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Un tropisme fréquent rapprochant « jeunesse » et « problème »

CHAPITRE 1 – ETRE JEUNE : UN TEMPS, UN MODE DE VIE PLEINEMENT ASSUMES

2. LA PERCEPTION DES JEUNES DANS LA PRESSE ( RODOLPHE SURY , PATRICK DUCHEN , MARIE LAURE MERY )

2.2. Un tropisme fréquent rapprochant « jeunesse » et « problème »

Depuis le milieu des années 2000, la place des jeunes dans les médias est orientée à la hausse et reste encore aujourd’hui à un niveau supérieur à celui du début du siècle.

Graphique 6 : Les jeunes dans les médias (presse écrite) sur la dernière décennie : nombre d’articles recensés selon les thèmes

9 6 12 14 53 107 171 82 74 68 66 84 16 4 9 64 95 493 91 51 79 102 105 3 15 35 38 84 142 203 121 89 144 116 108 6 11 114 282 358 389 376 402 361 297 238 38 31 78 119 217 392 513 242 172 515 359 431 0 100 200 300 400 500 600 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011

Les jeunes dans les médias

jeunes et echec jeunes et précarité jeunes et délinquance jeunes et alcool jeunes et chômage jeunes et réussite Eléction présidentielle

Eclatement de la bulle spéculative US Election de Barack Obama Libération d'Ingrid Bétancourt JO de Pékin (manifestations)

Evènements renforcant l'intérèt médiatique porté sur les jeunes

Evènements médiatiques importants relayant les jeunes au second plan

Source : recherche dans les principaux journaux d'information de la presse écrite

Certains événements ont entrainé un engouement de la presse pour les jeunes, plaçant ces derniers au centre de l’actualité. Les émeutes de 2005, dans un grand nombre de banlieues françaises, ont entrainé un brutal déchirement du tissu social et culturel français et des inquiétudes persistantes. Ces faits avaient été relatés par les médias du monde entier. En 2006, la vive opposition et la contestation de la population contre le contrat première embauche (CPE) ont fortement lancé le débat des problèmes d’insertion professionnelle et de la précarité (+ 410% d’augmentation d’articles de presse associant « jeunes » et « précarité » sur cette année-là). Dès 2007, les tensions étant apaisées, des événements médiatiques importants (telles que les élections françaises puis américaines, ou encore les manifestations pour les droits de l’homme lors des JO de Pékin) ont monopolisé les médias relayant les jeunes au second plan. A la vue des différentes courbes, force est de constater que dans la majorité des cas les médias parlent des jeunes en termes plutôt négatifs et caricaturaux.

La jeunesse est donc généralement considérée comme un problème. En effet, les médias couvrent largement les phénomènes de mobilisation des jeunes qui peuvent être perçus comme une menace. La jeunesse étudiante est régulièrement mise en avant à l’occasion des mouvements lycéens et universitaires : les manifestations contre le Contrat Première Embauche (CPE) en 2006, celles contre le projet de loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) en 2009 et plus récemment, la participation des lycéens et des étudiants à la contestation contre la réforme des retraites. Les médias avancent le malaise de la jeunesse étudiante pour expliquer ces actions. Les sondages réalisés auprès des jeunes confirment l’inquiétude juvénile. Selon une enquête TNS Sofrès pour La Croix, 86% des jeunes de 18 à 24 ans sont préoccupés par le chômage et l’emploi, un chiffre supérieur à la moyenne des français (75%). Un article du Progrès du 25 février 2012 (« Le chômage des jeunes est en hausse : ‘On ne se sent pas aidés ’ ») montre à quel point les jeunes – même diplômés - ont le sentiment que le chômage constitue leur avenir probable, et ce d’autant plus que les politiques n’agissent pas vraiment pour enrayer ce phénomène. Dans une enquête de la Fondation pour l’Innovation politique (« Les jeunesses face à leur avenir », 2008), 20% seulement des jeunes Français se déclarent très confiants dans leur avenir, contre 60% des jeunes Danois. Selon le baromètre annuel Ipsos pour le Secours populaire, un jeune sur deux se dit angoissé et plus d’un sur trois (38%) en colère lorsqu’il pense à sa situation actuelle et à son avenir. La précarité des conditions d’entrée dans la vie adulte contribue à entretenir ce sentiment d’incertitude. Quant à la jeunesse des quartiers de banlieues, elle fait fréquemment l’objet d’une couverture médiatique intense lors des mouvements qualifiés d’« émeutes urbaines ». Dans un article intitulé « Banlieues : Le noyau dur de la violence », Le Monde retrace la chronologie des épisodes de violences urbaines. En octobre et novembre 2005, à la suite de la mort de deux jeunes, brûlés dans un transformateur électrique, la France traverse trois semaines d’« émeutes » pendant lesquelles 10 000 véhicules et des centaines de bâtiments sont incendiés. En mars 2006, des centaines de jeunes de banlieue agressent « violemment » des lycéens et des étudiants qui défilent à Paris contre le projet de contrat premier embauche (CPE). Dans un article du 1er novembre 2006 (« Faire face à la guérilla urbaine »), le même journal assimile la situation des manifestations anti-CPE à un champ de bataille : « C’est la guerre à Saint-Astier, en Dordogne. Les carcasses de voiture brûlées jonchent les rues. D’autres flambent dans la nuit noire. Les sirènes des véhicules de police se mêlent aux hurlements, l’odeur de caoutchouc grillé à celle des gaz lacrymogènes. Un blindé est réquisitionné. Les grenades vous assourdissent. Les pavés volent dans tous les sens ». Plus récemment, pour désigner les casseurs qui se sont joints aux mouvements de contestation contre la réforme des retraites, Le Figaro parlait d’« adolescents en capuches et survêtements », de « voyous des cités [qui] s’agrègent au défilé pour harceler les CRS ». Les difficultés

