• Aucun résultat trouvé

Parler de dettes et d’endettement implique d’entrer dans un monde de significations multiples. Il était important donc de préciser dans quel sens le concept d’endettement serait mobilisé dans cette recherche. Après un cheminement conceptuel qui nous a permis de préciser les limites que la notion de surendettement pose à notre recherche – limites qui seront reprises dans l’article qui est présenté ci-après — nous avons choisi de travailler avec la prémisse que l’« endettement pose problème ». Cette prémisse implique deux présupposés : 1.- Si l’« endettement pose problème » cela concerne avant tout un individu, et donc un problème empirique que doit être investigué à partir de l’analyse de l’expérience de ceux et celles qui l’éprouvent 2.- si l’« endettement pose problème », c’est toujours dans un contexte déterminé.

Dans un sens large, on parle de transformations sociétales transversales, qui font en sorte que l’endettement, notamment l’endettement étudiant, devient une réalité à laquelle la plupart des jeunes générations sont déjà, ou seront confrontées. L’endettement comme moyen légitime d’accès à l’éducation est parti d’un projet sociétal, que nous avons circonscrit au contexte de la « révolution néolibérale » (Honneth et Hartmann, 2008). Ceci réfère à un moment du capitalisme où la libéralisation du marché économique, la privatisation des biens de l’État et l’expansion de la gestion financière sont devenues un modèle de production des valeurs. Bref, si l’« endettement pose problème », c’est autant en raison d’une situation objective (avoir des difficultés économiques pour rembourser ses dettes) qu’en raison des injonctions que l’endettement induit dans la vie et les comportements des individus. Les changements dans l’aspiration à la réalisation individuelle de soi, l’accès à la reconnaissance sociale par le biais de la consommation et la

prédominance de la responsabilisation individuelle, constituent autant de transformations qui nous obligent à penser autrement l’endettement.

Dans un sens plus spécifique, on a avancé l’idée que l’endettement, en tant que phénomène qui pose problème, est inscrit dans un contexte sociopolitique déterminé. Cela devient évident quand on considère la façon dont on devient un jeune adulte endetté au Québec ou au Chili, et donc la manière dont chaque société problématise et essaie de résoudre les problèmes d'acquisition excessive de dettes. Trois dimensions contextuelles parmi les plus déterminantes ont été identifiées :

1. Les jeunes adultes scolarisés au Québec sont les héritiers d’un projet politique de démocratisation de l’éducation, alors que leurs homologues au Chili sont les héritiers des réformes politiques et économiques néolibérales mises en œuvre pendant la dictature militaire. En termes plus concrets, cela implique que, à la différence des jeunes Québécois, héritiers d’un système d’éducation qui s’est voulu ouvert à tous (Gauthier, 2003), les jeunes au Chili sont exposés à un système éducatif de plus en plus privatisé où le poids économique qu’implique l’accès à l’éducation supérieure est supporté en grande partie par les jeunes et leurs familles (Meller, 2011). Bref, ces deux systèmes de financement universitaire sont construits sur la base de deux projets politiques radicalement différents.

2. Au Québec il existe des institutions juridiques et communautaires qui interviennent sur la question de l’endettement. Le problème de l’endettement est donc un problème défini et réglementé par les institutions sociales et politiques. On est endetté ou plutôt on est déclaré insolvable lorsqu’on éprouve une situation financière définie par la Loi qui elle-même nous donne des outils pour rétablir la situation. Dans le cas du Chili, considéré comme le

pays le plus néolibéral du monde, il n’existe pas de législation sur l’insolvabilité familiale. Il y a certes des statistiques qui devraient mettre en garde les consommateurs quant à leur ratio d’endettement et la population quant à la « santé économique » du pays, mais il n’a pas des institutions mandatées pour résoudre les problèmes des endettés.

3. Malgré ces différences, l’endettement des jeunes adultes scolarisés s’accroit avec le temps au Québec et au Chili. On constate dans les deux contextes un accroissement des attentes de consommation chez les jeunes générations. Au Québec, les données sonnent l’alerte sur les éventuelles difficultés que les jeunes pourraient rencontrer pour rembourser leurs dettes à l’avenir, alors qu’au Chili, on peut s’attendre à ce que ces difficultés soient encore plus difficiles à surmonter, considérant les inégalités de revenus et les impacts de la dérèglementation du système bancaire.

Tous ces éléments nous permettent de conclure que l’expérience d’endettement au Québec et au Chili se structure à partir de cadres institutionnels très différents. Comment ces différences se reflètent-elles dans l’expérience d’endettement des jeunes adultes scolarisés à Montréal et à Santiago? Quelles en sont les causes? Les réponses à ces questions seraient l’objet de la deuxième partie de cette thèse.

« Et si la dette privée était un problème de société ? »

L3%,M*)!06'-':5)!()!()5N!-OP*)*!@&@5,%'6)*!*56!,%!0&1@6.O)3*'&3!(5!@O.3&1P3)!(5!

*56)3()--)1)3-!0O)Q!,)*!9)53)*!(%3*!,)!0&3-)N-)!()!,%!2!6.7&,5-'&3!3.&,'/.6%,)!4F! !

Article à publier à la revue Nouvelles Pratiques Sociales dans la rubrique « Perspectives » du numéro Intersectorialité et pratiques sociales (n 26, vol.2). Printemps 2014 Résumé:

Cet article propose une analyse critique des deux thèses populaires à partir desquelles s’articule la réponse à la question « pourquoi les individus s’endettent-ils au-delà de leurs moyens ? », à savoir, la thèse du surendettement comme une des conséquences de comportements irresponsables, et la thèse du surendettement par accident, à partir d’une approche axée sur la situation de jeunes à l’ère de la société néolibérale. Dans un objectif de lutte contre les problèmes croissants de surendettement observés chez les jeunes, une définition adéquate est capitale ; de même, une intervention adéquate repose sur un diagnostic adéquat. Les problématiques inhérentes à la définition du concept de surendettement chez les jeunes sont donc d'une grande importance pratique en termes d'intervention professionnelle et sociale.

Summary:

This manuscript offers a critical analysis of two popular theories developed to address why people get into debt beyond their means. The first one understands debt as the consequence of irresponsible behavior, whereas the second sees it as caused by accident. Based on the situation of the youth inserted in neoliberal societies, this paper intends to establish links between social structures and individual experiences of young people facing high levels of

personal debt. Given the sustained increase in the rate of debt in young people, a proper characterization of over debt in this population segment becomes critical for elaborating adequate responses to address this issue. The inherent problematics associated to defining the concept of 'young over debt' reflect its practical importance for designing professional and social intervention policies.

Introduction: Le surendettement, problème d’origine individuelle ou