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Une approche historique de l’urbanisation chinoise

Les distributions rang-taille en Chine et en Inde

2.1 Les processus d’urbanisation en Chine et en Inde :

2.1.2 Une approche historique de l’urbanisation chinoise

En l’espace d’un demi-siècle, la Chine a connu un processus d’urbanisation extrêmement fluctuant, marqué par un interventionnisme institutionnel permanent sur les dynamiques démographiques nationales.

Dès 1950, des restrictions sur la mobilité de la population ont été mises en œuvre, sous le régime d’un système hautement planifié et centralisé, le Hukou, avec l’objectif de contrôler les flux migratoires et maintenir une séparation forte entre le monde urbain et le monde rural (Zhang et Zhao, 1998). Les contrôles migratoires furent, par ailleurs, renforcés par des politiques d’accompagnement telles que le système de communes dans les zones rurales, la planification de l’emploi dans les zones urbaines ou la mise en place d’un système unifié d’approvisionnement de la population en biens agricoles. L’ensemble de ces mesures érigeait des barrières entre les zones urbaines et les zones rurales d’une part et entre la population non agricole et la population agricole d’autre part, en instaurant par-là une structure dualiste du marché du travail (Wang et Zuo, 1999)4.

Durant la période 1960–1980, caractérisée par un processus d’industrialisation discontinu, la population urbaine stagne, voire régresse, ce qui signifie que industrialisation et urbanisation ne sont pas, ici, systématiquement liées, comme cela peut être observé dans d’autres pays (Xu, 2008). Les premières années de la politique du « Grand Bond en avant » sont marquées par un exode rural accéléré (la population urbaine a augmenté de 30% en trois ans), lié à la mobilisation de toutes les ressources disponibles du pays pour faciliter la mise en place d’une structure productive à base d’industries lourdes. Puis, la période 1960–1980

4 Il convient de noter que la distinction agricole ou non agricole ne correspondait pas exactement à la division territoriale entre les espaces ruraux et les espaces urbains, dans le sens où un ménage pouvait avoir un statut non agricole en milieu rural ou, plus rarement,

représente une phase de désurbanisation relative. Ceci est illustré par la baisse du taux d’urbanisation de 19,62% en 1960 à 17,20% en 1970 pour remonter à 19,39% en 1980 ! Durant cette période, la parenthèse de la révolution culturelle se caractérise par sa très plus faible proportion de la population urbaine dans la population totale chinoise, avec un taux inférieur à 17%.

A partir de la fin des années soixante dix, le gouvernement chinois adopte une politique de réformes afin de revitaliser l’économie nationale et l’ouvrir progressivement à la concurrence internationale. Ces réformes ont eu des impacts progressifs mais importants sur le processus d’urbanisation, conduisant à une croissance annuelle moyenne de la population urbaine de l’ordre de 4,46% entre 1980 et 2006.

Ces réformes ont initialement introduit des mécanismes de marché dans le domaine de l’agriculture, ce qui a conduit à une rationalisation de la production permettant de dégager un surplus de main d’œuvre rurale pour d’autres activités productives. Cet excédent a été utilisé pour soutenir le processus d’industrialisation rurale, dont le succès, durant les années quatre-vingt, a été fulgurant. A partir de 1984, l’industrie rurale devient le moteur de la croissance chinoise, avec une contribution de l’ordre de 40%

sur la croissance du PIB national durant la période 1984 – 1993 (Chen et Rozelle, 1999, Sachs et Woo, 2000, Li, 2003).

Sur le plan institutionnel, cette mutation a été possible, grâce à une série de modifications du système de Hukou favorisant les migrations intra-régionales, aux dépens des migrations interrégionales. Ces modifications consistèrent, essentiellement, à la facilitation de l’acquisition du statut non agricole pour les ménages et à l’autorisation de migration intra-régionale (Zhang, 2002). Elles ont, d’une part, limité le flux de migrations vers les grandes villes et, d’autre part, conduit à la formation d’un grand nombre de bourgs et de villes nouvelles, contribuant, ainsi, à une augmentation annuelle moyenne de la population urbaine de l’ordre de dix millions de personnes (soit un taux de 5,37% entre 1984 et 1993, Lu, 2003).

A partir de la fin des années quatre-vingt, les réformes économiques se sont poursuivies dans le domaine industriel, avec un objectif d’ajustement

de la structure de production, renforcé par l’ouverture aux investissements privés et étrangers. Ces reformes se matérialisent par la création initiale de quatre zones spéciales économiques (ZSE) et de quatorze villes « ouvertes » aux investissements étrangers5, avant de s’étendre sur d’autres zones côtières. L’année 1993 marque un clivage dans la période de construction d’une « économie socialiste de marché », avec une accélération des réformes économiques, notamment dans le domaine de l’initiative d’entreprendre, de la fiscalité et du financement privé. Simultanément, l’économie chinoise voit son intégration croissante dans l’économie mondiale, avec l’influx persistant des investissements directs étrangers et la croissance continue du commerce extérieur (Fujita et Hu, 2001).

Durant la période 1993–2005, la population urbaine croit au taux annuel moyen de 4,34% (Xu, 2008). Même si le gouvernement chinois maintient la politique anti-mégapoles, les mesures de contrôle de la mobilité s’assouplissent et l’urbanisation rapide se caractérise par un flux important, mais informel, de ménages ruraux qui s’installent dans les villes. Cette

« population temporaire », selon sa désignation officielle, se concentre dans les villes côtières, économiquement les plus dynamiques mais est victime d’une certaine discrimination sur le marché du travail. Il est intéressant de noter qu’un certain nombre de villes moyennes, soucieuses de trouver une main d’œuvre bon marché, ont contribué à cet influx, par le biais de politiques locales relâchant, voire supprimant, les contrôles d’entrée des migrants sur leur territoire (Chan et Zhang, 1999 ; Zhang, 2002). A partir de 2000, même si le système du Hukou reste officiellement en vigueur, la mobilité des ménages et des travailleurs s’est fortement libéralisée, sauf en direction des plus grandes villes.

Le fonctionnement d’un tel système centralisé de gestion des mutations démographiques, durant un demi-siècle, a eu des répercussions importantes sur la formation du système des villes chinoises, d’autant plus qu’il se combine, à partir de 1984, avec la mise en place de la politique de l’enfant

5Les quatre ZSE sont Shenzhen, Zhuhai, Xiamen et Shantou. Les 14 « villes ouvertes », établies en 1984, sont Shanghai, Guangzhou, Baihai, Fujhou, Dalian, Qinhuangdao,

unique (one child policy) dont l’objectif est la limitation de la croissance démographique6. Comme le soulignent de nombreux chercheurs (Arnaud, 1998, Bocquier et Traoré, 2000), dans la plupart des pays en développement, l’accroissement naturel est une composante importante de la croissance urbaine ; or, en Chine, depuis le début des années quatre-vingt, compte tenu de la one child policy, la croissance urbaine repose essentiellement sur la migration des ménages ruraux7 (Wu, 1994, Aubert, 1996, Chan et Hu, 2003).

On peut, ainsi, conclure qu’en Chine, les processus migratoires furent fortement canalisés par le gouvernement chinois par le biais du système Hukou, au moins jusqu’en 1993, en privilégiant systématiquement le développement des petites et moyennes villes aux dépens des grandes métropoles et en érigeant un ensemble de barrières administratives à l’unification du marché du travail (Fleisher et Yang, 2003, Knight et Yueh, 2004, Shen, 2006, Wei, 2007).

2.1.3 Une approche historique de l’urbanisation