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Chapitre 2: À l’heure de la refondation politique et constitutionnelle

2. La personnalité de Thabo Mbéki et la fin de l’état de grâce

2.1 Un « technocrate » qui ne cherche pas la réconciliation pour le Globe and Mail

Tout d’abord, nous observons que ce n’est que vers l’année 1997 que les articles commencent à se pencher sur la figure du vice-président de la République, alors que Mandela affirme son intention de ne pas solliciter un second mandat en tant que président aux élections de 1999. C’est véritablement à ce moment que la question de sa succession et la personnalité de Mbéki devient très intéressante pour le Globe and Mail ce qu’il est possible de relever dans l’article de Michael Valpy, concernant le départ de Mandela de la présidence de l’ANC et l’arrivée de Mbéki à ce poste.

Mr. Mbeki is the antithesis in many ways of his mentor (Nelson Mandela choose Mr. Mbeki as his successor), is uncharismatic, publicly wooden, strategically wily, persuasive, work-obsessed, bureaucratic, overwhelmingly pragmatic, ideologically untaggable and privately aloof. He has a widely rumoured affinity for scotch when under stress. [...] He is disliked both by the South African media and by some powerful ANC figures such as provincial premiers Tokyo Sexwale and Matthews Phosa. The party’s parliament caucus is intimated by him. [...] he has alienated Gauteng province’s influential and high-profile premier. Mr. Sexwale, by among other things, apparently planting the suspicion – never

199 Paul Knox, « Mbeki pledges to govern with ``humility`` », Globe and Mail, 4 juin 1999, p. A24. 200 Vircoulon, L’Afrique du Sud démocratique…, p. 13.

remotely substantiated – that Mr. Sexwale have some sort of link to the drug trade. He has been accused of white-washing fraud allegations against the fiery anti-apartheid cleric Allan Boesak. (Mr. Mbeki’s staff says the allegations were unsupported201.

L’analyse de Valpy souligne le véritable fossé qui existe entre les deux personnalités des présidents Mandela et Mbéki. Clairement, pour le Globe and Mail, on est loin de l’attitude conviviale et amicale de Mandela, alors que Mbéki est plutôt considéré comme froid, bureaucrate et calculateur. Même dans le style politique, la différence est frappante. En effet, dans l’extrait étalé ci-dessus, Mbéki est perçu comme étant carrément prêt à tout pour arriver à ses fins, écartant ses rivaux par l’utilisation de stratégies pour les discriminer sur la place publique. D’ailleurs, le quotidien qualifie Mbéki d’ « intimidant » pour le caucus parlementaire essentiellement dû à ses nombreuses manigances politiques.

En effet, pour faire adopter ses différents programmes, Mbéki a ultimement besoin d’appui au sein des hauts placés de l’ANC. Or, des tensions commencent à émerger lors de la convention nationale du parti en 1997 au cours de laquelle Mbéki, qui est le vice- président à ce moment, est fortement critiqué, entre autres par Tokyo Sexwale, premier ministre de la province de Gauteng qui convoite également le poste de présidence de l’ANC202. Cependant, des rumeurs concernant sa possible implication dans un réseau de

trafic de drogues ruine littéralement sa carrière politique. Rapidement, le camp Mbéki est pointé du doigt pour avoir délibérément lancé ces rumeurs203.

Nous voyons donc que cette stratégie pour discréditer son adversaire est très révélatrice de la personnalité particulière de Thabo Mbéki. Hein Marais, dans son article du 17 décembre 1997, parle d’ailleurs de Mbéki comme étant « Machiavellian to the core »204 de par sa façon d’écarter ses rivaux à la présidence de l’ANC, Sexwale et Cyril

Ramaphosa, qui se sont vus contraints de se recycler dans le domaine des affaires. Le

201 Michael Valpy, « Mandela’s heir apparent already wielding power », Globe and Mail, 31 mai 1997, p. A1.

202 Province la plus riche d’Afrique du Sud, elle abrite le centre économique de Johannesburg ainsi que la capitale administrative, Pretoria.

203 William Mervin Gumede, Thabo Mbeki and the battle for the Soul of the ANC, Cape Town, Zebra, 2005, p. 58-59.

Globe and Mail voit une très grande différence dans le style politique « paternelle » de

Mandela versus celui très « pragmatique » de Mbéki205.

