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Une dépolitisation sectorielle et limitée

CHAPITRE 1 – ETRE JEUNE : UN TEMPS, UN MODE DE VIE PLEINEMENT ASSUMES

3. LA POLITIQUE AUTREMENT : LES NOUVEAUX RAPPORTS DES JEUNES A LA POLITIQUE ( JORG MULLER )

3.1. Une dépolitisation sectorielle et limitée

La sociologie électorale utilise un certain nombre d’indicateurs qui permettent de mesurer le degré de politisation d’un individu (connaissances politiques, participation aux débats d’actualité, participation aux élections, enrôlement formel dans une organisation politique, maîtrise du vocabulaire politique, etc.)62. Une analyse de ces indicateurs classiques montre, en effet, que les jeunes sont rétifs à toute forme d’engagement conventionnel. Une étude réalisée en 2003 par le CREDOC a montré que 73% des jeunes entre 18-29 ans se déclarent peu ou pas intéressés par la politique, contre, à l’époque, 63% chez les 30 ans et plus63. En 2003, ce désintérêt était à peine infléchi par le niveau d’études. Seulement 36% des jeunes diplômés du bac ou d’un cycle supérieur déclaraient un intérêt pour la politique. L’étude corroborait en aval l’effet constaté lors du 21 avril 2002. Avec 34% d’abstentionnistes chez les 18-25 ans et 32% chez les 25-30 ans au premier tour de l’élection présidentielle, les jeunes ont occupé les deux premières places des non- votants64. Ce phénomène ne se limite d’ailleurs pas au cas français. Les études de l’Eurobaromètre, réalisées dans 27 pays européens, enregistrent des taux très bas de politisation chez les jeunes : seulement 11% des 15-24 ans, contre 25% des 55 ans et plus, déclarent discuter fréquemment politique avec leurs amis ou avec leur famille65. En analysant le niveau de confiance des jeunes vis-à-vis du gouvernement, le scepticisme observé par les 18-29 ans semble confirmer l’hypothèse d’une jeunesse politiquement

61 Expression utilisée par Anne Muxel, L’expérience politique des jeunes, Paris, Presses de la FNSP, 2001, p. 40. 62 Pierre Brechon, « Moins politisés, mais plus protestataires » In Olivier Galland, Bernard Roudet (dir.), Les

valeurs des jeunes (Tendances en France depuis 20 ans), Paris, L’Harmattan, 2001, p. 61-75.

63 Régis Bigot, Claire Piau, « Peut-on parler d’une opinion de la jeunesse ? », Cahier de recherche, n°181, CREDOC, janvier 2003, p. 38.

64 Anne Muxel, « La participation politique des jeunes : soubresauts, fractures et ajustements », Revue française de science politique, vol. 52, n° 5-6, octobre-décembre 2002, p. 521-544, ici p. 521.

65 Eurobaromètre, EB73 L’opinion publique dans l’Union européenne, printemps 2010.

distante. En 2010, 76% des 18-29 ans disent ne pas faire confiance au gouvernement pour résoudre les problèmes qui se posent à la France, contre 66% chez les 30 ans et plus. L’analyse longitudinale montre que les écarts entre les jeunes et les plus âgés semblent augmenter depuis 1999 quels que soient les gouvernements.

Graphique 7 : La confiance dans le gouvernement en place pour résoudre les problèmes qui se posent à la France

(réponses en %) 76 66 29 20 1999 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

Pas confiance** (18-29 ans) Pas confiance** (30 ans +) Confiance* (30 ans +) Confiance* (18-29 ans)

Source : CREDOC, enquêtes « Conditions de vie et Aspirations des Français », 1999-2010. * Total des modalités « tout à fait confiance » et « plutôt confiance »

** Total des modalités « plutôt pas confiance » et « pas du tout confiance »

Le militantisme est une pratique peu répandue chez les 18-29 ans. Leur taux d’adhésion à un syndicat ou à un parti politique est extrêmement faible. Sur la période 2001-2010, seuls 4% des 18-29 ans adhèrent à un parti politique ou à un syndicat contre 9% des 30 ans et plus. La comparaison de ces chiffres avec ceux de la participation aux associations sportives ou culturelles est contrastée : 35% des jeunes, ainsi que 32% des 30 ans et plus, sont inscrits dans une organisation sportive ou culturelle. En tout état de cause,

les 18-29 ans se montrent plus réfractaires que leurs aînés à des formes d’engagement politique formalisées voire institutionnalisées, mais n’hésitent pas à s’investir dans des projets collectifs (projets culturels, vie associative). Ce

constat est établi depuis au moins vingt ans, comme le montre l’analyse longitudinale suivante.

Graphique 8 : Adhésion à une association sportive/culturelle ou à un syndicat/ parti politique (réponses positives en %) 34 35 32 32 10 9 4 4 1990-2000 2001-2010

Membre d'une association sportive ou culturelle (18-29 ans)

Membre d'une association sportive ou culturelle (30 ans et +)

Membre d'un parti politique ou d'un syndicat (30 ans et +)

Membre d'un parti politique ou d'un syndicat (18-29 ans)

Source : CREDOC, enquêtes « Conditions de vie et Aspirations des Français », 1990-2010.

Cependant, il convient de signaler l’existence de différences importantes au sein même de la cohorte des 18-29 ans. Une analyse des variables sociodémographiques permet de nuancer notre diagnostic. Le niveau d’éducation (nombre d’années scolarisées, diplômes obtenus) constitue un vecteur déterminant pour jauger le niveau de politisation d’un individu. En 2001-2010, 7% des 18-29 ans diplômés du supérieur sont membres d’un parti ou d’un syndicat, contre seulement 2% des jeunes sans diplôme. Les résultats pour les 18-29 ans sont symétriques de ceux observés pour les 30 ans et plus : dans ce dernier cas, le taux est de 15% pour les plus diplômés et de 3% pour les moins diplômés. Le lien entre le capital culturel et le degré de politisation est finalement moins fort chez les jeunes que dans la population plus âgée.

Tableau 3 : Niveau d’identification politique institutionnelle en fonction du niveau d’études

(réponses en %)

18-29 ans 18-29 ans 30 ans et + 30 ans et + Membre d’un parti politique

ou d’un syndicat Diplôme du supérieur / Grande Ecole Aucun diplôme / CEP Diplôme du supérieur / Grande Ecole Aucun diplôme / CEP Oui……… 7 2 15 3 Non……….... 93 98 85 97 Total 100 100 100 100

Source : CREDOC, enquêtes « Conditions de vie et Aspirations des Français », 2000-2010. Lecture : 7% des 18-29 ans diplômés du supérieur sont membres d’un parti politique ou d’un syndicat.

Ce défaut d’engagement formel n’implique nullement que les jeunes se désintéressent

complètement de la chose publique. La mobilisation des jeunes se fait – selon notre hypothèse – selon d’autres formes que celles définies par la grille de lecture conventionnelle en sciences sociales. En effet, les signes d’une « politisation négative »66 que nous venons de mettre en évidence peuvent être lus comme l’indicateur d’un changement qualitatif dans le rapport qu’entretiennent les 18-29 ans avec la politique. Un rapport qui s’articule autour des valeurs et des modes de vie plutôt qu’autour de l’identification aux structures partisanes.