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CHAPITRE 4. Etude de cas exploratoire – Mise en place d’un projet de portail

5.4 Proposition d’un cadre d’analyse de la phase d’adoption du portail

Dans cette partie, nous avons choisi de nous concentrer sur la phase d’adoption du portail qui paraît une des phases les plus critiques dans le cadre d’un SIIO commun à un secteur industriel. En effet, si trop peu de donneurs d’ordres adoptent le nouveau portail, celui-ci n’est plus qu’un standard parmi d’autres dans le secteur, ce qui met en péril les phases suivantes. Afin d’étudier les mécanismes d’adoption, nous nous sommes fondés sur la littérature conséquente concernant l’adoption des SIIO que nous avons synthétisée dans la partie 2.4.3 du chapitre 2. Le cadre conceptuel que nous présentons tente de répondre aux appels de Sila (2015) et de Madlberger (2015) à explorer les facteurs contingents plus larges que ceux habituellement étudiés qui influencent l'adoption de SIIO. En particulier, une analyse approfondie des relations avec les partenaires, des caractéristiques de la SC et du contexte sectoriel, comme le recommandent Lyytinen et Damsgaard (2011), Rajaguru et Matanda (2013), Denolf et al. (2015), Prockl et al. (2017) et Kurnia et al. (2019) devrait nous permettre de mieux comprendre les mécanismes explicitant l'adoption d’un SIIO dans le cas d’un portail fournisseur commun à un secteur industriel.

Reprenant les trois niveaux d’analyse décrits ci-dessus (cf. figure 59), nous nous appuyons sur Robey et al. (2008) pour définir les éléments théoriques de notre cadre. Le premier niveau centré sur l’organisation est basé sur la DOI (Rogers, 1962). Le second niveau inter-organisationnel, relatif à la SC, reprend des éléments utilisés traditionnellement dans cette approche comme la confiance ainsi que la théorie de l'analyse des réseaux. Enfin, le troisième niveau, qui prend en compte le secteur industriel, fait appel à la théorie néo-institutionnelle (DiMaggio et Powell,1983) pour étudier l'environnement institutionnel et les pressions de l'industrie. Nous avons fait le choix de ne pas faire référence au TAM (Davis et al., 1989) puisque nous ne traitons pas, dans ce cas, le niveau individuel. Et nous ne reprenons pas directement le TOE

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173 (Tornatsky et Fleisher, 1990) présenté dans le chapitre 2 car nous souhaitons mieux approfondir le contexte environnemental que nous abordons par l’analyse des réseaux et par la théorie néo-institutionnelle.

Choix des éléments d’explication du niveau organisationnel

Nous avons sélectionné les éléments issus de la DOI utilisés par Premkumar et al. (1994) dans leur étude sur l’adoption et la diffusion des EDI. En effet, ces cinq éléments nous semblent bien adaptés au contexte des SIIO. Par ailleurs, ils complètent les éléments initiaux proposés par Rogers (1962) par quelques éléments issus des contextes technologiques et organisationnels de la TOE.

- l’avantage relatif du portail par rapport aux autres technologies : cet élément, lié à la nouvelle technologie mise en place (Mustonen-Ollila et Lyytinen, 2003), détermine si celle-ci présente pour l’organisation adoptante un avantage relatif par rapport aux autres technologies existantes. L’amélioration des performances de la SC telles qu’une meilleure visibilité, une meilleure agilité, une diminution des coûts de gestion pour l’organisation adoptante présente un avantage relatif par rapport aux systèmes existants.

- la compatibilité du portail avec les SI existants, les processus organisationnels et les besoins des utilisateurs : cet élément reprend dans le cas

d’un SIIO les problèmes d’interopérabilité (Korbi, 2019), de standardisation des processus en particulier dans le cas d’un portail commun à un secteur d’activité, et de maturité technologique des organisations que nous avons abordé dans le cas précédent.

