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CHAPITRE 3. Méthodologie de recherche

3.1 Une démarche empirique de compréhension des mécanismes

rapport à l’objet de la recherche, ainsi que la manière d’aborder cette recherche. En effet, selon Thiétard (2014), les choix implicites ou explicites du chercheur portant sur la nature et la finalité de la recherche ne sont pas neutres sur la façon de mener cette recherche et sur la méthodologie utilisée : « le chercheur doit s’interroger sur la nature

de la réalité qu’il pense appréhender, sur le lien qu’il entretient avec son objet de recherche, sur la démarche de production de connaissance qu’il souhaite et qu’il peut emprunter » (Thietard, 2014).

Position du chercheur par rapport à l’objet de recherche

« Le contact avec le terrain, l’accueil de l’inattendu, le toucher du réel, voici qui peut

nous mettre en mouvement : mouvement dans la connaissance du cas, mouvement dans la théorie, mouvement dans la méthode et, au-delà de la recherche particulière, mouvement dans le chercheur lui-même et son parcours de pensée. » (Moriceau et

Soparnot, 2019)

Mon premier contact avec un portail fournisseur s’est déroulé lors de mon expérience professionnelle de cadre financier dans une PME de la sous-traitance aéronautique. A ce titre, à la fin des années 90, j’ai participé à l’implantation dans une PME sous- traitante de l’aéronautique d’EDI avec certains partenaires de l’entreprise, puis d’un portail fournisseur très basique imposé par notre principal client. J’ai ainsi vécu de l’intérieur les problèmes d’intégration d’un tel outil : que faire de l’information diffusée dans le portail, comment l’intégrer dans notre système d’information peu mature, quel

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101 niveau de confiance pouvait-on accorder à cette information. Voilà des questions qui se sont posées à l’époque.

Puis, entre 2010 et 2015, en tant qu’enseignante à l’IUT de Tarbes, j’ai tutoré plusieurs stages d’étudiants en licence professionnelle de management des systèmes d’information portant sur la mise en place de portails fournisseurs dans des entreprises industrielles donneurs d’ordre. C’est à l’occasion de relations établies pendant ces suivis de stage que j’ai pris contact avec certaines entreprises des deux études de cas de cette thèse. C’est aussi grâce à ces suivis et relations que les études de cas peuvent être qualifiées de longitudinales car la durée de l’observation ne s’est pas limitée aux trois ans de la thèse.

Ainsi, ma position initiale et mon vécu ne me permettent donc pas d’être complètement externe au sujet étudié. Une certaine subjectivité de par ma participation initiale, puis de par mes discussions en tant que tuteur avec des acteurs de l’entreprise Electra est ainsi inhérente à cette recherche. Cependant, lors de mon engagement dans cette thèse, je n’ai plus eu de rôle actif par rapport aux entreprises présentes dans les cas, ce qui m’a permis de me distancier par rapport à l’objet étudié. Le travail de recherche documentaire réalisé a par ailleurs contribué à la compréhension et à l’élaboration des concepts présents dans les questions de recherche alimentant le mouvement prôné par Moriceau et Soparnot (2019) entre théorie, méthode et terrain.

Par ailleurs, l’encadrement de ce travail de thèse par deux chercheurs totalement indépendants de ce terrain et habitués de ces problématiques permet de limiter certains biais liés à cette subjectivité. De plus, la compréhension assez rapide de l’environnement et des systèmes utilisés a permis le développement d’un sentiment de confiance de la part des interlocuteurs issus des entreprises, et d’une parole relativement libre. Cela explique en partie que les informations fournies dans cette thèse ne soient pas confidentielles en-dehors du nom des entreprises.

Cette position initiale a donc mené à un choix de démarche de recherche essentiellement qualitative fondée sur deux études de cas enchâssés (Scholz et

Titje, 2002 ; Musca, 2006 ; Yin, 2014) pour laquelle nous cherchons à expliciter et comprendre les mécanismes en jeu.

Les principaux paradigmes des démarches de recherche en gestion et management des systèmes d’information

Il est important dans un travail de recherche de définir la posture de recherche, et les présupposés concernant la réalité et la manière de l’aborder, ce qui fonde le paradigme de recherche (Prévost et Roy, 2015 ; Avenier, 2017).

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102 Dans le domaine du management des systèmes d’information, Avenier et Thomas (2015) proposent quatre paradigmes adaptés à l’étude de cas : le post-positivisme, le réalisme critique, le constructivisme pragmatique et l’interprétativisme (cf. tableau 15). D’autres paradigmes existent, d’autres façons de présenter les différentes perspectives aussi. Nous retenons cependant ce choix qui nous semble correspondre aux questions épistémologiques que nous nous sommes posées.

De plus, dans son chapitre sur le traitement par la recherche du rôle transformatif des SI sur les interfaces multi-acteurs de la distribution et la logistique, Fabbe-Costes (2000) conseille de diversifier les perspectives, en majorité positivistes, pour une analyse approfondie du comportement des organisations, de leurs contraintes et de la compréhension des mécanismes transformatifs complexes en jeu. L’objectif doit permet d’avoir une approche holistique de l’organisation et de la SC, dans une vision systémique. Post- positivisme Réalisme critique Constructi- visme Interprétativisme Position ontologique La réalité est une donnée objective indépendante du sujet.

