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Arrivés à ce stade d’étude, d’autres questions surgissent à propos de l’humour, car ce dernier est un phénomène qui évoque d’autres attitudes d’expression proches par l’effet qu’elles produisent et mène à la confusion. Une confusion qui est due surtout à la difficulté de les définir, de les distinguer l’un de l’autre. Leurs définitions demeurent réversibles. Lorsque nous reprenons deux expressions très utilisées : « Il fait de l’humour » et « Il ironise » quelle est la différence entre les deux phrases ? Cette question nous conduit à une autre dont la réponse résoudra bien le problème : quelle est la différence entre humour et ironie ? Si nous avons rapproché ces deux concepts au cours de notre étude c’est parce qu’ils sont deux procédés qui visent à susciter le rire et nous voulons sans aucune prétention, explorer de près

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ce terrain en prenant comme appui les célèbres études qui ont fait écho en matière d’analyse du couple humour et ironie.

Tout comme l’humour, l’ironie a aussi été longtemps discutée et fut au cœur de réflexions de philosophes, de spécialistes de figure de style. Ainsi elle a fait l’objet d’étude linguistique et de rhétorique.

M. Josèphe Moreau lui attribue la définition suivante :

« L’ironie est celui qui, dans ses propos, diminue ou rabaisse la réalité, qui refuse d’avouer ses propres qualités, qui dissimule son savoir sous une ignorance feinte, qui se retranche dans une attitude, purement interrogative. L’adjectif ironique, le nom d’ironie se rattacheraient au verbe, qui signifie interroger »1

Selon M. Josèphe Moreau, les propos ironiques consistent à réduire une réalité, à la mettre au plus bas en la critiquant. Celui qui ironise, adopte une attitude de fausse naïveté, fait semblant d’ignorer l’état des choses. Connaissant les réalités, il feint les autres en travestissant son savoir par des interrogations portant sur des réalités qu’il trouve absurdes. Ainsi l’humoriste se borne dans l’attitude du questionneur, qui ne comprend pas et qui a du mal à partager des évidences. Il joue le rôle d’un imposteur, qui, par les visions, les réflexions qu’il porte sur les réalités, crée de l’ironie. De ce fait, cette dernière, naît des fausses interrogations que se pose l’humoriste sur ce qu’il prétend ne pas comprendre.

C’est exactement l’attitude que prend l’auteur-narrateur du récit Où on va, papa ?, avec une naïveté qui paraît presque vraie. Il s’interroge avec un air sidérant sur l’état réel des choses. Tout comme ce passage où le père s’interroge sur le fait qu’il existe des concours où les plus beaux bébés sont récompensés.

« J’avais un regard étrange sur les concours du plus beau bébé. Je ne comprends toujours pas pourquoi on félicite et récompense ceux qui ont des beaux enfants, comme si c’était de leur faute. Pourquoi, alors, ne pas punir et mettre des amendes à ceux qui ont des enfants handicapés ? »2

Ce qui semble le plus étrange au narrateur, c’est la raison pour laquelle les parents sont récompensés, et sur ce, il introduit un jeu de mots, au lieu de dire « comme si c’était grâce à eux », il dit « comme si c’était de leur faute ». Il trouve ce genre de concours tellement étrange et absurde, qu’il répond à cette réalité absurde par un raisonnement qui semble le plus

1 Bulletin du Centre d’Etudes de Littérature générale, Faculté des Lettres de Bordeaux, fasc. VII (1957-58-59)

réunion du 21 janvier 1958. IN L’Humour, ESCARPIT, Robert, op.cit., p. 97.

