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Si Ursula Hübler ne mentionne pas les difficultés liées à la reconstruction, cela ne signifie pas que ces difficultés n’ont pas existées. Peut-être peut-on en conclure que le chemin vers une vie nouvelle a été plus aisé pour elle que pour d’autres ou peut-être les événements passés sous silence sont-il encore trop douloureux pour être dévoilés. D’autres études et témoignages nous parviennent qui mettent en lumière tous les obstacles à surmonter lors de l’installation dans ce qui devait devenir une nouvelle patrie. Les premiers pas en Allemagne ne s’effectuaient qu’avec un bagage très léger, lorsqu’il restait toutefois un bagage après les pillages et les fouilles systématiques des gardes de camps. Thomas Stanek précise que, même si les règles devaient être les mêmes pour tous les réfugiés – ils avaient en théorie le droit de prendre un bagage de 30 à 50 kilos, de la nourriture pour trois jours à une semaine, 50, 100 ou 300 Reichsmarks –, dans la pratique, elles changeaient d’un endroit à un autre en fonction de l’honnêteté et de la cupidité des gardes. Ceux qui voulaient piller plus autorisaient les réfugiés à prendre plus162. Dans un ouvrage paru en 2008, Andreas Kossert revient sur ces difficultés, depuis l’internement jusqu’à la reconstruction en République Fédérale d’Allemagne (RFA) ou en République Démocratique d’Allemagne (RDA).

Après avoir trouvé un moyen de rentrer en Allemagne ; soit par leurs propres moyens, soit par l’un des convois organisés par les forces alliés ; les Allemands devaient tout d’abord passer par une première étape qui consistait à les prendre en charge médicalement afin de les vacciner, de leur administrer un traitement contre les poux et autres acariens puis de les enregistrer. Ce travail devait être effectué par les autorités allemandes, puis la Croix-Rouge et/ou l’Eglise prenait en charge ces réfugiés afin de leur trouver un toit. Cette prise en charge vient contredire les affirmations de Michael Antoni : les autorités sanitaires étaient bien liées par les accords de Potsdam puisqu’elles avaient en charge la réception des expulsés. D’après Kossert, peu d’Allemands répondirent à l’appel lorsqu’il s’agît de partager son foyer avec les réfugiés. Certains refusèrent même de mettre à disposition une chambre pour leurs compatriotes expulsés, comme cet habitant qui fit classer les dix-huit chambres de son habitation comme monuments historiques afin de ne pas avoir à accueillir de réfugiés163. L’un

162 Stanek, Thomas, « 1945, Das Jahr der Verfolgung. Zur Problematik der Auβergerichtlichen Nachkriegsverfolgungen in den böhmischen Ländern. », in: Brandes Detlef (éd), Erzwungene Trennung op.cit.p. 142.

163 Kossert, Andreas, Kalte Heimat, op.cit., p. 61. Toutes les citations issues de cet ouvrage seront traduites par nos soins.

