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Afin de pallier la carence des textes, les juridictions internes, essentiellement judiciaires, ont défini la notion de domicile garantie par l’inviolabilité du domicile. Adoptant une interprétation téléologique de l’article 184 de l’ancien Code pénal, le juge judiciaire a dégagé des critères de définition lui permettant d’identifier tout d’abord le domicile personnel de la personne physique. Ce dernier est un local d’habitation, que la personne physique occupe de manière effective. L’occupant peut alors se dire chez lui, même en l’absence de titre juridique d’occupation.

Les juridictions judiciaires comprennent dans ce domicile ses dépendances. Il s’agit nécessairement d’un lieu ou d’un local clos, dans lequel l’occupation physique humaine est possible. L’affectation qui lui est donnée est sans importance. Ce lieu ou ce local dispose généralement de liens étroits et immédiats avec le domicile personnel de la personne physique.

Le juge judiciaire interprète largement la notion de domicile. Il reconnaît en effet cette qualification au domicile professionnel de la personne physique. Il lui applique l’ensemble des critères jurisprudentiels de définition dégagés à propos du domicile personnel, à l’exception du critère d’habitabilité. Il ne s’attache pas, en effet, à l’affectation donnée au local ou au lieu. Le domicile professionnel peut ainsi être un lieu ou un local où s’exerce un travail, une profession, une industrie ou un commerce, dès lors que la personne physique pratique l’activité de manière effective et régulière. La détention d’un titre juridique d’occupation n’est pas obligatoire. Le juge judiciaire va au bout de sa logique d’extension en reconnaissant la protection des dépendances du domicile professionnel de la personne physique. Il leur applique la définition dégagée à propos des dépendances du domicile personnel.

Le processus jurisprudentiel d’extension de la notion de domicile s’achève enfin par l’application de cette notion, dans sa totalité, au domicile de la personne morale, aussi bien de droit privé que de droit public. Les critères jurisprudentiels de définition du domicile lui sont alors applicables. La détention d’un titre juridique d’occupation n’est pas indispensable. La personne morale doit en revanche occuper, de manière effective, le local ou le lieu, notamment en exerçant son activité de manière permanente. Les juridictions judiciaires exigent enfin que l’accès au lieu ou au local soit réglementé et soumis à autorisation et non

101 ouvert au public. Les dépendances du domicile de la personne morale sont également protégées.

Au regard de ces critères jurisprudentiels de définition de la notion, il apparaît que le domicile protégé par l’inviolabilité du domicile peut être le domicile défini par l’alinéa 1er

de l’article 102 du Code civil, c’est-à-dire le lieu du principal établissement d’une personne. Il ne se limite cependant pas à cette seule idée. Sa conception est bien plus vaste. Elle ne coïncide pas par ailleurs avec les autres types de domicile prévus par ce même Code, tel que le domicile élu ou le domicile légal.

Le juge judiciaire reconnaît la qualification de domicile à des situations très variées. Sans doute dans un souci de transparence, de clarté et de sécurité juridique à l’égard du justiciable, il a élaboré une définition générale du domicile. Il s’est fondé sur les critères jurisprudentiels de définition du domicile. « Le mot domicile […] ne signifie pas seulement le lieu où une personne a son principal établissement, mais encore le lieu où, qu’elle y habite ou non, elle a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux »1. L’intelligibilité de cette définition est à souligner. L’entrée en vigueur de l’actuel Code pénal, le 1er

mars 1994, n’a pas modifié la conception du domicile instaurée par les juridictions judiciaires.

La notion de domicile est, en conséquence, largement interprétée par les juridictions internes. Cette conception étendue doit être approuvée. Elle permet, en effet, de garantir à la personne occupant le domicile une protection plus vaste de sa liberté, de sa vie privée, de sa sécurité et de sa tranquillité en ce lieu, ainsi qu’un renforcement de sa sauvegarde contre l’arbitraire. En d’autres termes, le champ d’application de l’inviolabilité du domicile est élargi ainsi que les garanties individuelles de la personne. Les juridictions internes ont ainsi réussi à instaurer une notion du domicile dont les critères de définition constituent des garanties satisfaisantes de l’effectivité de l’inviolabilité du domicile.

Ce principe n’est pas uniquement garanti par des dispositions de droit interne. Il l’est également par le droit au respect du domicile prévu par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. A l’instar du législateur français, les rédacteurs de la Convention européenne n’ont pas défini la notion de domicile. La définition du domicile au sens de cet article 8 a alors été dégagée par le juge européen.

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Titre 2 : La définition jurisprudentielle extensive de la notion

européenne de domicile.

Malgré les exceptions prévues par son paragraphe 2, l’article 8 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après Conv.E.S.D.H.) énonce notamment le droit au respect du domicile. Ce droit consiste à interdire toute immixtion arbitraire de l’Etat dans le domicile de la personne. La Conv.E.S.D.H. assure ainsi la protection de l’inviolabilité du domicile.

Cet article 8 dispose en effet que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui »1

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Cet article ne définit pas la notion de domicile. La Cour européenne des droits de l’homme (ci-après Cour E.D.H.) est intervenue en la matière. L’étude de sa jurisprudence s’impose même si dans les arrêts étudiés l’Etat français n’est pas forcément l’Etat défendeur. Les arrêts de la Cour s’appliquent en effet aux Etats contractants parties à l’affaire, mais les autres Etats contractants sont cependant tenus, en pratique, de tenir compte de l’ensemble de la jurisprudence de la Cour E.D.H., en vertu du principe de l’autorité de la chose interprétée.