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logique en posant une question qui joue le rôle de la troisième proposition c’est-à-dire la conséquence. Nous reformulerons son passage comme suit « Puisqu’on récompense les plus beaux bébés, les enfants handicapés et moches devraient par conséquent être punis, ou bien, ils paieront une amende de leurs tares physiques ». Avec une fine naïveté feintée, le père s’interroge sur des réalités auxquelles personnes ne prêtent attention et qui pourtant méritent réflexion. Cela-dit, la question qui se pose maintenant, c’est la part de l’ironie dans cet extrait. La première interrogation du père est une question fine et sagace, c’est à partir du jeu de mot « comme si c’était de leur faute » au lieu de « comme si c’était grâce eux » que se hisse un brin d’humour. Selon la définition de l’ironie citée plus haut, la seconde question est ironique. A travers ce questionnement, le père ironise sur la réalité, il met le doigt sur des choses qui sont étranges, sur des actes qui n’ont pas de logique, sur des jeux derrière lesquels il n’y a pas une morale et peuvent être blessant pour d’autre, à la fois aux parents tel que lui, qui a des enfants handicapés et ceux dont les enfants sont malades ou atteints physiquement. L’ironie se manifeste sous forme d’une interrogation qui porte sur le fonctionnent absurde de ce monde.

Pierre Fantanier, spécialiste des figures de style, dans son essai Figures du discours, propose une définition de l’ironie comme suit :

« L’ironie consiste à dire par une raillerie, ou plaisante, ou sérieuse, le contraire de ce qu’on pense, ou de ce qu’on veut faire penser. Elle semblerait appartenir plus particulièrement à la gaieté ; mais la colère et le mépris l’emploient aussi quelquefois, même avec avantage ; par conséquent, elle peut entrer dans le style noble et dans les sujets les plus graves »1

Selon la définition proposée par Fontanier, l’ironie tend à railler soit en prenant un aspect plaisant, soit un aspect sérieux pour dire l’inverse de ce que l’on pense ou de ce que l’on veut faire penser à son interlocuteur, tel que louer ce que l’on veut blâmer, tout en sachant que celui à qui l’on s’adresse comprend notre intention d’ironiser ; et cela est défini par la situation d’énonciation. En définissant ainsi l’ironie, il lui donne un équivalent appelé en rhétorique l’antiphrase, qui se traduit précisément par ce jeu de contradiction entre la pensée et l’énoncé. Il voit l’ironie beaucoup plus du côté du gai mais cela ne l’exclut pas du côté de la tristesse.

Si le problème semble réglé d’un point de vue rhétorique pour l’ironie, quoiqu’elle ait fait l’objet d’autres éclaircissements, l’humour serait alors quoi par rapport à elle ? D’autres théoriciens se sont penchés sur cette question en allant chercher une réponse dans la

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rhétorique. Autrement dit, ils ont fait le même travail que Fontanier, attribuer à l’humour une figure de discours qui lui est propre.

Nous citerons à titre d’exemple Dominique Noguez qui offre à l’humour, comme équivalent rhétorique, la syllepse (donner au mot à la fois son sens propre et son sens figuré dans l’énoncé). Mais condamner l’humour à une seule figure ne semble pas applicable dans tout énoncé humoristique, elle est loin d’être la figure propice à l’humour car il existe des textes qui tendent à ce mode d’expression sans aucun recours à la syllepse.

L’ironie est toujours d’intention de tourner au ridicule le sujet visé. Il y a dans l’énoncé ironique une feinte de détromper le sujet sur ses attitudes par l’ironiste afin de bien marquer la dévalorisation.

Frank Evrard partant d’une illustration comparative1 faite par Henri Morier, propose une fine distinction entre humour et ironie sur le plan de la visée de cette dernière et l’effet interprétatif de l’humour chez le récepteur au moment de l’énonciation. La première porte surtout un jugement vis-à-vis du monde et aspire à « fixer la signification », le second laisse planer un doute sur les faits et crée chez le sujet une incertitude à interpréter l’énoncé humoristique, tendant ainsi à ralentir le rire ou l’interrompre.

Malgré toute la pléthore des tentatives de définitions faites sur l’humour et l’ironie, la distinction théorique entre les deux concepts reste posée. Ce que nous pouvons en déduire est que l’humour et l’ironie sont deux notions parentées. Mais dans la plupart des définitions, l’ironie est associée à la figure de l’antiphrase.

H- Dimensions risibles de l’humour :