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Cadre méthodologique

I. Une démarche comparative

La démarche comparative sera définie comme un « processus d’objectivation et d’enrichissement du processus de compréhension des sociétés par elles-mêmes » (Lesemann 2010 : 4). Cette perspective développée par Bouchard (2001) comprend la comparaison à partir de deux points de départ (Bouchard, 2001 dans Lesemann 2010):

a. La comparaison est un modèle intégral où « l’analyse s’efforce de mettre à jour les interactions, les articulations, les processus, les enracinements fonctionnels et

structurels des parties, et d’en rendre compte. Dès lors, la comparaison qui est conçue comme une interaction menée dans une relation dialogique enrichit les perspectives, car elle oblige à une explicitation, de part et d’autre des parties en dialogue, des valeurs sous-jacentes – considérées comme “allant de soi” tant que chacune des parties ne s’oblige pas à expliquer à l’autre les raisons de son action. Il y a donc une valeur heuristique à la comparaison au sens d’une démarche qui aide à comprendre l’Autre et à (se) comprendre soi-même, hors de tout jugement de valeur. La comparaison invite à une mise à distance, à un déracinement provisoire qui est une condition élémentaire de la connaissance » (Lesemann, 2010 :4).

b. La comparaison fait partie des procédés d’objectivation « parce qu’elle est un moyen de créer une distance entre le sujet et sa culture, parce qu’elle permet de casser la chaîne de production du savoir là même où naissent les paradigmes, bien en amont de la théorie et des concepts. Elle est utile aux effets à briser cette articulation du savoir à son enracinement socioculturel, non pas pour la récuser, ce qui reviendrait à enlever toute substance et toute signification aux énoncés scientifiques, mais bien pour en renégocier les ancrages, pour la soumettre elle aussi au processus critique de construction de l’objet » (Bouchard, 2000 :75 dans Lesemann, 2010 :5).

En conséquence, la comparaison est une démarche, un état d’esprit destiné à déplacer le regard du chercheur : « comparer, en invitant à une réflexion épistémologique à la fois sur l’attitude du comparatiste et les méthodes employées, constitue donc un moyen d’objectiver davantage la réalité sociale et de mettre en évidence la prudence dont le chercheur doit faire preuve » (Vigour, 2005 :103).

Mais, quelles sont les raisons qui nous poussent à nous embarquer dans une démarche comparative ? À la base de notre choix, il y a trois arguments :

D’abord, et tel comme le souligne Sassen (2010), la globalisation a favorisé l’apparition de nouveaux types de problèmes sociaux qui se configurent de manière spécifique dans les villes. Ces types de « problèmes » sont nouveaux puisqu’ils émergent dans une spécificité qui ne permet pas de les comprendre à partir du même prisme que les anciennes problématiques. En comprenant qu’une démarche comparative relationnelle exige une analyse qui fasse référence à l’ensemble du social (Bouchard, 2001), mon objet de recherche – l’expérience d’endettement éprouvé comme problématique chez les jeunes adultes – requiert une approche qui permet d’articuler les tensions globale et nationale de leurs expériences. Cela implique que Santiago et Montréal seront considérées comme des « villes globales » (Sassen, 2010), autrement dit, comme des villes qui en accumulant des concentrations de pouvoir économique ont donné forme à un nouveau type de géographie de la centralité et de la marginalité.

Ce nouveau type de géographie se caractérise par « reproduit en partie les inégalités existantes, mais est aussi le résultat d’une dynamique spécifique propre aux formes actuelles de la croissance économique » (Sassen, 2010 : 117). Ainsi, dans cette comparaison mettra l’accent sur l’analyse de l’expérience des jeunes interreliée et articulée à une série de dynamiques qui même si elles ne sont pas nécessairement situées à une échelle globale, répondent à la logique de la globalisation et aux séries des nouvelles dynamiques de marginalité (Sassen, 2010).

En deuxième lieu, l’une des raisons qui expliquent notre intérêt pour la situation des jeunes, dont leur endettement, est explorée si les différences observées en matière de protection sociale offerte à la personne endettée, à Montréal (Canada) et à Santiago (Chili), influencent la façon d’affronter et de représenter le caractère problématique de l’endettement. Cet intérêt est en soi même un intérêt comparatif notamment pour deux raisons : d’abord, le propos de cette thèse est celui de comprendre un contexte à partir de l’autre (nous reviendrons sur cette idée dans le prochain point) et, de plus, cette thèse cherche à mettre en lumière les sentiments d’évidence des effets de la protection sociale en la vie quotidienne des individus. En effet, la démarche comparative permet justement de

relativiser l’influence de certaines variables qui sont présentées dans la pensée collective comme « traits prédominants et comme facteurs explicatifs de divers comportement » (Bouchard, 2001 :48). De cette manière, la comparaison peut nous aider à « récuser de faux déterminismes, des enchaînements chronologiques donnés a posteriori comme inéluctables, mais qui, en réalité, ne l’étaient pas » (idem).

Cette « faculté » de la démarche comparative embrasse par là même mon troisième argument. Tout mon travail comme professionnelle et chercheuse a été lié, d’une manière ou d’une autre, à la situation de jeunes en exclusion sociale au Chili. Cette situation qui peut être vue comme un avantage pour cette recherche, car il s’agit d’un sujet que je connais bien, peut aussi être un désavantage dans la mesure où je risque de « sur interpréter » le sujet. Ce qui, selon les mots de Bouchard (2001), implique de « briser la circularité ou le cercle vicieux de la connaissance » devient, ainsi, un impératif dans notre processus de recherche.

La comparaison est alors une opportunité pour « sortir du prisme national sur ces questions en les remplaçant dans un cadre plus large permettant au bout du compte de mieux les situer » (Ehrenberg, 2010 : 22). La comparaison est, alors, un moyen de rupture des représentations sociales issues d’un contexte socioculturel particulier, un exercice pour se décentrer, une transgression qui permet de générer un équilibre entre « la distance qui donne une certaine liberté dans le regard et le jugement, et la proximité qui rend possible la compréhension » (Vigour, 2005 : 102).

En somme, le but de la comparaison est similaire à celui de l’interdisciplinarité : les deux sont une forme de provocation à la réforme du regard scientifique qui « vise à dépayser et à stimuler l’imagination scientifique, à reformer le regard, à susciter de nouvelles questions et de nouvelles réponses » (Bouchard, 2001 :49).

II. Le déroulement d’une recherche développée dans deux