Le fondement de ce principe est double. Il s’appuie tout d’abord sur les dispositions de l’article 32 de la Convention européenne des droits de l’homme selon lesquelles « la compétence de la Cour s’étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention ». L’autorité de la chose interprétée a ensuite clairement été affirmée à plusieurs reprises par la Cour européenne elle-même. Cette dernière considère que ses arrêts « servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au

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103 respect, par les États, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de Parties contractantes »1.

L’analyse de la définition du domicile par le juge européen est indispensable afin de savoir si le juge européen assure l’effectivité de l’inviolabilité du domicile et comment il la garantit. Or, en déterminant la notion de domicile, le juge européen identifie le champ d’application de l’inviolabilité du domicile. En d’autres termes, l’étendue de la sauvegarde de la liberté, de la vie privée, de la sécurité et de la tranquillité de la personne en son domicile dépend étroitement de la portée de la notion de domicile. C’est pourquoi il convient de se demander si les critères qui caractérisent la définition de la notion de domicile établie par la Cour E.D.H. sont des garanties satisfaisantes de l’effective de l’inviolabilité du domicile.

Dans son opinion dissidente jointe à l’arrêt de la Cour E.D.H. du 13 juin 1979 Marckx c. Belgique, le juge Sir Gérald Fitzmaurice affirme que « le principal, sinon le seul objet, le seul champ d’application visé par l’article 8 [de la Conv.E.S.D.H.] était ce […] [qu’il] appelle[…] la "protection domiciliaire" de l’individu. Celui-ci et sa famille ne devaient plus être [notamment] exposés au sinistre toc-toc de quatre heures du matin à la porte »2. La Cour E.D.H. retient tout d’abord cette logique en ne reconnaissant que la protection du domicile des personnes physiques (Chapitre 1).

La recherche de l’effectivité des droits garantis par la Conv.E.S.D.H. a cependant conduit à l’extension souhaitée de la notion européenne de domicile aux personnes morales, notamment au moyen d’une interprétation dynamique de la Convention, par le juge européen. Cette extension fait cependant apparaître de nouvelles problématiques (Chapitre 2).

1 Cour E.D.H., 18 janvier 1978, Irlande c. Royaume-Uni, § 154, Série A, n° 25. Position notamment réaffirmée dans l’arrêt Cour E.D.H., 6 novembre 1980, Guzzardi c. Italie, § 86, Série A, n° 39.

2 G. FITZMAURICE, opinion publiée en annexe de l’arrêt Cour E.D.H., 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, § 7 de l’opinion, Série A, n° 31.

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CHAPITRE 1 : UNE CONCEPTION INITIALEMENT LIMITÉE AU

DOMICILE DE LA PERSONNE PHYSIQUE.

En 1950, les rédacteurs de la Conv.E.S.D.H. restreignent la notion de vie privée à la vie privée personnelle1 de l’individu. La Cour E.D.H. intervient afin de préciser le contenu de cette notion. Elle intègre alors au droit au respect de la vie privée le droit à la liberté de la vie sexuelle, le droit à l’intimité, c’est-à-dire la protection de l’intégrité physique et morale de la personne, des données à caractère personnel, de l’image et du secret de la correspondance. Le juge européen développe progressivement le champ d’application de ces droits2

au moyen de son interprétation dynamique3 de la Convention européenne.

L’esprit de l’article 8 de la Conv.E.S.D.H. est de garantir à l’individu le droit de vivre à l’abri des immixtions arbitraires ou illégales des pouvoirs publics. Comme le souligne Monsieur Russo, « le droit au respect de la vie privée est un des moyens pour assurer à l’individu une sphère dans laquelle il puisse librement poursuivre le déroulement et le développement de sa personnalité »4. Or, le domicile d’une personne constitue le lieu par excellence où elle exerce son intimité, où s’accomplit sa vie privée personnelle. La protection du domicile est ainsi indissociable de la protection accordée à la vie privée de la personne.

La Cour E.D.H. fait dès lors évoluer leur sens de façon homogène afin d’obtenir une harmonie et une complémentarité entre les deux conceptions. Le juge européen commence alors logiquement par développer une notion du domicile limitée à la protection de celui de la personne physique. Dans le cadre de cette construction, il est alors nécessaire de chercher à savoir si la Cour E.D.H. instaure des éléments de définition de ce domicile qui soient des garanties satisfaisantes de l’inviolabilité du domicile.

La Cour limite tout d’abord la notion de vie privée à la vie personnelle et celle de domicile au domicile personnel (Section I) pour ensuite leur reconnaître une nouvelle dimension, celle de « vie privée sociale »5 et de domicile professionnel (Section II).

1 Expression utilisée pour la première fois par Monsieur Marguenaud, idem.

2 F. SUDRE, « Convention européenne des droits de l’homme. Droits garantis. Droit au respect de la vie privée et familiale », Juris-Classeur Europe Traité, fasc. n° 6524, §§ 16-42.

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V. infra, pp. 155-159.

4 C. RUSSO, « Article 8 § 1 », in E. DECAUX, P. H. IMBERT et L.-E. PETTITI (ss dir.), La Convention

européenne des droits de l’homme. Commentaire article par article, 2ème éd., Paris, Economica, 1999, p. 309.

5 Expression utilisée pour la première fois par Monsieur Marguenaud, J.-P. MARGUENAUD, La Cour

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SECTION I – UN CONCEPT À L’ORIGINE LIMITÉ AU DOMICILE PERSONNEL