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Chapitre 1 : le contexte d’invention de l’accélérateur de particules de Cockcroft et Walton

1.2 Des rencontres déterminantes

En 1926, Rutherford rencontre un jeune chercheur, Thomas Edward Allibone (1903 – 2003), qui travaille sur la conception d’une machine à haute tension pour accélérer les particules. Allibone a besoin de trouver un grand espace pour construire sa machine (puisque la tension générée dépendra de la hauteur de la machine) et il le trouvera dans le laboratoire de Rutherford. Le transformateur de Tesla que construit Allibone est une source de tensions élevées très utile, mais il fait un bruit très désagréable et produit des interférences radio qui perturbent les laboratoires environnants.

Allibone partage « la plus grande salle » du laboratoire Cavendish avec John Cockcroft qui travaille lui sur les faisceaux moléculaires. Le projet commence réellement en 1927 quand le jeune Ernest Walton les rejoint, après avoir obtenu son diplôme de mathématique au Trinity College de Dublin, avec la volonté de travailler sur les accélérateurs de particules. De son côté, Rutherford était en quête d’une nouvelle personne pouvant mener cette recherche dans son laboratoire et poursuivre son propre travail. Il avait essayé de mettre au point un dispositif circulaire ressemblant au bêtatron moderne puis un accélérateur linéaire, mais tous deux, sans succès. Toutes les compétences sont désormais au sein du laboratoire, mais comme l’explique Cockcroft a posteriori : les compétences sont là sous la forme d’un puzzle.

“For a time it was somewhat of a puzzle” (Cockcroft, 1951)

À l’autre bout de la planète, George Anthony Gamow (1904 - 1968), physicien-théoricien russe, travaille aussi sur l’émission des particules alpha, mais à partir d’une autre théorie : la théorie ondulatoire. La modification du projet, qui sera couronné de succès, se fit grâce à sa visite rendue à Cockcroft au laboratoire Cavendish, en 1929. Gamow travaille dans le prolongement des travaux de Louis de Broglie (1892 - 1987) sur la théorie quantique. Pour

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la théorie classique, le problème était de savoir comment les particules alpha peuvent être émises par un atome quand elles ont apparemment une énergie insuffisante pour surmonter la barrière de potentiel qui les lie au noyau. Pour la théorie quantique, il existe une certaine probabilité de chances, de briser la barrière de potentiel, même si leurs énergies sont beaucoup plus petites que ce qui aurait été requis par la théorie classique grâce à l’effet tunnel12 (1928). La mécanique quantique permet de penser la barrière de potentiel comme étant perméable et percée de quelque tunnel permettant de penser la particule là où la mécanique classique l’interdirait (dans la barrière). La barrière de potentiel, semi-perméable devient un phénomène purement quantique (Fernandez, 2006).

Gamow a travaillé sur les probabilités de l'émission radioactive des rayons alpha, à différentes énergies, et a montré qu'ils étaient en accord avec les phénomènes observés.

« Il s’agit du premier résultat de mécanique quantique effectivement utilisé en physique nucléaire : on considère que c’est à ce moment-là que ces deux disciplines effectuent une « jonction ».»(Radvanyi, 2010)

C’est toute la problématique des interactions entre la physique théorique et la physique expérimentale qui est posée, et qui devient cruciale. Gamow transmet ses travaux sur la réinterprétation de l’expérience de 1919, à Rutherford qui les met dans les mains de Cockcroft, qui se les approprie rapidement. Lors de sa visite au Cavendish en 1928, Cockcroft lui demande s’il ne serait pas possible que par un phénomène quantique analogue à celui qu’il décrit pour l’émission des particules alpha, des protons qui n’auraient pas l’énergie nécessaire pour s’approcher assez près du noyau, pourraient s’infiltrer à travers la barrière de potentiel et pénétrer dans le noyau. Ensemble13, ils calculent la probabilité qu’un faisceau de protons désintègre avec succès un élément léger tel que le lithium. Ils trouvent alors que pour des noyaux légers sur mille protons entrant en collision, quelques-uns pourraient traverser la barrière par effet tunnel. L’expérience est donc jouable à condition de bombarder le noyau avec un flot suffisamment intense de protons (Fernandez, 2006).

‘The penetrability of the potential barrier surrounding the nucleus was proportional to the atomic number of the bombarded nucleus and to the charge of the projectile, and inversely proportional to its

12 Nous devons la conception de l’effet tunnel à G.A. Gamow. Il publie en 1928 (G. A. Gamow, 1928) un article dans une grande revue allemande dans laquelle il propose d’interpréter, à la lumière de la mécanique quantique, d’un phénomène étonnant découvert en 1911. Hans Geiger (1882 - 1923) et John Mitchell Nuttall (1890 – 1958) observent mais sans pouvoir l’expliquer, une relation entre la vitesse des particules alpha émises par les substances radioactives et leur période de désintégration.