des témoins que nous avons interrogé se souvient très bien de cet accueil glacial, qu’il comprend aujourd’hui : « Nous n’avons pas été accueillis à bras ouverts, mais c’était normal, les Allemands aussi manquaient de tout. » Toutefois, malgré nos questions, il ne décrira pas les conditions de reconstruction de sa famille en Allemagne164. Les autorités lancèrent alors des campagnes de solidarité sous forme d’affiches ou d’appels à la population. Ainsi, le 16 avril 1946, le sous-préfet de la région du sud de Taunus s’adressa aux maires de sa région en les mots suivants : « Des scènes incroyables ont eu lieu. Dans certains villages, ces pauvres gens ont dû rester assis des heures sur leur unique valise devant la porte des fermes en attendant d’y trouver refuge. Personne ne voulait être le premier à les accueillir chez lui. Ah, s’ils avaient été de la main d’œuvre, alors le problème aurait été réglé. […] Mais ce ne sont pas des travailleurs étrangers qui arrivent aujourd’hui, ce sont des Allemands, tout comme nous. […] Je ne peux en aucun cas tolérer qu’il leur soit attribué des pièces vides, sans même une ampoule, avec des paroles blessantes, et que les meubles de cette pièce soient maintenant remis au débarras. »165. Ce faisant, le sous-préfet rappelle à la population de sa région que celle-ci avait été heureuse de trouver une main d’œuvre bon marché sous le Troisième Reich – « Des travailleurs, qui, sous un régime ancien, devaient s’estimer satisfaits avec ce qu’on leur donnait »166, et fait sans doute appel à leur sentiment de culpabilité : vous qui n’avez perdu ni patrie ni foyer, réparez alors les torts subis aussi par votre faute, puisque vous avez profité du système ancien. Trouver un foyer accueillant n’était pas chose aisée pour les réfugiés. Ces difficultés sont reprises dans une courte nouvelle très réaliste de Anna Seghers, Die Umsiedlerin qui date de 1953 et dans laquelle une jeune femme expulsée peine à se faire accepter dans le village où elle a trouvé refuge. Le personnage principal, Anna Nieth, arrive de Silésie avec ses deux enfants et doit non seulement travailler gratuitement pour le paysan qui l’héberge mais subit en plus de nombreuses brimades avant d’être livrée à la vindicte populaire. Elle habite dans un « trou » et est rejetée par les habitants du village comme par les autres réfugiés : « Les réfugiés étaient toujours assis séparément des paysans établis au village, sur des bancs leur étant réservés, comme punis d’être là, et parce que la Nieth était devenue muette et sourde à force de chagrin, elle était elle-même assise seule, séparée des siens. »167. Le village est resté ancré dans la Seconde Guerre mondiale, le maire est toujours

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Le témoignage d’Helmut Mürling est intégralement reproduit en annexe. 165 Ibid. pp. 61-62.

166 Ibid. pp. 61.

167Seghers, Anna, Die Umsiedlerin, in: Anna Seghers, Der Bienenstock. Ausgewählte Erzählungen in zwei Bänden, Berlin, Aufbau Verlag, 1953. Livre II, p. 171-180, p. 30. Traduction faite par nos soins.

le même qu’avant 1945, et la paix n’est pas encore parvenue jusqu’au village168. L’un des problèmes principaux se situait dans le fait que la plupart des réfugiés ne venaient pas de la campagne, en particulier les Allemands des Sudètes. Ces difficultés, et ce que Kossert nomme concrètement du « racisme », sont retracées avec fidélité dans le roman de Reinhard Jirgl, Les Inachevés, qui fera l’objet d’une étude approfondie au chapitre II de notre travail. Afin de trouver une place à ces réfugiés étaient alors constituées des commissions visant à leur attribuer un logement. Ces commissions étaient composées du maire du village, d’un membre du conseil municipal et d’un représentant des réfugiés. Albrecht Lehmann, folkloriste et analyste des discours mémoriels sur les expulsions et la reconstruction, rapporte que ces commissions n’étaient pas toujours bien vues par les populations autochtones. De fait, après les expulsions, le monde s’était pour un temps scindé en deux : d’un côté les Allemands de l’Ouest, les autochtones, de l’autre ceux de l’Est, les réfugiés ; un état de fait que Lehmann appelle la « pensée en bloc » (« Blockdenken ») 169. Après avoir recueilli le témoignage de nombre d’expulsés tout comme de familles autochtones, le chercheur rapporte que ces dernières vivaient comme une intrusion et une injustice, voire même comme une punition, le fait de devoir accueillir chez elles des réfugiés, des inconnus : « Nous avions à peine emménagé » raconte une mère à sa fille, « qu’une commission vint visiter notre maison. Nous savions déjà qu’il s’agissait des gens qui venaient réquisitionner des chambres partout. La commission était formée du maire, d’un réfugié, puis du maire-adjoint, un homme du SPD ainsi que d’un autre réfugié. Cette commission passa de pièce en pièce. Finalement, ils furent d’accord pour dire qu’il y avait suffisamment de place pour accueillir une famille de réfugiés. […] Nous étions outrés et en colère, car nous vivions déjà à six dans cinq pièces. Et le vétérinaire d’à côté avait sa grande maison pour lui tout seul. »170

Le témoin de l’époque, Helga Fuhrmann, explique la réquisition des chambres de sa maison par le fait que son père avait été membre du parti, alors que le vétérinaire n’avait apparemment jamais été engagé politiquement. Accueillir une famille de quatre personnes ainsi qu’une femme seule – partager sa maison avec cinq inconnus – fut une expérience difficile mais somme toute enrichissante pour Helga Fuhrmann, qui est aujourd’hui encore en contact avec la famille Lassmann.

