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Chapitre 3 : La trajectoire de l’accélérateur Cockcroft-Walton de l’Institut de Physique Nucléaire de Lyon

3.4 La création d’un espace dédié à la physique nucléaire à Lyon

Mais très vite, les locaux prêtés par les militaires, et très certainement la collaboration avec ces derniers, posent problème à Thibaud, qui travaille dès 1955 à la création d'un institut dédié à la physique nucléaire. Son objectif est de pouvoir avoir assez d'espace pour accueillir un nouvel accélérateur de type Van de Graaff de 2 000 kV , un cyclotron de 32 MeV et des équipes de théoriciens ou techniciens (Salin, 2003). Malgré la forte concurrence avec Grenoble et ses difficultés personnelles avec les acteurs les plus écoutés du développement de la physique nucléaire en France, il fondera l'Institut de physique nucléaire de Lyon. Décédé brutalement en mai 1960, il n'en verra cependant pas le jour puisque ce n'est qu'en février 1961 que commencera la construction de l'institut à la Doua, à Villeurbanne, sur l'emplacement de l'hippodrome (Giffon, 2003). Ce n'est qu'à partir de 1962 que les équipements de la rue Raulin ou de la Vitriolerie peuvent commencer à être transférés. L'accélérateur Cockcroft-Walton sera transféré par la société Haefely et quelques techniciens de l'institut, entre 1962 et 1963. C’est alors une période de travail très intéressante (voir Figure 24) pour les membres du laboratoire qui profiteront de l’occasion pour apporter de nouvelles modifications à l’accélérateur (Salin, 2013). Il est donc assemblé pour la deuxième fois, dans un bâtiment qui porte désormais son nom. La presse lyonnaise couvre largement l'évènement et l'accélérateur est choisi pour illustrer la plupart des articles. Le progrès de Lyon publie le 18 septembre 1961 trois gros diamants noirs abriteront les accélérateurs de

particules de la nouvelle Faculté des Sciences :

"Dans cette plaine de la Doua, qui devient le terre-plein du savoir scientifique, le dernier pylône radioélectrique a disparu. Les grues et les bulldozers ont épargné, cette année encore, la piste de l'hippodrome. Mais trois cubes de béton sortent de terre le long du boulevard de ceinture. Ils abriteront les accélérateurs de particules de la nouvelle faculté des sciences." (M, 1961)

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Cette nouvelle faculté des sciences qui sera désormais considérée comme « le centre de province le mieux équipé pour la recherche nucléaire fondamentale ». (Bonhomme, 1963)

Voici ce qu’en dit Henry Bonhomme dans l’édition du 4 août 1963 du Progrès à propos du « Haefely » :

«Cet étrange appareil est l’accélérateur «Haefely». Bien qu’il paraisse sortir tout droit d’un roman moderne de science-fiction, c’est pourtant le plus ancien de tous ceux que possède l’Institut lyonnais, puisqu’il était installé auparavant à la Vitriolerie. Il fut démonté, transporté et remonté dans son bâtiment définitif en un temps record. Son fonctionnement est assuré par Mlle Legros et M. Salin. Sur la photo du haut, on remarque à gauche le tube accélération et les quatre colonnes qui contiennent les télécommandes. Les trois colonnes de droite forment le redresseur haute tension. Sur la photo du bas, à gauche, la colonne de stabilisation. Les autres tubes noirs verticaux et horizontaux sont des

condensateurs, des redresseurs, ou des résistances. Les sphères polies constituent des surfaces permettant d’éviter les phénomènes de décharge par effet de pointe. Les dimensions du bâtiment qui abrite l’appareil sont surprenantes, car le fonctionnement a lieu non plus dans le vide cette fois, mais dans l’atmosphère. Et pour une valeur de l’ordre de 1,2 million de volts la distance d’isolement est d’au moins 4m50. Sinon la foudre artificielle jaillirait entre l’appareil et les murs...»(Bonhomme, 1963) À son arrivée, plusieurs modifications ont déjà été apportées à l’appareil, comme l’explique M. Chambon :

« Différentes améliorations y avaient été apportées : modification de la source, changement des résistances et des condensateurs de la chaîne Greinacher, système de stabilisation et surtout

montage d’un aimant à 90° - remplaçant celui à 30°- ce qui permettait d’équiper une voie d’expérience en horizontal»(Chambon, 2003)

Le rapport d’activité de janvier 1966 de l’IPN (IPNL - Institut de physique nucléaire, 1966) mentionne la dernière utilisation de l’accélérateur comme producteur de protons et de deutons et le projet à venir : la réalisation d’un accélérateur de 4 MeV à haut débit fabriqué par la Société Haefely.