d’insertion professionnelle entraînent pour ces jeunes une absence d’intégration sociale. Se sentant exclus, ils utilisent la violence comme mode d’expression d’un mal-être ou d’une souffrance et comme réponse face au besoin d’exister. L’aspect commun aux deux mouvements est le malaise des jeunes. Toutes catégories sociales confondues, les manifestations sont révélatrices de cette préoccupation générale de la jeunesse.

La vision négative des jeunes est également véhiculée à travers la médiatisation de leurs comportements festifs. La consommation excessive d’alcool (phénomènes de binge drinking53), de drogue ou autres psychotropes, la diffusion intempestive de musique, etc. sont fréquemment décriés par les médias. Selon la sociologue Monique Dagnaud54, les jeunes « font la fête de manière plus débridée », « ils consomment en moyenne moins qu’il y a vingt ans, mais ils boivent de façon ponctuelle et plus excessive »55. En outre, le thème des apéros géants organisés via le réseau social Facebook a défrayé la chronique au printemps 2010, en particulier à la suite de la mort d’un jeune homme à Nantes lors de l’un de ces évènements. Faut-il les autoriser, les interdire, les encadrer ou laisser faire ? Selon un sondage BVA pour la Matinale de Canal Plus, 58% des Français seraient favorables à une interdiction des apéros géants. Pour expliquer l’origine de ces rassemblements géants, Monique Dagnaud avance le malaise des jeunes. Dans une interview du 18 Août 2010 pour L’Express (« La fête comble un vide »), elle dresse ainsi la situation de la jeunesse : « les jeunes ont du mal à trouver leur place, mettent du temps à acquérir leur autonomie financière. Beaucoup d’entre eux sont dans l’errance au début de leurs études universitaires. Ils connaissent parfois de longues années d’incertitudes, stressés par la difficulté d’obtenir un diplôme ou un emploi ». Dans un autre article (« Une culture de sensations extrêmes », La Montagne, 9 octobre 2010), elle assimile les pratiques festives des jeunes à un besoin d’« oublier les problèmes du quotidien ». «La fête comble la pression que les étudiants des grandes écoles ont sur les épaules. C’est un exutoire. Elle colmate aussi les angoisses de jeunes en échec scolaire, ou ceux qui ont du mal à s’intégrer dans la vie sociale, qui ne trouvent pas de travail, qui se demande de quoi l’avenir sera fait ». La couverture médiatique des manifestations impliquant la jeunesse contribue à stigmatiser l’ensemble des jeunes comme une classe dangereuse.

53 binge drinking signifie hyperalcoolisation express.

54 Monique Dagnaud est directrice de recherche au CNRS et auteur de l’ouvrage La Teuf. Essai sur le désordre des générations, publié aux éditions Seuil en 2008.