168 Ibid. p. 31 : « Comment pouvait protéger la paix, si l’on ne protégeait pas la terre ? Et comment préserver la récolte, si l’on n’amenait pas tout d’abord la paix au village ? […] Le maire [était] le même homme, fait de la même terre, du temps d’Hitler […] » Traduction faite par nos soins.

169 Lehmann, Albrecht, Im Fremden ungewollt zuhaus, Münich, C.H Beck, 1991, p. 16 : «Pendant un certain temps, la partie de la population dite des « réfugiés » ou des « expulsés » devait faire face à un bloc fermé constitué de la majorité des « autochtones » ». Traduction faite par nos soins.

Pour les réfugiés arrivant dans des villes, les difficultés étaient autres. De fait, ils devaient passer les premiers temps de leur nouvelle vie dans des baraques ou des quartiers leur étant dédiés, des « Siedlungen », qui étaient parfois des baraquements utilisés du temps du national-socialisme. Les villes étaient surpeuplées et Lehmann cite en exemple la ville d’Hambourg : suite aux bombardements ayant causé la mort de 55 000 personnes, la population hambourgeoise avait fui la ville pour trouver refuge dans les campagnes. En 1946, celle-ci avait perdu 31 % de sa population de 1939 et 71 % de ses logements. Dès la fin de la guerre, les habitants ayant délaissé leurs foyers pour se mettre en sécurité entreprirent de rentrer chez eux, tout comme les réfugiés entreprirent de s’établir en ville, ce que Lehmann qualifie de « situation de concurrence »171. Les Hambourgeois se sentaient légitimes dans leur désir de rentrer chez eux, alors que les réfugiés venaient à leurs yeux leur voler logement et travail. Ces situations se réglaient souvent dans les limites de la légalité, ce qui était toutefois la norme et la nécessité dans le chaos de l’après-guerre, comme le rappelle Elisabeth Pfeil, sociologue allemande : « Plein d’astuce et de souplesse, ceux qui font preuve de ruse se frayent alors un chemin à travers leur odyssée. […] C’est étrange, car même pour ceux qui ne sont pas des « voleurs-nés », cette façon d’ « organiser » les choses prend des accents joyeux dans ces circonstances. Peut-être parce que cela signifie agir au lieu d’être expulsé et maîtriser la situation plutôt que de se laisser submerger par elle. »172. D’après Kossert, ces baraques aux abords des villes étaient encore habitées plus de 20 ans après les expulsions : « Certains internés ne parvinrent plus à en sortir. Beaucoup d’entre eux se retrouvèrent même après 1969 dans des établissements pour sans-abris. »173. Ces réfugiés constituèrent à eux-seuls une nouvelle population comme le titra le journal allemand Frankfurt Allgemeine Zeitung : le « homo barackiensis », soit une nouvelle tribu, qui vivrait dans des abris de fortune et qui porterait ce nouvel habitat tel un stigma, une marque indélébile, révélatrice de son origine, ce qui empêcherait toute intégration dans l’Allemagne d’après-guerre. De fait, nombreux étaient les préjugés à l’encontre des Allemands venus de l’Est et l’historien allemand rapporte que jusqu’en 1960, des plaisanteries étaient faites sur ces réfugiés lors des fameuses Büttenreden du carnaval, à tel point que Konrad Grundmann, Minsitre du Travail du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, fut obligé de demander expressément à ces citoyens, de « ne pas faire du malheur des réfugiés et des expulsés l’objet » de bons mots et de discours174

. Hanna Arendt quant à elle, dans son ouvrage Besuch in Deutschland , rend compte de ce qu’elle considère

171 Ibid. p. 40.

172 Pfeil, Elisabeth, Der Flüchtling – Gestalt einer Zeitwende, Hambourg, 1948. In: Lehmann, Albrecht, Im

Fremden ungewollt zu haus, op. cit, p. 45.

