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Chapitre 3 : La trajectoire de l’accélérateur Cockcroft-Walton de l’Institut de Physique Nucléaire de Lyon

3.5 Une démarche patrimoniale : le projet de valorisation

Aujourd’hui, le générateur de hautes tensions de l’accélérateur est conservé, démonté, dans le bâtiment sécurisé appelé « Haefely », à côté d’un autre en activité, plus petit et plus puissant. De moins en moins de physiciens se rappellent l’époque où il était utilisé et était l’objet de toutes leurs attentions. Il ne subsiste que quelques photos que l’on peut voir sur un diaporama dans les bâtiments de l’Université. Pour accéder à l’objet, il faut joindre la bonne personne et pouvoir prendre un rendez-vous pendant une phase d’arrêt de son voisin. Une fois passée la grosse porte de sécurité en béton rouge, traversée la salle et monté un étage ; il est là. Au sol, les sphères en aluminium, les longues diodes, les caisses en bois desquelles dépassent des condensateurs, prennent la poussière. On croit reconnaître des porcelaines, un bout de pupitre ou de tube accélérateur. Debout sur le bord d’un mur, à l’écart, un étrange triangle aux angles marqués semble ne correspondre à aucune autre pièce. Difficile d’identifier les parties restantes de l’accélérateur. Démonté depuis la fin des années 1990 après avoir été supplanté par des accélérateurs plus performants et après deux projets muséographiques avortés, un nouveau projet de valorisation du générateur Cockcroft-Walton émerge. Depuis 2013, un groupe de personnes de l’Université Lyon 1 s’intéresse de plus en plus à l’avenir de cet instrument, à son remontage et à sa valorisation. Sous la tutelle du groupe de travail Patrimoine scientifique et diffusion de la culture scientifique, technique et

industrielle (PSDCSTI) de l’Université Lyon 1, le rassemblement du département des

collections de physique a mis l’accélérateur au cœur de ses préoccupations. Ce projet est unique en France puisqu’il intègre ce générateur haute-tension de type CW au sein d’une véritable démarche patrimoniale. Le but est d’exposer l’objet sur le campus de la Doua de l’Université de Lyon pour qu’il devienne un marqueur emblématique du département de physique et de son histoire locale. Les acteurs du projet représentent des institutions différentes : l’Institut de physique nucléaire de Lyon, le pôle patrimoine de la physique de l’Université Lyon 1, le laboratoire Sciences et sociétés, historicité, éducation et pratiques (S2HEP), le service commun de la documentation de l’Université Claude Bernard Lyon 1, le département de physique de l’Université Lyon 1 et la société Haefely à travers les étroites relations entretenues avec le représentant francophone de la société suisse.

Pour arriver à ses objectifs l’équipe met en place différents projets : la réalisation d’outils facilitant le remontage de l’objet, permettant de valoriser l’objet de manière

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novatrice, la création d’outils de partage et de vulgarisation. L’ensemble des actions menées par les acteurs du projet donnent lieu à des publications, des présentations ou des évènements de vulgarisation, participent à la reconnaissance du projet et donc à la patrimonialisation de l’objet, comme nous le verrons dans les chapitres suivants. Une partie de ces actions sont présentées dans l’annexe 2.

Le premier projet d’envergure est celui de la réalisation de l’étude préalable au projet de restauration dont le but est d’analyser du point de vue du statut initial de l’objet et de son nouveau destin, les conséquences d’un remontage, d’une restauration sur les propriétés de l’objet. Le second objet, qui est valorisé au sein d’une exposition temporaire à la bibliothèque universitaire de la Doua, est la réalisation d’une maquette 3D du générateur de hautes tensions, et son application permettant de le visualiser en réalité virtuelle. Ces deux principaux projets sont présentés brièvement ci-dessous.

