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Chapitre 2: À l’heure de la refondation politique et constitutionnelle

4. Le certificat de naissance de la « nation arc-en-ciel » : la nouvelle Constitution de 1996, un

4.2 Une Constitution défavorable aux Blancs selon le Times

Le refus de l’ANC d’accorder des garanties constitutionnelles aux Blancs sud- africains est également un élément central qui ressort de l’analyse d’articles du quotidien londonien. De ce fait, comme le formulait également le Globe and Mail, le Times condamne cette tendance de l’ANC à diriger en tant que gouvernement majoritaire au détriment de l’idée d’un gouvernement d’unité nationale. En ce sens, l’ANC est perçu de façon très négative par le quotidien. R. W Johnson, correspondant en Afrique du Sud pour le Times, affirme d’ailleurs à propos de l’Afrique du Sud que : « The country is being run by a small ANC elite whose members are attempting to make elective legitimacy and accountability subject for their whim. For this group, party interests come far ahead of any constitution »295. Le quotidien londonien considère donc que l’ANC fait

passer ses intérêts propres devant tous les autres et même devant la Constitution.

Outre cet aspect, l’organe de presse londonien évalue la question du partage du pouvoir comme le Globe and Mail, mais également d’autres garanties constitutionnelles demandées par le PN comme l’écrit d’ailleurs R. W Johnson.

The African National Congress has rejected a clause guaranteeing property rights, has struck out a clause giving employers and workers equal rights in industrial disputes and has allowed only the weakest of face-saving formulas over single-language schools. In

294 Haut-Commissariat du Canada en Afrique du Sud, « Relations Canada-Afrique du Sud », Gouvernement

du Canada, [En ligne], http://www.canadainternational.gc.ca/southafrica-

afriquedusud/bilateral_relations_bilaterales/canada_south-africa-afrique-du-sud.aspx?lang=fra (page consultée le 22 février 2016).

295 R. W. Johnson, « Boost for ANC after new South Africa Constitution spurns federalism », Times, 10 décembre 1996, p. 14.

addition, all the National Party’s attempts to gain some guarantee of future power-sharing have been cast aside by the ANC in favour of simple-majority rule296.

Ici, le quotidien identifie la clause garantissant le droit à la propriété, l’égalité entre travailleurs et employeurs lors de conflits et le fait que l’ANC ne fasse quasiment rien pour garder en fonction les écoles unilingues afrikaans comme étant des éléments problématiques au sein du processus de négociation.

En effet, les disputes constitutionnelles en ce qui concerne la question du droit à la propriété remontent d’ailleurs au début de l’année 1993 lors des premières négociations pour la rédaction d’une Constitution. Si l’ANC souhaitait légiférer dans la Constitution au sujet du droit à la propriété dans le but de redistribuer et restituer des terres qui avaient été dépossédées sous l’apartheid, le gouvernement du Parti National pour sa part, désirait ardemment protéger les droits à la propriété – il désirait d’ailleurs qu’ils soient garanti par la Constitution- et accorder une redistribution dans les cas d’utilités publiques moyennant une compensation financière297. Ultimement, l’article 25 de la Constitution

finale affirmera le droit de propriété en même temps qu’une restitution et une redistribution des terres dans la cadre de la réforme foncière, expropriation qui sera juridiquement encadrée298.

Nous voyons donc que certes, le Times voit le refus du partage du pouvoir dans le futur comme défavorable pour le Parti National et donc, pour les intérêts des Blancs, mais il identifie d’autres aspects constitutionnels refusés au PN. Inigo Gilmore fait de même dans son article.

Approval was secured after an eleventh-hour agreement between the ANC and the former ruling NP on key education, labour and property clauses. [...] the ANC gave ground on the future of afrikaans-language schools and the protection of property accrued under apartheid. In exchange, the National Party was forced to accept a labour relation clause that failed to guarantee the rights of business and industry to protect themselves from strikes by locking out workers299.

