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Quelques prolongements théoriques sur les distributions alternatives

La loi de Zipf et l’organisation

1.4 Les hypothèses d’une distribution alternative

1.4.3 Quelques prolongements théoriques sur les distributions alternatives

A la lignée des travaux précédents, certains chercheurs ont voulu tester l’hypothèse de l’adéquation des distributions des tailles des villes avec des distributions théoriques alternatives. Ainsi Reed (2001 et 2002) développe l’hypothèse que la distribution de la taille des villes suit une loi double Pareto – lognormale (notée par l’auteur dPIN), c'est-à-dire une distribution théorique qui a, sur l’échelle logarithmique, le corps d’une distribution estimateurs de hiérarchisation, déterminés par la méthode du Maximum de Vraisemblance. Reed (2001) trouve une bonne adéquation des distributions des tailles des villes de deux régions espagnoles (Catalogne et Cantabria) et deux régions américaines (Californie et Virginie de l’Ouest) avec la distribution double Pareto.

En s’appuyant sur les résultats de leurs études empiriques, d’autres auteurs explorent différents comportements des distributions rang-taille des villes. Ainsi Ellis et Andrews (2001) montrent que la loi de Zipf se confirme uniquement pour la partie basse de la distribution des villes australiennes,

c'est-à-dire pour des tailles urbaines de moins de 80000 habitants. Ce résultat étonnant serait dû aux particularités géographiques de ce pays, avec l’isolement des grandes villes et l’absence totale de villes moyennes (il n’y a aucune ville entre 0,5 et 1 million d’habitants).

De façon générale, Hsing (1990) soutient que la littérature sur les hiérarchies urbaines part d’un a priori théorique contestable, celui d’une distribution de la taille des villes qui suit une loi de Pareto, au lieu de s’interroger, de façon exploratoire, sur la meilleure adéquation possible entre la distribution réelle et les différentes distributions théoriques. Il suggère d’utiliser une transformation Box-Cox qui emprunte la forme loglinéaire, lorsque les paramètres de transformation estimés s’approchent de zéro. En utilisant cette méthode, Hsing rejette l’adéquation systématique entre la distribution des villes américaines et la loi de Pareto. D’autres travaux menés par Cameron (1990) ou Alperovitch et Deutsch (1995) confirment l’argumentation de Hsing, en utilisant la transformation Box-Cox sur des données des systèmes urbains de vingt-cinq pays.

Différentes études utilisent des tests d’adéquation plus ou moins puissants, tels que le test de Pearson (Anderson et Ge, 2001), celui de Kolmogorov Smirnov (Eekchout, 2004). En suivant l’argumentation de Hsing, Anderson et Ge (2005) testent l’adéquation des distributions des villes chinoises et américaines de plus de cent mille habitants avec différentes distributions théoriques (lognormale, Pareto, double Pareto), pour plusieurs dates entre 1949 et 2000. Ils trouvent que la distribution des villes chinoises s’apparente davantage à une distribution lognormale, sauf pour 1949, tandis que les conclusions pour les distributions des villes américaines sont plus mitigées. Cette différence s’explique, selon les deux auteurs, par les traits d’urbanisation complètement différents entre les deux pays : aux Etats-Unis, les hiérarchies urbaines sont stables durant cette période, tandis que la Chine est caractérisée par un fort taux de naissance de villes nouvelles, depuis le début des réformes économiques.

En s’appuyant partiellement sur le travail de Reed (2001), Benguigui et Blumenfeld-Lieberthal (2007) proposent un modèle général, susceptible de décrire différentes formes de distributions réelles :

[

α

]

α Dans les deux cas de figure, les équations 1.53 et 1.54 représentent une fonction parabolique : lorsque α = 1, elle décrit une distribution de Pareto et dans ce cas, µ est le coefficient de Pareto.

Par ce biais, Benguigui et Blumenfeld-Lieberthal (2007) arrivent à une classification des différentes distributions des tailles des villes : la première classe correspond aux distributions qui obéissent à une loi puissance (avec

= 1

α ), la seconde classe aux distributions exponentielles (avec α > 1), enfin la troisième classe (avec 0 < α <1) décrit une distribution lognormale lorsque α = 0,5. Sur 41 distributions de différents pays testées par les deux auteurs, 17 suivent une distribution de Pareto (α =1) où le coefficient de Pareto µ varie entre 0,61 et 1,25, 13 affichent une valeur de α significativement supérieure à 1 (entre 1,3 et 2,59) et seule une distribution affiche une valeur de α inférieure à 1 (la Chine avec α = 0,41), tandis que dix autres distributions ont une allure moins homogène qui ne peut être décrite par un seul modèle.

