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Approche psychanalytique

1. Une défense psychique

Selon la perspective freudienne, l’humour est un mécanisme de défense contre la souffrance. Il est de ce fait la panacée que l’humoriste élabore lui-même pour se défendre des affects insupportables. Le célèbre exemple de Freud, est celui de ce condamné à mort qui, par un lundi matin, le jour de son exécution, s’exclame en disant : « La semaine commence

bien. », se permettant un tel trait d’esprit quelques instants avant son exécution, relève de

l’humour. Arriver à supporter la situation par une plaisanterie sur son sort, révèle son besoin de rire. La seule jouissance qui lui reste est la banalisation de ce qui lui arrive de tragique. Freud explique cette attitude de recherche du plaisir dans des situations aussi désespérées que celle du condamné à mort, par la théorie de l’économie de l’affect ; l’humoriste, étant dans une mauvaise passe, cherche un bénéfice de plaisir qui se manifeste par l’absence complète d’expression du moindre affect, supplantée par une plaisanterie.

Cette substitution de l’affect pénible par la plaisanterie est observable dans le récit Où

on va, papa ? ; quand le lecteur attend de la part du narrateur-humoriste un effondrement

affectif, celui-ci rompt cette attente par un tour humoristique qui entraîne chez le lecteur le plaisir d’en rire ou d’en sourire. C’est en cela que l’humour est une défense psychique car il est une source de plaisir pour l’humoriste au moment où il est exposé au risque de la douleur.

Une autre caractéristique par laquelle Freud explique l’attitude humoristique est la faculté de défense qu’elle octroie au sujet souffrant. A la recherche du plaisir dans l’exercice humoristique, le Moi du narrateur-humoriste refuse de subir la souffrance et réagit inversement en trouvant dans les réalités qui l’agressent (source de maux) des ressources pour rire. L’image que se donne le narrateur-humoriste est celle de celui qui ne veut pas

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s’incliner devant ses malheurs. La narration humoristique de faits dramatiques indique un déni de la souffrance de la part de l’auteur. Il l’explique comme suit :

« L’humour ne se résigne pas, il défie, il implique non seulement le triomphe du moi, mais encore du principe du plaisir qui trouve ainsi moyen de s’affirmer en dépit de réalités extérieures défavorables »1

Nous arrivons ainsi à l’idée que le comportement humoristique recèle une dimension psychologique épaisse, elle est une arme de défense contre tout traumatisme (surtout moral). Pour ce qui est de notre récit, l’humoriste-narrateur, le père spectateur du handicap de ses fils, puise toute son énergie dans le pansement de ses états d’âme par la dérision tournée contre ses enfants et contre lui-même ; seule arme qui lui permet de neutraliser ses douleurs à chaque fois qu’il se sent dans le besoin de le faire. Cela même lui donnera l’impression d’avoir triomphé par son jeu humoristique contre toute réalité insupportable. Freud parle de triomphe narcissique :

« Le sublime tient évidemment au triomphe du narcissisme, à l’invulnérabilité du moi qui s’affirme victorieusement. Le moi se refuse à se laisser entamer, à se laisser imposer la souffrance par les réalités extérieurs, il se refuse à admettre que les traumatismes du monde extérieur puissent le toucher ; bien plus, il fait voir qu’ils peuvent même lui devenir occasions de plaisir. Ce dernier trait est la caractéristique essentielle de l’humour. »2

L’exercice humoristique révèle chez l’humoriste le triomphe de son narcissisme, cette victoire est l’affirmation du Moi qui se déclare invulnérable aux traumas de la vie. Il y a un rejet de tout sentiment de démission du Moi face aux traumatismes entraînés par l’événement adverse. D’où ce besoin de l’humoriste de trouver des avantages, des détails favorables lui permettant de renverser la situation et d’adopter le statut de vainqueur. Cette impression de se voir triompher là où il est censé être vaincu lui permet de tenir le coup.

Dans le passage qui suit, le narrateur, après s’être moqué de son fils Mathieu, s’explique sur les véritables intentions de plaisanter sur ses enfants et sur ses déceptions :

« Je n’avais pas envie de me moquer de toi, c’est peut- être de moi que je voulais me moquer. Prouver que j’étais capable de rire de mes misères. »3

1SIGMUND, Freud, Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, Québec, 14 novembre 2002 (16 mars

2007) 905 p. 209, LETTRE (US letter), 8.5”x11”). Disponible sur :

http://classiques.uqac.ca/classiques/freud_sigmund/le_mot_d_esprit/le_mot_d_esprit.html

2 Ibid., p.208.

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Ce qui est favorable dans l’étude de ce récit, est l’aspect autobiographique ; il nous offre des passages confirmant nos postulats sur le mécanisme psychique de l’humour ; c’est souvent quand le narrateur se livre à une sorte de monologue où lorsqu’il s’adresse à ses enfants, qu’il fait part de son penchant pour l’humour et la moquerie. Etre capable de rire de ses propres malheurs, c’est ici que réside le sentiment de triomphe de l’humoriste.

En somme, faire de l’humour est un remède psychique du moi qui refuse de souffrir. Il est une sorte d’antalgique auquel le sujet recourt pour se protéger, et se voir triompher de ce qui est censé l’abattre.

Franck Evrard perçoit dans l’attitude humoristique comme un comportement de dépassement de l’angoisse.

De part son aspect défensif et libérateur, l’humour représente pour son auteur la sécurité de son Moi. Dans l’acte d’arriver à se moquer de situations dramatiques, naît un sentiment de sécurité qui rassure le sujet, riant de son état d’âme face au danger menaçant.

« Il est symptôme ici de la métamorphose réussie du négatif en positif. Confrontée à l’insupportable, la conscience s’apprêtait à la fois à en éprouver douloureusement la piqûre et à la mépriser avec fureur, le tout donnant une sorte d’ataraxie crispée. Mais chacun des deux rires le fait basculer : le rire poignarde, tue la douleur, le rire ravi dissout la rage. Commence ainsi le plus difficile et le plus admirable, le plus miraculeux de l’humour : la transformation des noirceurs de l’adversité en la lumière d’un plaisir. Et d’un plaisir communicatif. »1

Dominique Noguez résume clairement le mécanisme humoristique ; il consiste en la métamorphose de faits négatifs en positifs. Il parle de « métamorphose » car il s’agit d’une transformation extrême de deux pôles qui s’opposent. L’humoriste face à des réalités insupportables recourt à l’humour pour rire de son adversité. Le rire permet de se libérer de toute source de douleur. C’est en quelque sorte guérir le mal par le mal, rire des souffrances est certainement un mécanisme qui ne laisse pas indifférent, et semble le plus complexe et le plus ardu des processus pour vaincre les traumatismes d’un coup douloureux. Du fait qu’il bascule du pôle de la souffrance à celui du rire et du plaisir est « une métamorphose ». Il parle d’un plaisir communicatif car le rire dans son essence procure un plaisir qu’on dit contagieux, donc transmissible. Charlie Chaplin parlant du rire a dit : « Le rire est le chemin le plus court entre deux personnes. » Cela montre les effets de l’humour et du rire qui sont à la fois un plaisir partageable, communicatif et bénéfique.

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