173 Kossert, Andreas, Kalte Heimat, op. cit. p. 70. 174 Ibid. p. 78.

comme une absence de compassion de la part des Allemands face aux réfugiés, ce qui révèlerait selon elle une incapacité à faire face aux événements passés : « Et l’indifférence avec laquelle il [l’Allemand] marche à travers les ruines trouve son parallèle exact dans le fait que personne ne pleure ses morts ; elle se reflète dans l’apathie avec laquelle ils réagissent au sort des réfugiés parmi eux. »175

Il est difficile de faire un bilan sur l’accueil réservé aux réfugiés, car il n’existe bien entendu pas de réaction type. Certains furent bien accueillis, d’autres connurent un début de reconstruction plus difficile. Notons toutefois que les deux ouvrages cités ici mettent l’accent sur deux visions complètement différentes des choses. Alors que Kossert insiste sur les difficultés et les humiliations subies par les réfugiés, Lehmann préfère donner des exemples positifs de personnes ayant réussi à s’intégrer et à se reconstruire par leurs propres moyens ou avec l’aide de familles allemandes bienveillantes. Le choix du titre des ouvrages est révélateur du point de vue historiographique adopté. Kossert a choisi Kalte Heimat, une patrie pleine de froideur donc qui n’est pas prête à accueillir d’autres Allemands. Toutefois il existe une contradiction dans l’apposition des deux termes qui tendrait à faire comprendre que malgré la froideur de l’accueil, cette Allemagne serait finalement devenue une seconde patrie, qui n’aurait toutefois pas été choisie, une patrie imposée qui ne remplacera jamais la chaleur de l’ancien foyer. Lehmann choisit lui aussi un titre paradoxal, Im Fremden ungewollt zu haus, qui suggère que les réfugiés, qui n’ont pas choisi leur lieu d’accueil (« ungewollt » : sans le vouloir) – un lieu qui leur était au départ étranger (« Im Fremden », à l’étranger) - se sentent tout de même chez eux, à la maison (« zu haus »), dans une seconde patrie. Alors que Kossert suggère que l’intégration n’a pas été complètement réussie, puisque cette seconde patrie leur reste froide, Lehmann dresse un bilan plus positif de la situation des réfugiés, qui se sentiraient aujourd’hui chez eux en Allemagne, sans toutefois occulter leurs difficultés de départ.

De fait, dans les deux Allemagnes ayant vu le jour à la suite de l’occupation des quatre puissances, soit en mai 1948176, des mesures furent prises afin d’intégrer les réfugiés à la population allemande autochtone. Dans les deux cas toutefois, les mesures vont mener à une reconstruction matérielle mais aussi identitaire différente. Ces divergences dans l’accueil des réfugiés s’expliquent par la création de deux États idéologiquement totalement différents, évoluant dans sphères d’influences opposées. À ce sujet, l’historien Manfred Görtemaker

175 Arendt, Hanna, Besuch in Deutschland, Berlin, Rotbuch, 1993, cité ici dans Andreas Kossert, Kalte Heimat,

op. cit.,p. 43.

176 Görtemaker, Manfred, «L’Allemagne pendant la guerre froide.», in : Cahn, Jean-Paul, Pfeil, Ulrich (éds),

Allemagne, 1945-1961, de la « catastrophe » à la construction du Mur, Villeneuve d’Ascq, Presses

parle de « soviétisation » contre « westernisation »177 et souligne les efforts d’Adenauer, premier chancelier de RFA, à intégrer l’Allemagne de l’Ouest dans le bloc occidental ainsi qu’à établir de bonnes relations avec les États-Unis, alors que depuis 1945, l’intégration de l’Allemagne de l’Est dans la sphère d’influence soviétique était « un fait établi »178

