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Chapitre 1 : L’Afrique du Sud ou la transition d’un régime ségrégationniste à l’ère de la

3. Les relations au sein de l’Empire britannique

3.2 Le Canada et l’Afrique du Sud : une politique étrangère canadienne ambivalente

autres dans le cadre du Commonwealth. Ils sont d’ailleurs deux des quatre « old dominion » fondateurs de cette organisation regroupant les anciennes colonies britanniques. Les deux pays partagent des expériences communes dont l’impérialisme britannique, la participation aux deux guerres mondiales au sein du même camp et l’existence d’un « problème» autochtone » avec d’une part, le régime d’apartheid sud- africain et d’autre part, les écoles et réserves amérindiennes canadiennes102.

Ces expériences communes ont fait en sorte que le Canada et l’Afrique du Sud ont développé une certaine proximité, consolidée par des relations diplomatiques et économiques privilégiées. Mais qu’arrive-t-il lorsque l’Afrique du Sud décide, avec la victoire du Parti National en 1948, de dresser les bases d’un régime ségrégationniste et d’institutionnaliser le racisme? Initialement, le Canada ne voit pas l’utilité de dénoncer l’apartheid, concevant qu’il y a du racisme partout et qu’il n’y a aucune raison de cibler un pays en particulier103.

De plus, dans les années 1950, il existe une convention non-officielle qui fait consensus au sein du Commonwealth et à laquelle le Canada tient particulièrement. Il s’agit de la non-intervention dans les affaires domestiques d’un autre État membre de l’organisation. De ce fait, aucun État n’intervient alors que l’apartheid se constitue en Afrique du Sud puisque le traitement des « affaires indigènes » correspond à une affaire domestique. Cependant, l’année 1960 s’avère déterminante dans la prise de position du pays par rapport au régime d’apartheid. En effet, l’arrivée au sein du Commonwealth d’États asiatiques et africains nouvellement indépendants et farouchement opposés à l’apartheid représente, pour le Canada, l’occasion de nouer de nouveaux liens avec le « Troisième monde ». Au même moment, l’Afrique du Sud désire changer son statut constitutionnel et passer de l’Union à la République. Pour ce faire, le pays annonce la

102 Peter Henshaw, « Canada and the "South African disputes" at the United Nations, 1946-1961 »,

Canadian Journal of African Studies /Revue Canadienne des Études Africaines, vol. 33, no. 1, 1999, p. 5-9.

103 Linda Freeman, The ambiguous champion: Canada and South Africa in the Trudeau and Mulroney

tenue d’un référendum, uniquement auprès de l’électorat blanc. Or, l’éventuelle nouvelle république souhaite néanmoins conserver son membership au sein du Commonwealth104.

Devant la volonté du régime sud-africain d’intensifier l’institutionnalisation du racisme, Diefenbaker, alors premier ministre canadien, décide d’initier une déclaration devant être ratifier par tous les membres. Celle-ci prône la non-discrimination raciale comme principe de base du Commonwealth. Le refus de l’Afrique du Sud de la signer entraîne son exclusion de l’organisation en mars 1961105. Dès lors, le Canada adopte une

approche beaucoup plus dénonciatrice sur la scène internationale.

Cependant, les années Trudeau106 révèlent un pan particulier de la politique étrangère

canadienne. En effet, si son gouvernement critique ouvertement et publiquement l’apartheid, dans les faits, il maintient des liens commerciaux et économiques avec le régime ségrégationniste. Cette ambivalence dite « politique de la balance » est justifiée, par le gouvernement Trudeau, par la dépendance économique et commerciale envers l’Afrique du Sud. En effet, le pays est le plus gros partenaire d'affaires du Canada en Afrique, dans les deux décennies après la Seconde Guerre mondiale. De 1950 à 1969, 70% des exportations canadiennes sont destinées à l'Afrique du Sud107. En 1970, au début

de l’ère Trudeau, l’investissement canadien en Afrique du Sud était de 73 millions en 1970 alors que vers la fin de son gouvernement, en 1982, il était d'environ 200 millions. On recense 15 grandes compagnies canadiennes sur le territoire sud-africain et 91 compagnies opérant au Canada et contrôlées de l'extérieur ont des investissements en Afrique du Sud108.