Il est alors transformé en « usine à neutrons » et plusieurs étudiants viennent travailler dessus. À cette époque, plusieurs équipes de recherche ont besoin d’utiliser l’appareil et donc de partager le temps d’utilisation. Les physiciens parlent alors de se répartir « les heures de faisceaux ». Il sert au groupe de neutronique, dirigé par M. Depraz, notamment pour l’étude des mécanismes de réaction nécessitant une basse énergie (entre 2 et 4 MeV), ainsi qu’au groupe de spectroscopie atomique dirigé par M. Dufay pour l’étude des excitations du

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projectile par la technique de la « beam foil »56. La règlementation étant souple à cette époque, les chercheurs viennent travailler jour et nuit sur le Cockcroft.

« Je me souviens il y avait une chambre dans le bâtiment Haefely » (Salin, 2013)

Figure 24 : Schéma du générateur Cockcroft-Walton (a) et schéma simplifié du dispositif électrique sur une photographie de l’accélérateur en filigrane de 1963 (b). Source :

(Métraux, 1954)

Le Dôme et la collaboration avec le Cern

En 1967, l’accélérateur est démonté une nouvelle fois et la haute tension est installée dans un bâtiment appelé « Le Dôme ». Ce nouveau bâtiment, conçu par M. Jean Martin et M. Jean Roux, a été construit spécialement pour l’étude du préinjecteur du projet d’accélérateur linéaire avec le CERN57. Ce sont les mêmes personnes qui se sont occupées de démonter et de remonter l’appareil (Goyon, 2013). Il a donc été conçu spécialement pour accueillir la haute tension Cockcroft-Walton (et la nouvelle partie accélératrice).

56 La spectroscopie « Beam Foil » se traduirait en français par la spectroscopie « faisceau-feuille». Le faisceau de l’accélérateur de particules est projeté à travers une feuille. Les ions du faisceau, après avoir traversé la feuille montrent des perturbations électroniques. La nature de ces changements donne des éléments d’étude sur la nature des ions du projectile.

57 Le CERN, est l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire. C’est l’un des plus grands et des plus prestigieux laboratoires scientifiques du monde. Il a notamment pour vocation la physique fondamentale, la découverte des constituants et des lois de l’Univers. Pour un certain nombre de points nous pouvons nous référer aux trois volumes consacrés à l’histoire du CERN : History of CERN (Hermann, Krige, Mersits, & Pestre, 1987; Hermann, Krige, Mersits, & Weiss, 1990; Krige, 1996)

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« L’enceinte est construite autour des hautes colonnes du générateur 1500 kV (E. Haefely) et de son impératif essentiel : distance aux parois 4 mètres. Une épure à 3 dimensions montre que la forme idéale : meilleure aptitude à la fonction pour un volume minimal, serait une sphère tronquée à la base. Les conditions très sévères fixées par les circonstances : prix « minimorum » délais d’exécution quelques mois, caractère provisoire de cette construction, écartant d’emblée les solutions traditionnelles « en dur ». » (Roux & Martin, 1969)

La coupole du Dôme (voir Figure 25) a l’avantage d’être à la fois rigide et légère : c’est une structure métallique recouverte en mousse de polyuréthane et de polyester, dont l’intérieur est doublé d’aluminium. Elle mesure 13,5 mètres de haut pour un diamètre de 16 mètres. Le Dôme est inauguré le vendredi 27 juin 1969 par M. Sarazin, alors directeur de l’institut (Martin, 2003)

« Il [Jean Martin] était très attentif, il attendait pas mal de ce Cockcroft et également du synchro qui était en caisse, qu’il avait, et dont il a fait approuver les plans avec Jean Roux. […] C’est vraiment lui qui a établi les plans de l’institut tel qu’il est, et c’est lui ensuite qui a monté, sur ses plans, le Dôme et il a fait l’acrobate vraiment à la pointe des grues. Il était très énergique. » (Salin, 2013)

« Il [l’accélérateur] était extrêmement évolué avec le concours du CERN et de l’Université Karlsruhe58 ; il a terminé en générateur de cluster ultra perfectionné. » (Salin, 2013)

« La collaboration avec Lyon portait principalement sur le tube accélérateur, l’IPN fournissait une partie des moyens d’essais dont un imposant hall servant de cage de Faraday et un générateur 1,5 MeV, et le CERN apportant le dispositif expérimental et son expérience dans la construction et l’exploitation des tubes accélérateurs. » (« Nouvelles du CERN, Préinjecteur de 1,4 MeV », 1970)

À la place du Cockcroft-Walton, dans le bâtiment Heafely, un autre accélérateur du constructeur Haefely est monté et atteint 4MeV et laissera à son tour sa place en 1972 à un accélérateur type Van de Graff de 4 MeV.