De plus, si Mandela a ouvert les bras à la population blanche et l’a incluse dans le processus de reconstruction de la nation, Mbéki pour sa part, n’en fait pas une priorité. Madelaine Drohan, dans son article du 9 mars 1998 ne manque pas de souligner que : «None of his advisers is white »206. Cette remarque n’est pas anodine. Dans le même

ordre d’idée, Paul Knox, dans son article, traite également de cette non nécessité pour Mbéki de se concentrer sur les Blancs : « Mr. Mbeki and his allies are seen as a cosmopolitan group that understands how business and government work in the developed world and believes a black-led South Africa can sit at the same table. As the argument goes, Mr. Mandela’s five-year term was characterized by the need for the reconciliation with whites, Mr. Mbeki’s hallmark will be full empowerment of blacks »207.

Nous constatons que Thabo Mbéki, à la grande différence de Mandela, ne désire pas faire de la réconciliation la pierre angulaire de sa gouvernance. Parce qu’exilé d’Afrique du Sud, de 1962 à 1990 et ayant eu une éducation occidentale britannique, Mbéki souhaite renouer avec ses racines africaines, une fois élu président. Il embrasse alors un discours africaniste, utilise le concept de « renaissance africaine » pour justifier sa légitimité et s’entoure de conseillers noirs, issus du Black Consciousness tels que le révérend Frank Chikane qui agira en tant que directeur général et coordinateur du bureau de la présidence208. Nous voyons donc qu’alors que le Globe and Mail saluait l’attitude

particulière de Mandela qui tendait la main à ses anciens ennemis devenus ses compatriotes au sein de la nouvelle démocratie, il semble être plus contre les pratiques afro-centrées de Mbéki.

Outre la comparaison des styles politiques, nous observons que le Globe and Mail s’intéresse énormément aux différences physiques entre les deux hommes. D’ailleurs, cette observation est relevable dans l’article de Madelaine Drohan du 9 mars 1998 : «

205 Ibid.

206 Madelaine Drohan, « Popular Mandela casts long shadow over successor », Globe and Mail, 9 mars 1998, p. A9.

207 Paul Knox, « Mbeki: Making own mark on South African politics », Globe and Mail, 3 juin 1999, p. A21.

208 Ivan Crouzel, « La ``renaissance africaine``: Un discours sud-africain? », Politique africaine, no. 77, mars 2001, p. 172.

Physically, the two men are different. Mr. Mandela is tall, almost rangy, and seems to wear a permanent grin. He favours shirts with wild African patterns even on formal occasions, and he will stop and talk to anyone. [...] A small, dapper man, always elegantly dress, Mr. Mbeki is seen as a technocrat »209. Nous voyons ici l’importance que

le quotidien accorde aux grandes qualités physiques de Mandela, mais également le fait que ces dernières sont utilisées afin de souligner les faiblesses de Mbéki. Si le premier est considéré comme grand et décontracté, le second est plutôt perçu comme petit et pimpant. Tout comme Drohan, Paul Knox compare également les deux présidents, physiquement, dans son article.

[...] he acquired a reputation as a clever intellectual, cool strategist and organizational infighter, adept at surrounding himself with the people who shared his vision. Mr. Mandela, 80, is relaxed and easygoing in public. He moves slowly, but manages to appear trim and almost athletic. Mr. Mbeki, 56, is still getting accustomed to crowds; his silhouette includes a distinct paunch that is not flattered by the casual attire of the hustings210.

Il faut dire que Mbéki a toujours été comparé à Mandela. D’ailleurs, Mervin Gumede, dans son ouvrage, amène le fait que la responsabilité incombe à l’ANC. Alors que Mandela est emprisonné, le parti entretient et cultive son image d’icône de la libération. Ce faisant, il rend la comparaison avec son successeur inévitable et même le meilleur candidat politique ne pourra relever le défi que représente la succession à Mandela211.

Or, l’accent que met le Globe and Mail sur les différences physiques entre les deux hommes mérite que l’on s’y intéresse. Pourquoi en effet, le quotidien s’attarde-t-il autant sur l’aspect de l’apparence physique? Il est possible de dire qu’il s’agit peut-être d’une question d’image. Nelson Mandela, comme nous l’avons étayé dans la précédente section, incarne la nouvelle Afrique du Sud. En suivant cette logique, le physique présenté comme avantageux et athlétique de Mandela la représente justement et donne l’image d’un pays chaleureux, en santé et ouvert sur le monde. Par contre, tout change avec l’arrivée de Thabo Mbéki. Physiquement, le nouveau président n’est pas perçu comme aussi attrayant que son prédécesseur et cela renvoie une toute autre perception du

209 Madelaine Drohan, « Popular Mandela casts long shadow over successor », Globe and Mail, 9 mars 1998, p. A9.

210 Paul Knox, « Mbeki: Making own mark on South African politics », Globe and Mail, 3 juin 1999, p. A21.

pays, l’image d’une Afrique du Sud moins en santé, plus froide, plus fermée et plus autoritaire.

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