- la complexité de compréhension et d’utilisation du portail : cette complexité de

l’outil et du processus associé peut être perçue comme un frein à l’adoption par l’organisation (Mustonen-Ollila et Lyytinen, 2003 ; Melville et Ramirez, 2008) ; elle peut aussi constituer un élément négatif dans la diffusion du portail au niveau des utilisateurs, voire engendrer un risque de contournement.

- le coût du portail pour le donneur d’ordres adoptant : le coût est souvent

considéré comme un inhibiteur à l’adoption (Premkumar et al., 1994) car si l’organisation considère que le ROI sur l’investissement consenti n’est pas à la hauteur, elle peut décider de ne pas adopter le portail. Ce coût comprend aussi bien le coût d’utilisation du portail, que le coût d’intégration avec le SI interne, d’adaptation des processus, la formation des utilisateurs et la communication auprès des fournisseurs.

- la communicabilité du projet de portail en interne et en externe à l’organisation : cet élément organisationnel (Denolf et al., 2015 ; Sila, 2015) est porté par la communication interne à l’organisation mais aussi auprès des fournisseurs qui doivent aussi adopter le portail. Les utilisateurs doivent avoir connaissance de l’intérêt d’un tel portail et de l’amélioration potentielle de leurs conditions de travail avec le portail. La

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174 formation, l’engagement marqué de la direction, voire la nomination d’un « champion » au sens anglo-saxon du terme, facilitent cette communicabilité.

Choix des éléments d’explication du niveau inter-organisationnel dans le contexte de la SC

Ces éléments sont issus d’une part d’éléments inter-organisationnels obtenus à partir d’études réalisées sur les relations inter-organisationnelles (Bala et Venkatesh, 2007; Huang et al., 2008 ; Sila, 2015) et d’autre part, de la théorie de l’analyse des réseaux explicitée dans le point 2.4.4.1 du chapitre 2.

- L’intensité de la collaboration avec les fournisseurs principaux : les relations de long terme et l’habitude de mener des projets collaboratifs avec ses fournisseurs permettent d’envisager de façon plus sereine un projet où l’implication de ces derniers sera déterminante (Premkumar et al., 2005 ; Pu et al., 2018).

- La maturité technologique des fournisseurs : le portail étant un outil inter- organisationnel, les performances attendues sont aussi dépendantes de capacités d’intégration des fournisseurs (Beck and Weitzel, 2005). Si ceux-ci sont peu matures, ils risquent de l’utiliser a minima.

- La confiance : nous avons souligné dans le cas précédent la nécessité d’un climat de confiance entre donneur d’ordres et fournisseurs pour le bon déroulement du projet. Dans le cas d’un portail sectoriel, la confiance doit s’élargir à l’ensemble des partenaires (Huang et al., 2008 ; Venkatesh et Bala, 2012), c’est-à-dire au consortium qui assure la gouvernance du portail, ainsi qu'aux autres donneurs d’ordres utilisant le portail selon les mêmes standards.

- Le niveau de position dans la structure de la SC : dans la première partie de ce chapitre, nous avons souligné le caractère pyramidal des SC de l’industrie aérospatiale. Nous pouvons penser que plus le donneur d’ordre se trouve à un rang éloigné du sommet de la chaîne (constitué par l’OEM), moins il est susceptible d’adopter le portail car il se trouve plus en périphérie de la SC (Kembro et Selviaridis, 2015 ; Faure, 2016).

- La centralité dans un réseau de SC : cette notion de centralité reprend celle d’encastrement (Mandard, 2015 ; De Stefano et Montes-Sancho, 2018 ; Pu et al., 2018), et est mesurée par le nombre de liens qu’une organisation entretient avec d’autres organisations de la SC. Il s’agit ainsi de voir si les entreprises qui peuvent être considérées comme des entreprises pivots sont plus facilement susceptibles d’adopter le portail.

- L’appartenance à un cluster ou une communauté d’adopteurs précoces : cet élément a été souligné comme favorisant l’adoption par Greve (2009).