L’extrait ci-dessus nous permet de voir qu’il y a eu compromis dans les négociations : l’ANC a cédé sur les questions des écoles afrikaans menacées de devenir bilingues afin d’être plus inclusives et la protection des biens qui ont été accumulés sous

296 R. W. Johnson, « South Africa plunges into economic gloom », Times, 10 mai 1996, p. 11.

297 Heinz Klug, The Constitution of South Africa: A contextual analysis, Oxford, Hart Publishing, 2010, p. 46-59.

298 Vircoulon, « La gouvernance en Afrique du Sud… », p. 742.

l’apartheid et le Parti National, pour sa part, a été « forcé » d’accepter la clause sur les relations de travail. L’utilisation de ce terme laisse supposer que pour le Times, il s’agit d’un compromis qui n’est certainement pas à l’avantage du PN et donc, des intérêts de la population blanche.

Certes, tout comme pour le quotidien torontois, le journal britannique voit dans le refus du partage du pouvoir garantie par la Constitution en faveur de la règle de la simple majorité un aspect problématique qu’il traite négativement parce que défavorable aux Blancs. Or, contrairement au Globe and Mail, le Times aborde également d’autres enjeux entourant les garanties non accordées. Cela peut certainement être explicable par cette tendance qu’a le Times, à travers l’analyse d’articles, à prendre à cœur les peurs des Blancs et à se ranger derrière leurs préoccupations. Dans ce cas-ci, la clause concernant le droit à la propriété par exemple inquiète le quotidien puisque ce sont les Blancs, dont une bonne partie est d’origine britannique qui possèdent les richesses et les propriétés en Afrique du Sud. De plus, il est possible d’avancer que l’importance accordée aux valeurs libérales britanniques300 dont celle du droit à la propriété et l’enrichissement individuel

motive cette critique formulée par le Times.

En outre, le Times met un très grand accent sur les problèmes économiques que cette Constitution défavorable aux Blancs pourrait occasionner, ce que le Globe and Mail ne fait pas. En effet, le quotidien londonien voit dans le départ de De Klerk du gouvernement d’unité nationale en 1996301 une catastrophe pour l’économie sud-

africaine. Johnson parle dans son article de « crise financière » et d’un « éboulement du commerce » alors que le rand connaît une forte baisse de 12% et que le taux hypothécaire est de 18.25%. Dans ces conditions, personne ne veut investir en Afrique du Sud302.

Il est possible d’expliquer cette attention particulière du Times aux problèmes économiques qui sont occasionnés par une Constitution défavorable aux Blancs par le fait que la Grande-Bretagne a énormément d’intérêts économiques et commerciaux en

300 Inspirées par les philosophes des Lumières, les valeurs libérales britanniques favorisent les droits individuels et leur protection, limitant du même coup l’interventionnisme étatique.

301 En raison de l’absence de garantis constitutionnelles et largement insatisfait de la Constitution de 1996, De Klerk décide de quitter le gouvernement d’unité nationale qui avait été établi suite aux élections de 1994 remportées par l’ANC. Malgré tout, De Klerk a voté en faveur de la nouvelle Constitution afin d’éviter le recours à un référendum.

Afrique du Sud comme nous l’avons précédemment exposé dans le premier chapitre. C’est pourquoi selon nous, la situation économique de la nouvelle démocratie sud- africaine est particulièrement scrutée par le Times.

Nous avons vu les points de vue spécifiques des deux quotidiens sur les personnalités de Mandela et Mbéki, ainsi que de la CVR et de la nouvelle Constitution de 1996. La reconstruction de la nouvelle Afrique du Sud ne passe pas uniquement que par les réformes politiques et constitutionnelles, mais s’effectue également à travers la mise en place de mesures socioéconomiques.

Chapitre 3 : L’évolution socioéconomique sud-africaine : Espoir, scepticisme et

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