la distinction entre activités professionnelle et privée exercées dans le local professionnel risquerait de ne pas toujours s’avérer aisée et d’entraîner des inégalités1 et des discriminations. Ces dangers apparaissent inévitables, puisque les personnes physiques, qui exercent leur activité professionnelle dans le lieu qui est simultanément leur domicile personnel, bénéficient déjà de la protection de l’article 8 de la Convention européenne2.

La Cour européenne intègre alors dans le champ de l’article 8 de la Conv.E.S.D.H. certains locaux ou activités professionnels et commerciaux au motif que cette interprétation répond « à l’objet et au but essentiel de l’article 8 : prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics »3. La Cour européenne rejette non seulement l’interprétation exégétique du texte de la Convention européenne, mais elle choisit d’en faire une lecture téléologique, afin d’assurer l’effectivité du droit au respect de la vie privée et celui du domicile, tous deux garantis par son article 8. Comme le relève Monsieur Flauss, elle « entend [par ces extensions] prémunir le plus largement possible l’individu contre les ingérences des pouvoirs publics »4 dans ces droits. Elle reconnaît alors que le cabinet d’un avocat constitue son domicile professionnel5.

Comme le souligne Monsieur Coussirat-Coustère, « quoi que développée à propos de celles d’une personne physique dont vie privée et domicile s’imbriquent souvent aux actes professionnels, un avocat, la motivation de la Cour est assez longue et générale pour valoir au-delà du cas d’espèce »6. La Cour E.D.H. fait franchir par conséquent un saut qualitatif considérable à la notion de domicile au sens de l’article 8 de la Conv.E.S.D.H. Elle l’étend au domicile professionnel de la personne physique. Elle réussi par cette extension à construire une notion du domicile dont les éléments qui la composent sont des garanties satisfaisantes de

1 Cour E.D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, op.cit., § 30.

2 V. supra, pp. 132-136.

3 Cour E.D.H., 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, op. cit., § 31.

4 J. F. FLAUSS, « Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme », A.J.D.A., 1993, p. 114.

5

Solution confirmée par Cour E.D.H., 25 février 2003, Roemen et Schmit c. Luxembourg, § 64, http://hudoc.echr.coe.int : « le terme de « domicile » figurant à l’article 8 peut englober, par exemple, le bureau d’un membre d’une profession libérale ». En l’espèce, il s’agissait de la perquisition d’un cabinet d’avocat.

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l’effectivité de l’inviolabilité du domicile. La protection du domicile professionnel permet, en effet, de sauvegarder la vie privée sociale de la personne physique en son domicile contre les immixtions étatiques arbitraires ou illégales. Sont également garanties la liberté, la tranquillité et la sécurité de la personne physique en ce lieu.

L’extension de la notion de domicile garantie par l’article 8 de la Convention européenne au domicile professionnel des personnes physiques est confirmée quelques mois après l’affaire Niemietz par la Cour européenne qui n’hésite pas, par la suite, à mettre en application cette nouvelle définition du domicile.

§ 2 – La confirmation et la mise en application de cette extension.

Les circonstances de l’affaire Niemietz sont favorables à la reconnaissance de la protection du domicile professionnel de la personne physique par l’article 8, dans la mesure où la perquisition d’un cabinet d’avocat met en jeu le « secret professionnel et […] [le] bon fonctionnement de la justice »1. Malgré l’absence de ces mêmes éléments favorables, la Cour E.D.H. applique à nouveau l’article 8 à des locaux professionnels dans les arrêts Crémieux c. France et Miailhe c. France du 25 février 1993. Elle confirme ainsi la jurisprudence Niemietz (A). Elle met en œuvre par la suite la définition du domicile professionnel de manière éclairée