3.5.1 Étude préalable au projet de restauration

Nous avons rencontré Rémy Geindreau, étudiant Master II conservation-restauration de l’École supérieure d'art d'Avignon, lorsqu’il recherchait un objet d’étude dans le cadre de son étude autour de la conservation-restauration du patrimoine technique, scientifique contemporain. Son travail autour de l’accélérateur de particules Cockcroft-Walton durant l’année scolaire 2013/2014 permet aujourd’hui à l’Institut de physique nucléaire de Lyon de voir plus clair sur les conditions de conservation d’un tel objet.

Dès le début, la mise en commun des différentes recherches déjà menées sur l’objet, lui a permit d’établir un portrait de l’objet dans sa condition actuelle :

« Nombre de processus sous-jacents à la préservation de l’objet seront également explicités puisqu’ils sont de nature à contraindre et orienter les choix du conservateur-restaurateur. En effet, sortir une machine d’un laboratoire en pièces détachées, faire de sa particularité technique et historique et de la crainte de sa disparition la raison de sa conservation, rompre le réseau socio-technique dont elle était solidaire, etc., sont des actions qui ont des incidences sur l’exercice de la conservation-restauration. De plus, insérer le générateur dans le réseau patrimonial, le documenter, le remonter, accorder une équipe pluridisciplinaire, traiter les matériaux récents constitutifs peu abordés en conservation-restauration (alliage d’aluminium, matériaux polymères, etc.), l’exposer inerte ou non, en faire l’égal d’un monument, prendre le risque de le rendre indiscernable d’un décor de science-fiction, tenter de maintenir en dépit de ses métamorphoses l’authenticité supposée de l’objet, etc. ; toutes ces actions, nous le verrons, soulèvent des difficultés en théorie comme en pratique. » (Geindreau, 2014)

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L’étude de cas du générateur Cockcroft-Walton lui a permis de soulever un certain nombre de difficultés propre à sa pratique de restaurateur :

 dimension et poids de l’objet  matériaux composites

 documentation lacunaire et historique à reconstituer

 multiplicité des contextes d’usage de l’objet et des évolutions de celui-ci  problème d’accès

 lieu de conservation et lieu d’exposition

 problème de l’huile présente dans les condensateurs

À l’issue de son travail, en plus de toute sa réflexion théorique sur la restauration des objets techniques, nous possédons maintenant un certain nombre de documents qui seront utiles dans la suite de l’entreprise de valorisation et de sauvegarde du générateur haute-tension de l’Institut de physique nucléaire de Lyon :

 Une fiche signalétique de l’objet

 Une évaluation des dimensions de l’objet (hauteur, poids, surface au sol, distance entre les éléments) (voir annexe 3)

 Un répertoire des 82 pièces conservées dans le lieu de stockage (voir annexe 3)  Un descriptif détaillé des pièces

 Une identification des matériaux dont est composé l’appareil et les techniques de fabrication (métaux, alliage, résine, Haefelyte61, papiers, huiles, adhésifs, etc.)  Un constat d’état détaillé présentant les altérations des parties restantes de l’objet

(traces brunes laissées par les arcs électriques, traces de produits de nettoyage, l’imprégnation d’huile des condensateurs, la patine des éclateurs en alliage

61 Dans les articles de recherche historiques de l’accélérateur, les techniciens parlent de “cylindre en papier bakélisé”. La Haefelyte est un type de papier bakélisé breveté par le fabricant Emil Haefely pour la construction de l’instrumentation en physique nucléaire. D’après la brochure du fabricant, l’Haefelyte est composée de couches superposées de papier et de bakélite fortement comprimées à chaud.

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cuivreux, les points de corrosion de la structure en fer, obsolescence et fragmentation de l’objet technique)

« En 1997, l’impossibilité (financière et technique) de modifier le générateur le condamne à

l’obsolescence (dépréciation avant son usure matérielle véritable). Cet arrêt fonctionnel est bien, selon un constat d’état soucieux du caractère utilitaire de l’objet, l’altération principale à considérer.» (Geindreau, 2016)

 Une étude préalable au remontage (mesures curatives et préventives, conditions de stockage et numérotation, etc.)