. L’évolution des deux États n’aurait alors pas pu être plus différente, l’Ouest adoptant une politique démocratique et parlementaire et suscitant « l’adhésion de la population »179, alors que l’Est se dirigeait vers un système communiste à parti unique, soit vers une nouvelle dictature. Görtemaker estime à trois millions le nombre d’Allemands tentant de s’échapper vers l’Ouest avant 1961. Une migration à laquelle n’échappèrent pas les réfugiés ayant été accueillis en zone d’occupation soviétique comme le rappelle Joseph Foschenpoth : alors que l’on constatait dans un premier temps un mouvement migratoire de l’ouest vers l’est, car les conditions de vie et les rations de nourriture étaient plus importantes à l’est, la tendance s’inversa en 1947, soit pour les mêmes raisons, soit pour des raisons politiques, à savoir l’influence de plus en plus marquée de l’Union soviétique sur la politique d’Allemagne de l’Est180. Wolfgang Benz quant à lui parle d’un « double destin d’expulsé et de réfugié » et considère que le terme de « Flüchtling » ne s’applique qu’aux personnes ayant fui la zone d’occupation soviétique et à leurs enfants. Ceux qui ont alors fui les régions de Prusse orientale ou de Tchécoslovaquie – ou qui en auraient été chassés –, puis la zone d’occupation soviétique, sont alors à la fois des expulsés et des réfugiés181. À cela s’ajoute le refus pour beaucoup de réfugiés d’être pris en charge dans la partie soviétique de l’Allemagne, puisqu’ils considéraient les forces russes comme responsables de la perte de leur patrie. D’autre part, les angoisses et les souvenirs des exactions commises par l’Armée Rouge étaient encore présents dans de nombreux esprits et certains réfugiés réussirent, grâce à d’astucieux subterfuges, à changer de zone d’accueil, autrement dit en allemand, « sie wurden umzoniert ». Lehmann rapporte que beaucoup réussirent à fuir une existence de réfugiés dont ils avaient peur à l’Est pour rejoindre l’Ouest et son « confort » relatif de l’après-guerre, sans toutefois avancer de chiffres182. Quelles étaient alors les mesures prises par les deux gouvernements à partir du 1948-1949 afin d’intégrer les réfugiés ?

177 Ibid. p. 33. 178 Ibid. p. 36.

179 Ibid. p. 36 : « A la différence de l’Allemagne de l’Ouest, où le système démocratique et parlementaire, en dépit des critiques visant son intégration occidentale, suscitait l’adhésion de la population, on continuait de refuser la soviétisation de la ZOS/RDA. »

180

Foschepoth, Joseph, « Die Westmächte, Adenauer und die Vertriebenen. », in: Benz, Wolfgang, Die

Vertreibung der Deutschen aus dem Osten, op.cit, pp. 86-114.

181 Benz, Wolfgang, « Fremde in der Heimat: Flucht – Vertreibung – Integration. », in: Bade, Klaus J, Deutsche

im Ausland, Fremde in Deutschland, Munich, Beck, 1992, pp. 374-386.

182 Lehmann, Albrecht, Im Fremden ungewollt zuhaus, op. cit. p. 24. Le chercheur reprend le témoignage d’un jeune réfugié qui réussit à changer de zone en écrivant une lettre qu’il fit passer pour une missive d’un tiers ayant

À l’Est, Kossert parle d’une « assimilation forcée »183

et insiste sur le silence qui devait entourer les expulsions, ce que reprend Claire Trojan dans sa thèse publiée en 2014, sous le titre L’identité interdite. Les expulsés allemands en RDA (1945-1953)184. Les origines des réfugiés devaient alors être passées sous silence. Les expulsions avaient été menées par le pays frère, l’Union Soviétique, et ne devaient en aucun cas faire l’objet de critiques. Kossert cite le témoignage de Christa Pfeiler-Iwohn, orpheline et recueillie à l’Est : « On nous a très vite suggéré qu’il ne fallait plus jamais parler de ce que nous avions vu lors de l’arrivée de l’Armée Rouge. Les professeurs prenaient les enfants à part et leur faisaient comprendre qu’il serait mieux pour eux de se taire pour de bon à ce sujet. »185. Non seulement Christa a perdu ses parents, mais en plus, elle ne peut raconter à personne la façon dont ils ont disparu et comment elle-même a réussi à survivre pour finalement être recueillie en zone d’occupation soviétique. De la même manière, personne, mis à part le discours officiel en vigueur, ne lui racontera ses origines. Un silence qui empêche les enfants d’être en paix avec eux-mêmes, de se construire et de s’intégrer dans une société donnée comme le rappelle Olivier Douville, psychanalyste français : « Le sujet, faute de prendre appui sur un mythe individuel, ne sait pas à quoi il est donné, vers quoi il est constitué comme objet de don dans l'ordre social. »186 L’enfant qu’était Christa sait peut-être d’où elle vient – elle peut nommer une ville par