13 Certaines sources secondaires anglaises affirment que Cockcroft s’approprie les travaux de G.A. Gamow et fait lui -même les calculs de probabilité, avant de les soumettre à vérification par G.A. Gamow. D’autres sources secondaires expliquent que Cockcroft demande à G.A. Gamow de faire les calculs pour lui (Fernandez, 2006)

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velocity. Thus, since a proton has half of the alpha particle’s electric charge, it would produce (in the same bombarded element) about the same effect as an alpha particle traveling at only one-half of the proton’s velocity. Since protons are four times less massive than alpha particles, the necessary kinetic energy of a proton to get through the barrier would be ¼ * ½ ² = 1/16 of the alpha particle.

‘Is it that simple? ‘Asked Rutherford. ‘I thought that you would have to cover sheets of paper with your damned formula. ‘

‘Not in this case, ‘I said. ‘ (G. Gamow, 1970)

Cockcroft convainc alors Rutherford d’entreprendre (de financer) la construction d’un générateur de 300 000 volts. Avec sa bénédiction, le projet est donc officiellement lancé avec cet objectif précis : construire un appareil dépassant les limites imaginées par les physiciens jusqu’alors.

D’un autre côté, Rutherford suggère à Walton d’abandonner ses travaux sur l’accélérateur linéaire et l’encourage à faire équipe avec Cockcroft pour travailler sur la production de protons et la création d’un tube à vide pour les accélérer. L’Université de Cambridge subventionne alors le laboratoire à hauteur de 1000 £ pour l’achat d’un transformateur de 300 kV. Allibone conçoit de son côté des redresseurs qui ont la capacité de convertir ce courant alternatif en un courant continu stable. À l’époque, les tubes d’accélération et les redresseurs sont de grandes ampoules de verre avec deux tiges. L’appareil se fait déjà remarquer par la place qu’il occupe et les besoins humains que son installation nécessite (voir Figure 1 et Figure 2) :

“The transformer voltage was rectified by the two horizontal rectifiers placed in series, these being evacuate through a third bulb connecting them to the pumps.”(Walton, 1951)

“The equipment was too large to fit through doors, so two Metropolitan-Vickers engineers had to come to the Cavendish to finish building it!” (Cambridge University, 2015)

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Figure 1 : Le transformateur de 300 kV qui fut la source de courant continu pour le premier accélérateur du laboratoire Cavendish. Nous distinguons les deux redresseurs et un système de pare-effluves (B), la troisième ampoule de décharge. Le tube accélérateur

se situe sur la droite de la photographie (E). Sur la légende originale, le système de pompage est identifié en (C) probablement derrière l’ampoule. Le transformateur est en

(D). Droits et Source : Laboratoire Cavendish

Figure 2 : Schématisation de « la pièce en T » qui complète la vision de la photo ci-dessus. Source : (J. D. Cockcroft & Walton, 1930)

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L’appareil est prêt pour les premiers tests en 1930. La source de protons utilisée est la même que celle utilisée par Francis William Aston (1877 – 1945),14 qui est aussi un membre du laboratoire, soit de l’hydrogène gazeux. Ce gaz est ionisé par un arc électrique traversant la chambre d'ionisation.

La source de protons utilisée est probablement déjà de l’hydrogène gazeux. Les protons de basse énergie (280 keV) sont produits dans une chambre de verre (ionisation d’un gaz par un arc électrique), et sont ensuite accélérés dans le tube. Le faisceau de particules d’énergie élevée ressort à l’autre extrémité du tube et peut être envoyé sur une cible (déjà du lithium). Munis d’un électroscope à feuilles d’or, Cockcroft et Walton espèrent alors trouver les signes d’une désintégration en détectant des rayons gamma. L’expérience n’est pas vraiment concluante et ils ne détectent rien. Cockcroft recherche comment obtenir des tensions encore plus élevées. Il propose alors une nouvelle manière de multiplier la tension en utilisant un circuit conçu par Heinrich Greinacher (1880 – 1974) en 1920 :

« Cockcroft decided a new tack was in order. After pondering the possibilities, he came up with a voltage-multiplying scheme for stepping up a modest A.C voltage to a D.C voltage by a circuit based on an intricate set of condensers and rectifier switches. Unknown to Cockcroft, the scheme had been devised by Heinrich Greinacher in 1920. » (Dahl, 2002)

Cockcroft et Walton développent l’idée de créer un circuit multiplicateur de tension en utilisant des condensateurs pour produire un courant continu de haute tension, toujours à partir d’une tension alternative plus faible. Ils construisent alors une colonne de quatre diodes de redressement et de condensateurs, pour produire une tension quatre fois supérieure. L’appareil commence à changer de dimension et prend petit à petit l’allure que nous lui connaissons aujourd’hui (voir Figure 3) :

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Figure 3 : Schématisation simplifiée d’un accélérateur de particules de type Cockcroft-Walton. Adaptation de schéma (Baron, 2007)

Dans cette version, les ampoules de redressement construites par Allibone sont remplacées par des redresseurs enfermés dans des cylindres de verre de 14 pouces de diamètre (environ 35 cm) et de 3 pieds de long (environ 90 cm) (Dahl, 2002). En partie assemblée, l’expérience se montre prometteuse pour les Anglais, mais un nouvel évènement les contraint d’arrêter leur progression : la réquisition de leur laboratoire par le département de physique-chimie. Les lieux doivent être rendus pour le mois de mai 1931.