Lors de sa nouvelle installation, notre accélérateur Cockcroft-Walton subit un grand nombre d’interventions. La haute tension est associée à un préinjecteur dont la cloche, une impressionnante enceinte de bakélite, pèse près de 15 tonnes (« Nouvelles du CERN, Préinjecteur de 1,4 MeV », 1970). Sur la proposition de M. Salin, les physiciens construisent un nouvel étage afin d’améliorer la stabilité de la tension en sortie. À partir de ce moment-là, le Cockcroft devient un générateur de cluster, c’est-à-dire un générateur produisant des

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agrégats d’hydrogène (des grappes), grâce au matériel du CERN, pour l’étude de la production d’énergie par fusion nucléaire (Peaucelle, 2013).

« En 1974, le Dr H. O. Moser de l’IKVT59 de Karlsruhe, ayant eu connaissance de l’installation de Lyon, souhaite venir travailler au Dôme et utiliser le matériel du CERN (tube accélérateur, système de vide, etc.) pour installer une source cryogénique d’agrégats d’hydrogène afin d’effectuer des

recherches dans le cadre de la production d’énergie par fusion (chauffage de plasmas par injection d’agrégats). » (Martin, 2003)

En 1975, le bâtiment « Dôme » est alors destiné aux études des interactions agrégats-solides et à l’étude de l’émission électronique secondaire (voir Figure 26).

Les besoins en énergie étant toujours croissants, l’IPNL commande en 1988 une cavité RFQ60 à fréquence variable. La haute tension Cockcroft-Walton est modifiée en 1989, en même temps que l’agrandissement du Dôme qui communique désormais avec le synchrocyclotron. La nouvelle installation est opérationnelle en juillet 1991 et le restera jusqu’en 1996. Dans un article du Progrès (Pennec, 1992), c’est devant cette nouvelle version de la haute tension que pose Michel-Jean Gaillard.

« Une équipe de l’Institut de Physique Nucléaire de Lyon vient de mettre en service un

post-accélérateur unique au monde grâce auquel a été obtenu le premier faisceau d’agrégats d’hydrogène de haute énergie. L’appareil ainsi mis au point et installé sur le site de la Doua à Villeurbanne constitue un prototype : il s’agit du premier post-accélérateur de type RFQ (quadrupole constitué de quatre barres accélératrices parallèles et alimenté en radiofréquence), à énergie variable. De ce fait, un faisceau d’agrégats d’hydrogène injecté à 0,14 MeV a été post-accéléré à une énergie dix fois plus élevée (de 0,14 MeV à 1,4 MeV). » (Pennec, 1992)

En 1996 le bâtiment qui accueille le synchrocyclotron doit subir quelques modifications pour les besoins d’une nouvelle installation (appelée Virgo), ce qui oblige de le désolidariser du Dôme et de démonter toutes les voies de faisceau.

« Une étude est entreprise pour orienter l’accélérateur dans une autre direction et créer un nouveau bâtiment annexe, mais ces modifications ne sont pas acceptées, c’est la mort de la machine ! »(Martin, 2003)

59 IKVT : Institut für Kernverfahrenstechnik (Allemagne) pouvant se traduire par Institut du génie nucléaire. 60 Le quadripôle radiofréquence (RFQ) est une structure utilisée pour les accélérateurs linéaires d'ions. Il permet la mise en paquets du faisceau et une préaccélération indispensable pour un transfert d'énergie efficace dans les étages supérieurs tout en assurant le confinement des particules. (« Les quadripôles à radiofréquence », s. d.)

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La haute tension Cockcroft-Walton est donc démontée en même temps que le système RFQ en 1997 et le Dôme devient un lieu de montage pour d’autres groupes de recherches.

Figure 25 : Le Dôme lors de sa construction (1969). Sources : archives de l’IPNL

Figure 26 : accélérateur Cockcroft-Walton sous le Dôme entre 1974 et 1997, à l’Institut de physique nucléaire de Lyon. Sources : archives de l’IPNL

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3.5 Une démarche patrimoniale : le projet de