La réalité est une donnée indépendante du sujet stratifiée en mécanismes, évènements, et expériences.

La réalité est une construction des sujets en expérimentation ou en interaction.

La réalité est une interprétation des sujets, il existe donc de multiples réalités. Position épistémologique La réalité est observable et mesurable. Relativisme : les mécanismes et les évènements ne sont pas toujours observables, mais les expériences le sont. La connaissance se construit en prenant en compte le contexte d’interactions sociales. Relativisme : la connaissance se construit par interrelation entre le chercheur, l’objet et les acteurs. Relativisme : la connaissance est uniquement issue des constructions sociales. Projet de connaissance Explication causale Explications multiples par les mécanismes

Construction Compréhension

Tableau 15 - Comparaison des quatre paradigmes de recherche proposés par

Avenier et Thomas (2015)

Nous entendons par position ontologique, la définition de ce qu’est la nature de la réalité. Deux positions se différencient. La position ontologique réaliste considère la

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103 réalité comme existante en elle-même, externe et indépendante de l’observateur et de sa connaissance alors que la position ontologique subjective considère que la réalité est un construit de l’esprit du chercheur et des sujets de la recherche (Prévost et Roy, 2015). Les paradigmes du positivisme classique et du réalisme critique se revendiquent de la position ontologique réaliste alors que le constructivisme et l’interprétativisme correspondent à une position ontologique subjective.

La position épistémologique permet de caractériser l’étude de la connaissance, c’est- à-dire la relation entre la cognition et l’objet de la cognition. Dans le positivisme, le chercheur est neutre par rapport à l’objet de cognition, une cognition objective est donc possible, observable et mesurable. Pour le réalisme critique, le constructivisme et l’interprétativisme, la position épistémologique se fonde sur le relativisme pour lequel tout n’est pas observable, et la connaissance se construit par interactions entre le chercheur et son objet d’études (Avenier et Thomas, 2015).

Nous avons donc opté dans ce travail de recherche pour un paradigme qui s’approche du réalisme critique présenté dans le tableau 15. Le réalisme critique

est un courant de pensée des sciences humaines et sociales issu des réflexions du philosophe des sciences Bhaskar (1978). La position ontologique du réalisme critique est une position réaliste où la réalité existe de façon objective et indépendante de notre connaissance (Mingers et al., 2013), cependant nous ne sommes pas toujours en mesure d’observer et de comprendre cette réalité. La position épistémologique se rapproche ainsi du relativisme en posant que l’accès à la connaissance est socialement et historiquement construit (Avenier et Thomas, 2015). Pour cela, le réalisme critique s’appuie sur une conception de la réalité stratifiée en trois niveaux (Bhaskar, 1978). Un premier niveau empirique est formé par les expériences telles qu’elles sont observées, vécues et perçues concrètement par les acteurs. Un second niveau actuel prend aussi en compte les évènements qui ne sont pas obligatoirement perçus par les acteurs. Enfin, un troisième niveau réel est constitué des structures (structure sociale, organisation, système d’information) dans le contexte desquelles des mécanismes générateurs causent les évènements observés (ou non) dans le niveau actuel. L’objectif du réalisme critique est donc l’identification de ces mécanismes qui génèrent les évènements observés, et les contextes d’activation de ces mécanismes (Wynn et Williams, 2012 ; Volkoff et Strong, 2013 ; Avenier et Thomas, 2015). Ainsi, nous reprenons la définition du mécanisme donnée par Dumez (2013) : « Chercher à mettre en évidence des mécanismes consiste à reconstituer un

lien entre de phénomènes observés et leurs causes possibles. (…) Le mécanisme n’est pas une loi – en effet, il ne fonctionne que dans certains contextes et sous certaines conditions. La notion de mécanisme permet donc de relier généralité et contexte. »

Au niveau méthodologique, le réalisme critique permet de partir des expériences observées dans le domaine empirique afin de proposer des mécanismes susceptibles d’expliquer les évènements produits dans un certain contexte (Wynn et Williams, 2012 ; Mingers et al., 2013 ; Tsang, 2014). Il peut s’appuyer sur la formulation de

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104 conjectures issues de théories existantes qui seront ou non validées empiriquement. L’étude de cas qualitative, mais aussi les méthodes mixtes sont des méthodologies de recherche bien appropriées à ce paradigme (Mingers et al., 2013 ; Avenier, 2017). Si nous reprenons le cadre de notre recherche défini dans le chapitre 2, ainsi que la problématique posée, nous cherchons à comprendre les mécanismes qui permettent l’intégration et la collaboration dans le contexte d’un projet de portail fournisseur. Ces mécanismes ne sont pas accessibles directement au chercheur, mais peuvent être déduits autant que possible de l’observation d’expériences où s’enchevêtrent les relations entre la nouvelle technologie mise en place, les acteurs du projet et la configuration organisationnelle et inter-organisationnelle présente dans le cadre du portail fournisseur.