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L’impact de l’humeur sur l’écriture de so

Approche psychanalytique

J- L’impact de l’humeur sur l’écriture de so

L’écriture de soi relève en premier lieu d’un travail de mémoire ; elle porte sur le passé qui se fait au dépend d’un présent, de la représentation qu’a le narrateur de son vécu au moment de l’écriture. Selon Boris Cyrulnik, l’humeur de l’auteur joue un rôle capital dans l’écriture du récit de soi, c’est elle qui indiquerait en grande partie les scènes, les images, les mots qu’il va choisir pour se raconter. Elle dicterait donc le sens et le cours que va prendre le récit. Si ce dernier met en scènes des événements qui inspirent le désespoir et la souffrance c’est que l’auteur, lui-même, était dans un état désespéré et souffrant pour avoir pensé qu’aux faits qui évoquent des sentiments similaires à ceux qu’il ressentait au moment de l’écriture. Et vice versa ; un récit qui relate des séquences de vie qui inspirent le bonheur, c’est parce que l’auteur était de bonne humeur au moment de l’écriture. C’est dans ce raisonnement que Boris Cyrulnik déduit qu’un écrivain sous l’influence de son humeur au moment de l’écriture peut raconter deux récits de sa vie tout à fait opposés et dans chacun des deux récits, il n’aura raconté que la vérité. Cette réflexion montre à quel point l’humeur a un impact sur la mémoire dans l’écriture de soi. Si nous parlons à ce stade de l’humeur c’est que cette dernière a une forte relation avec l’humour ; les théoriciens l’ont longtemps défini en fonction de l’humeur dominante chez l’homme. Une écriture humoristique serait-elle aussi relative à l’humeur qui guiderait l’auteur dans son choix de la relation des événements ?

Cette question sur l’humeur de l’état d’âme de l’auteur au moment de l’écriture et les éventuels récits qui découlent nous fait penser au choix des faits relatés par Fournier dans Où

on va, papa ? ; il parle brièvement de la naissance de sa fille Marie, qui est en bonne santé.

Malgré cela, il n’en fait pas des pages de cet événement qui devrait être un élément important suite à deux naissances décevantes. L’arrivée de Marie au monde aurait pu faire l’objet d’un récit qui raconterait des moments heureux que le père n’ait pas partagé avec Mathieu et Thomas, alors qu’il en consacre que quelques lignes. Cela ne peut être en relation qu’avec l’humeur de l’auteur.

1L’humour, op.cit., p. 114.

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Ce critère de l’humeur de l’auteur au moment de l’écriture semble jouer un rôle important dans les choix des faits à raconter dans un récit. Ce petit détail révèle d’un côté l’humeur de l’auteur au moment de l’écriture, elle n’est pas constante mais le choix des faits racontés nous sert d’indice. L’auteur, dans sa narration, s’arrête à un moment ou plutôt à deux moments de sa vie qui l’ont marqué, que sont les deux naissances de ses fils, elles lui rappellent beaucoup plus cette double déception. Cette écriture témoigne de l’état d’âme d’un auteur qui veut partager son vécu et le raconter, montre l’aspect résilient que véhicule son écriture par l’humour qui métamorphose des événements d’origine peineuse en moments de rire.

Certes, cette réflexion de Boris Cyrulnik à propos de l’humeur et de mémoire relève plus d’une réflexion psychanalytique que littéraire mais s’agissant d’une écriture de soi et compte tenu d’une approche psychanalytique, nous voulions en savoir plus sur l’éventuelle relation entre les deux, même si ce rapport n’est pas toujours plausible du fait que le récit fictif et le récit personnel ne sont pas du même genre.

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Conclusion

Dans ce troisième chapitre, notre étude s’est focalisée sur l’écriture humoristique autant que mécanisme psychique. De ce fait, nous avons opté pour une approche psychanalytique pour comprendre le mécanisme psychique de l’attitude humoristique dans le récit Où on va,

papa ? Notre hypothèse sur ce point est que l’humour dont fait preuve l’auteur n’est pas

uniquement une stratégie de rendre son récit drôle, il a une dimension plus profonde et plus sérieuse du fait qu’elle relève de la psychanalyse. Il trouve ses prémisses dans le comportement de l’homme humoriste. Au cours de cette approche, nous n’avons pas ignoré l’aspect autobiographique du récit, car c’est une piste qui nous a aidés à mieux comprendre l’attitude humoristique.

Dans toutes les réflexions que nous avons survolées sur le phénomène de l’humour, il est expliqué comme un mécanisme de défense qui procure à son auteur du bien, surtout quand il s’agit de réagir face à des réalités adverses. Freud, l’explique par la théorie de l’économie de l’affect du Moi de l’attitude humoristique ; qui, à défaut de la manifestation de l’affect, l’humoriste cherche à la substituer par le plaisir qu’il trouve dans le jeu humoristique. Nous avons remarqué que dans cette attitude où le sujet refuse d’exhiber ses souffrances, il y a un rejet de la pitié qu’il ne veut pas exprimer ni la ressentir de la part de ses lecteurs. C’est semblable à l’effet miroir, il adopte l’attitude qu’il veut obtenir auprès de ses lecteurs.

Outre cela, le narrateur-humoriste dans sa pratique de l’humour, entreprend une attitude sadomasochiste. Il trouve du plaisir dans la ridiculisation humoristique de ses enfants et de sa propre personne afin de se défaire des traumatismes.

Nous avons vu également dans l’écriture humoristique de Jean Louis Fournier, une forme de résilience ; cette dernière est expliquée comme un processus adopté par le sujet blessé pour s’en remettre de sa tourmente. Le fait de raconter son double drame avec autant de désinvolture, de détachement et d’humour reflète une résilience de l’auteur, alors que dans la logique des choses, il est censé être abattu. Que ce soit dans la réflexion de Freud ou de celle de Boris Cyrulnik, les deux témoignent du triomphe du Moi dans l’écriture humoristique.

Devant de telles constatations, ce trait d’écriture est plus qu’une simple stratégie de faire rire, il est un antalgique pour le sujet qui en use. En appréhendant son mécanisme d’expression oxymorique, il nous a semblé que cette écriture, qui paraît audacieuse, est au fond pudique et discrète, car elle dissimule par le rire une douleur. Une écriture qui se révèle comme un moyen que l’humoriste emploie pour extérioriser ses maux sans vouloir faire

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pleurer. L’humeur est également un facteur qui a une influence considérable dans l’écriture de soi.

Cette approche psychanalytique nous a certainement éloignés du domaine littéraire et pourtant elle est celle qui apporte plus d’explication sur ce phénomène, car elle prend pour cible l’humoriste lui-même qui est derrière cette écriture et qui révèle le mécanisme humoristique sur le plan psychologique. Freud considère les deux perspectives, littéraire et psychanalytique, des interrogations sur l’œuvre l’une par les moyens de l’art et l’autre par ceux du concept sur l’attitude de l’homme.