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175 Choix des éléments d’explication du niveau environnemental dans le

contexte d’un SIIO commun à un secteur industriel

Pour ce niveau, il s’agit de déterminer les éléments environnementaux susceptibles d’avoir un rôle dans le choix d’adoption du SIIO, ce qui devrait permettre de mieux comprendre le rôle de l’écosystème dans ce choix. Ainsi, nous avons décidé de nous appuyer sur la théorie néo-institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983), définie dans le point 2.4.4.2 du chapitre 2, qui nous semble apporter une vision plus complète des enjeux relationnels et institutionnels que la TOE (Tornatsky et Fleischer, 1990). Nous avons plus particulièrement repris les éléments identifiés par Teo et al. (2003) qui permettent de caractériser les mécanismes d’isomorphisme institutionnel dans le cas de SIIO. Ces mécanismes se déclinent en trois formes de pression : la pression mimétique, la pression coercitive et la pression normative.

- La pression mimétique : elle est exercée quand les concurrents deviennent de plus en plus nombreux à adopter le portail et quand cette adoption par les concurrents se révèle un succès à l’utilisation. Pour l’entreprise qui envisage l’adoption, cette pression permet de contrer l’aversion au risque face à une nouvelle technologie.

- La pression coercitive : il s’agit du résultat de relations de pouvoirs entre

entreprises. Dans le cas d’un portail fournisseur, cette pression peut provenir de la domination exercée par des donneurs d’ordres ayant adopté le portail sur leurs fournisseurs, par le groupe auquel l’entreprise appartient qui l’instaure comme standard auprès de ses filiales ou par des fournisseurs utilisant déjà ce portail avec d’autres donneurs d’ordres et souhaitant standardiser les outils utilisés.

- La pression normative : elle souligne le rôle des institutions (européennes,

étatiques, groupements d’intérêt sectoriel) qui présentent l’adoption du portail comme une « best practice ». Elle est complétée par la mise en place d’éventuelles lois, règlements ou standards imposés par l’Etat ou la profession. La pression normative est d’autant plus forte que la diffusion du portal est importante.

Proposition d’un cadre d’analyse

Comme nous l’avons expliqué dans le chapitre 3, notre méthodologie pour ce cas relève de l’étude de cas explicative (McCarty et Golicic, 2005). Nous nous sommes donc fondés sur l’étude de la littérature réalisée dans le chapitre 2 afin de définir les éléments susceptibles d’intervenir dans les mécanismes pouvant expliquer l’adoption d’un portail commun à un secteur d’activité, éléments que nous avons précisés dans les points précédents. Nous proposons donc dans la figure 60 un cadre d’analyse de l’adoption d’un portail fournisseur commun à un secteur industriel fondé sur les trois niveaux, organisationnel, inter-organisationnel et sectoriel et institutionnel, définis

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176 dans le point 5.3.2. Nous avons codé ces différents éléments (lettres minuscules de a à n) afin de faciliter la présentation de notre travail d’analyse dans la section suivante.

Figure 60 - Proposition d’un cadre d’analyse pour l’adoption d’un portail commun à

un secteur industriel

5.5 Analyse du cas AirSupply suivant le cadre défini

Pour l’étude du cas AirSupply, comme expliqué dans le chapitre 3, nous avons interrogé sept entreprises de l’industrie aérospatiale européenne par entretien semi- directifs, qui nous ont, pour certaines, fourni des documents internes, et pour lesquelles nous avons recherché des informations complémentaires sur internet et dans certains journaux professionnels. Nous avons réalisé une analyse thématique des comptes rendus d’entretiens et des documents secondaires. Cette analyse thématique a ensuite été rapprochée des éléments définis dans le cadre d’analyse exposé ci-avant, ce qui nous a permis de déterminer pour chacune des entreprises étudiées les éléments ayant joué un rôle dans le processus d’adoption ou de non- adoption, ainsi que le fait que certains de ces éléments apparaissent comme prédominants dans le choix réalisé.