Il est intéressant de signaler que les résultats de Benguigui et Blumenfeld-Lieberthal ne valident guère l’hypothèse d’une distribution de la taille des villes qui suit une loi lognormale.

De façon générale, tous ces travaux soutiennent que, sur un plan méthodologique, il est préférable de chercher quelle est la meilleure loi théorique permettant de caractériser la distribution des tailles des villes, plutôt que de partir d’un a priori d’une loi de Pareto. Seulement, la plupart

des modèles utilisés sont à deux variables explicatives, permettant de mieux prendre en compte la convexité de la courbe, tandis que le grand avantage de la distribution de Pareto est de concentrer toutes les informations sur un seul indicateur, la valeur du coefficient de hiérarchisation.

Dès lors, des choix d’arbitrage s’imposent, car en optant pour des lois théoriques alternatives à celle de Pareto, on gagne en qualité d’estimation, mais on perd en qualité d’interprétation. C’est probablement la raison pour laquelle ces études n’ont connu qu’un succès limité au sein de la science régionale.

***

Ce sous-chapitre explore un ensemble de travaux qui examinent l’hypothèse d’une déviation des distributions rang-taille des villes vis-à-vis d’une distribution de Pareto, à la suite des réflexions pionnières de Rosen et Resnick. En mettant en cause le bornage inférieur des échantillons dans la plupart des études contemporaines sur les hiérarchies urbaines, certains auteurs soutiennent ainsi que la distribution réelle de la taille des villes d’un pays ou d’une région suit une distribution théorique alternative, essentiellement la distribution lognormale. Cependant, la définition de la ville dans ces études reste très discutable, car souvent l’unité urbaine ne représente qu’une simple localisation de quelques ménages.

Ces études examinent la forme de la distribution de la taille des villes, en tant qu’aboutissement d’un processus de croissance urbaine spécifique.

Elles ouvrent le débat sur une approche dynamique de l’évolution des distributions des tailles des villes qui intègre le processus de la croissance urbaine et qui sera abordé dans le troisième chapitre de cette thèse.

Conclusion

L’intérêt des modèles rang-taille réside principalement sur le fait qu’ils réunissent en une seule variable, celle du coefficient de hiérarchisation, une information sur la structure des hiérarchies urbaines d’un pays ou d’une région. Cette simplicité les rend particulièrement attrayants pour les études de comparaison internationale.

En examinant un certain nombre de problèmes d’ordre méthodologique, liés essentiellement aux choix d’échantillonnage et aux méthodes d’estimation du coefficient de hiérarchisation dans les modèles de Zipf ou de Lotka, ce chapitre prétend explorer les principaux travaux qui utilisent les modèles rang-taille pour analyser l’organisation d’un système de villes. L’objectif est de tester la pertinence de cet estimateur et, en même temps, de s’interroger sur la construction d’un cadre analytique plus général, permettant de s’interroger sur le lien entre l’évolution des hiérarchies urbaines d’un pays/ou d’une région et son développement économique.

La plupart des distributions rang-taille des villes observées s’écartent de la loi de Zipf, c'est-à-dire d’une distribution dont la pente est égale à -1.

Celle-ci ne représenterait qu’un cas parmi d’autres distributions. Dans un sens large, la loi de Zipf conduit, toutefois, à s’interroger sur la stabilité du coefficient de hiérarchisation.

Les comparaisons diachroniques (l’évolution du coefficient au sein d’un même pays) semblent apporter plus d’éléments d’analyse que les comparaisons internationales (les coefficients des distributions des tailles des villes des différents pays). Certains auteurs émettent ainsi l’hypothèse d’une évolution en U inversé du coefficient de hiérarchisation. Celui-ci obtient des valeurs élevées (faible concentration urbaine) lorsque le niveau

de développement économique d’un pays est faible, puis baisse (tendance à la concentration dans les grandes villes), lorsque le pays entre dans une phase de développement économique rapide, avant de connaître un mouvement inverse (décongestion et déconcentration urbaine), quand le pays arrive dans une phase de maturité économique.

Le chapitre suivant propose d’examiner ces hypothèses dans le cadre de deux pays qui, par la taille de leur population et par leur croissance économique, émergent et se confirment de façon surprenante dans l’économie mondiale du 21ème siècle, la Chine et l’Inde. Ces deux pays représentent deux cas fort intéressants, par le fait que leur trajectoire, durant les vingt dernières années, est accompagnée par des modifications profondes de leur paysage urbain.