Le Canada ne veut donc pas s’aliéner son principal partenaire économique en adoptant des actions significatives contre le gouvernement sud-africain. Certes, le Canada sous Trudeau s’est joint à diverses sanctions internationales telles que l’embargo sur la vente d’équipements militaires à l’Afrique du Sud défini par les Nations Unies. Malgré cela, les transferts de technologie militaire entre le Canada et l'Afrique du Sud se

104 Henshaw, « Canada and the ``South African disputes``... », p. 9-10 et 17. 105 Freeman, The ambiguous champion..., p. 21-25.

106 Le libéral Pierre Elliot Trudeau a été premier ministre du Canada de 1968 à 1979, puis de 1980 à 1984. 107 Heribert Adam et Kogila Moodley, Democratizing Southern Africa: Challenges for Canadian Policy, Ottawa, Occasional Papers. Canadian Institute for International Peace and Security, 1992, p. 25.

108 Linda Freeman, « L’ouverture au marché africain », Études internationales, vol. 14, no. 1, mars 1983, p. 117.

maintiennent tout comme les investissements canadiens à direction d'Afrique australe pour le développement de l'industrie des armes109.

Cette ambivalence est également caractéristique du gouvernement de Brian Mulroney, au pouvoir de 1984 à 1993. Malgré cela, ce dernier est assurément un acteur de premier plan dans la lutte anti-apartheid, de par son activisme sur la scène internationale et l’exercice d’une pression assidue, particulièrement sur la Grande- Bretagne de Margaret Thatcher, pour la mise en place de sanctions économiques dirigées vers l’Afrique du Sud et ainsi forcer un démantèlement. En effet, pour Mulroney, il est nécessaire que tous les États membres du Commonwealth fassent front commun contre la Grande-Bretagne, afin de la pousser à adopter et appliquer des mesures puisque c’est uniquement ainsi que l’apartheid pourra être vaincu. Une application de sanction de la part des Britanniques seraient catastrophiques pour l’économie sud-africaine et pour l’apartheid110.

Car le Canada seul ne peut parvenir à faire plier le régime ségrégationniste et cela, Mulroney en est très conscient. Son gouvernement a appliqué des sanctions, mais il s’avère qu’elles étaient peu sévères, non obligatoires pour les compagnies et entreprises canadiennes et surtout, inefficaces puisque les importations provenant d’Afrique du Sud ont augmenté de 68% et les exportations de 44% au cours des 11 premiers mois de 1988111. Donc, l’énonciation de sanctions agit plus comme une menace que comme une

véritable intention, car dans les faits, les sanctions canadiennes ne s’appliquent pas. Par contre, amener Thatcher à appliquer des sanctions envers son premier partenaire d’affaires aura un impact beaucoup plus fort sur l’Afrique du Sud.

De plus, si la personnalité charismatique et le fort leadership de Mulroney joue un rôle important, il faut dire que le premier ministre nouvellement élu en 1984 est arrivé au bon moment sur la scène internationale. Le contexte du milieu des années 1980 est en effet propice à la critique d’une part, de l’URSS puisqu’on sent que la fin est proche et d’autre part, du gouvernement sud-africain de l’apartheid qui assouplit certaines de ses

109 Adam et Moodley, Democratizing Southern Africa..., p. 26.

110 Brian Mulroney, Mémoires, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2007, p. 482-483.

111 David Black, « La politique du gouvernement Mulroney à l'égard de l'Afrique du Sud : précurseur de la "sécurité humaine durable" », Études internationales, vol. 31, no. 2, 2000, p. 292-297.

politiques. On peut donc dire que l’engagement de Mulroney s’inscrit dans un contexte favorable à la prise de parole au sein de la lutte anti-apartheid.

3.3 La sympathie de l’Occident : l’Afrique du Sud comme allié durant la Guerre

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