 Un protocole de remontage (Annexe 3)

 Une étude de faisabilité en fonction des différentes options de remontage dont nous disposons

Ce travail est le fruit d’une collaboration et d’un partage régulier de données entre l’élève restaurateur et l’équipe formée au sein de l’Université. Plusieurs actions ont été menées de concert : des interviews de chercheurs, des fouilles dans les archives de l’Institut de physique nucléaire de Lyon, des visites aux archives municipales, des entretiens avec les techniciens de l’IPNL encore actifs ou retraités, lu les thèses de l’époque, consulté des archives militaires, des articles de recherches, etc. Grâce à cela M. Geindreau a pu reconstruire une frise chronologique de l’évolution de l’accélérateur de particules Cockcroft-Walton (voir Annexe 3) et une cartographie mettant en scène les acteurs du projet de valorisation dans lequel l’objet est engagé (voir Figure 27 : Cartographie interdisciplinaire du point de vue du conservateur-restaurateur. Source : (Geindreau, 2014)

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Figure 27 : Cartographie interdisciplinaire du point de vue du conservateur-restaurateur. Source : (Geindreau, 2014)

3.5.2 La modélisation 3D

Malgré l’ensemble de nos recherches, nous n’avons pas trouvé beaucoup de documentation technique à propos de l’objet. En particulier, il n’existe pas de plan détaillé, ce qui est un obstacle considérable au remontage de l’objet. À partir de l’ensemble de la documentation que nous avons rassemblé et des cotes relevées sur les pièces détachées, M. Geindreau et M. Panczer62 ont engagé la mise en plan de l’appareil.

« Le choix d’un modeleur volumique 3D – en l’occurrence le modeleur Solidworks - s’est vite imposé, d’une part parce que ce logiciel utilisé en ingénierie permettait la duplication des pièces, la mise en plan, la cotation, les assemblages de pièces, l’ajout de texture, etc. […] » (Geindreau, 2014)

Réalisée en 2015, cette modélisation permet de retracer pas à pas les étapes du remontage de l’objet et de visualiser à l’échelle l’envergure de l’objet dans les différents lieux envisagés.

62 M. Panczer est le représentant des collections de physique et de cristallographie de l’Université Lyon 1, enseignant-chercheur au sein du laboratoire de l’Institut Lumière Matière (ILM) de Lyon.

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Figure 28 : Captures d’écran de la modélisation 3D du générateur Cockcroft-Walton (a) en situation sur le campus de la Doua (b). Droits et Source : Gérard Panczer, Rémy

Geindreau, 2016.

Comme ce chapitre vient de le montrer, l’accélérateur de particules CW de l’IPNL est un témoin marquant de la naissance de la physique des particules à Lyon. Il témoigne de l’histoire d’une société, Haefely, qui aujourd’hui encore équipe les plus grands laboratoires du monde, et de la volonté d’un homme à développer la physique des particules en province, et d’en faire un territoire d’excellence. La trajectoire de l’objet s’entrecroise avec plusieurs bâtiments, plusieurs hommes, plusieurs « histoires » comme autant de facettes d’une seule et même vie. Il fut l’objet convoité et attendu avec impatience, objet de conflit entre Thibaud et les militaires, objet de formation pour les premiers physiciens nucléaires. Puis un objet dépassé qu’il a fallu faire évoluer et perfectionner jusqu’à ce qu’il manifeste ses limites. Démonté aujourd’hui depuis presque 20 ans, il reste stocké dans un autre bâtiment attendant que les projets qu’on lui souhaite voient enfin le jour. Mais la démarche entreprise par les membres du groupe patrimoine, bien qu’originale et unique sous certains aspects, n’est certainement pas isolée. Parmi tous les accélérateurs CW développés entre 1932 et les années 1990, combien en reste-t-il ? Ont-ils fait l’objet de démarches de sauvegarde ? Une fois devenu inutile, qu’en ont fait les autres laboratoires ?

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Chapitre 4 : Les accélérateurs Cockcroft-Walton