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L’évolution du coefficient de hiérarchisation

La loi de Zipf et l’organisation

1.2 La loi rang-taille dans la science régionale

1.2.3 L’évolution du coefficient de hiérarchisation

D’autres auteurs mettent l’accent sur l’évolution du coefficient de hiérarchisation dans un pays ou une région. En actualisant le travail de Berry (1961) qui, dans une comparaison de 37 pays, trouvait une corrélation entre ce coefficient et le niveau de développement, Parr (1985) engage l’hypothèse selon laquelle, dans de nombreux pays, ce coefficient suit, dans le temps, une courbe en U inversé, ce qui implique la succession d’une phase de concentration puis de déconcentration urbaine (Duranton, 2006, Catin et Van Huffel, 2004).

A partir des résultats obtenus par la comparaison des hiérarchies urbaines de quatre (Etats-Unis, URSS, Allemagne, France) puis douze pays, Parr et Jones (1983), puis Parr (1985), intègrent les modifications des valeurs du coefficient de hiérarchisation dans un schéma d’évolution de la concentration urbaine en cinq étapes (Catin et Van Huffel, 2004) : une étape préurbaine, caractérisée par la faiblesse des infrastructures de transport et l’absence d’économies d’agglomération ; une étape de spécialisation urbaine où les infrastructures publiques se développent et certaines villes se spécialisent dans des productions particulières, d’où l’apparition de certaines économies d’échelle ; une étape de consolidation urbaine, durant laquelle les mécanismes précédents s’accentuent et la concentration urbaine augmente ; une étape de transformation urbaine qui correspond au seuil de retournement de la courbe en U, sous l’effet de l’apparition de déséconomies d’agglomération ; puis, enfin, une étape de dispersion urbaine où l’amélioration des infrastructures de transport interrégional permet une relocalisation des activités de production dans les régions et villes périphériques.

Catin et Van Huffel (2004) montrent que l’hypothèse de Parr s’intègre dans un ensemble d’analyses plus large qui cherche, à l’instar du travail

pionnier de Williamson (1965), à lier le niveau de développement d’un pays à son niveau d’urbanisation.

Plusieurs auteurs ont cherché à tester l’hypothèse de la courbe en U de Parr. Lepetit (1990) évalue l’évolution du coefficient de hiérarchisation en France entre le 18ème et 19ème siècle, mais trouve une faible évolution de la distribution rang-taille marquée surtout par la faiblesse du nombre des grandes villes. En appliquant le modèle de Lotka, Guérin-Pace (1995) étudie le cas français entre 1831 et 1982, en utilisant un échantillon qui contient toutes les unités urbaines de plus de 2000 habitants (figure 1.5).

Elle trouve une augmentation constante du γ , ce qui induit l’hypothèse d’une hiérarchisation croissante du paysage urbain français.

Rang

Source : Guérin-Pace (1995)

Figure 1.5 : La distribution rang-taille des villes françaises. 1831-1990.

De leur côté, Brakman et al. (1999) étudient l’évolution des hiérarchies urbaines aux Pays Bas. Ils trouvent que le coefficient de hiérarchisation passe de 0,55 en 1600 à 1,03 en 1990, puis baisse à 0,72 en 1990, ce qui semble conforter l’hypothèse de Parr. Bosker et al. (2008) entreprennent ce même travail pour les villes italiennes entre 1300 et 1861, soit la veille de la réunification de la péninsule. Leurs résultats, là encore, vont dans le sens de

Population (ln)

l’hypothèse de Parr, même si les auteurs trouvent une différenciation entre le Nord et le Sud.

De façon plus générale, la synthèse comparative proposée par Nitsch (2005) ne semble pas confirmer l’hypothèse de Parr, comme la partie ascendante de la courbe en U inversé ne se confirme pas. Les résultats de comparaison internationale obtenus par Soo (2005), présentés dans la section précédente, ne permettent pas d’infirmer, à l’inverse, l’hypothèse de Parr. Enfin, Rose (2005) trouve deux résultats contradictoires : lorsqu’il étudie l’évolution des hiérarchies urbaines aux Etats-Unis, entre 1950 et 2000, il obtient une remarquable stabilité de la pente de la distribution, quasiment égale à -1, peu importe la taille de l’échantillon ; par contre, lorsqu’il applique ce travail aux échantillons issus de 50 différents pays, il trouve une augmentation progressive de la moyenne des coefficients obtenus (0,78 en 1950 ; 0,95 en 2000).

D’autres auteurs étudient l’évolution des coefficients de hiérarchisation, sans nécessairement chercher à tester l’hypothèse en U inversé. Eaton et Eckstein (1997) explorent l’évolution des hiérarchies urbaines en France et au Japon. Ils trouvent que le coefficient de hiérarchisation reste stable dans le temps, mais leur étude porte sur un très petit échantillon (30 villes, dans chaque pays). Fujita et al. (1999b), ainsi que Gabaix (1999), examinent, de leur côté, les hiérarchies urbaines aux Etats-Unis en utilisant un échantillon de 130 villes et trouvent un coefficient de Pareto β sensiblement proche à l’unité (1,004, pour Fujita et al., 1,005, pour Gabaix). Ils considèrent que ce coefficient reste stable dans le temps.

Dobkins et Ioannides (2000) étudient l’évolution de la pente de la distribution rang-taille des villes américaines entre 1900 et 1990. Ils concluent à une baisse systématique de β qui passe de 1,044 en 1900 à 0,999 en 1950 et à 0,949 en 1990, ce qui traduit un renforcement démographique des grandes agglomérations durant le vingtième siècle.

Cependant, en utilisant un échantillon différent qui s’appuie sur une définition plus complexe et diachronique de l’agglomération, Black et Henderson (2003) arrivent à des résultats plus contrastés. La valeur du coefficient de Pareto est sensiblement différente de celle calculée par

Dobkins et Ioannides et affiche une évolution moins déterministe, selon que l’on considère l’ensemble ou seule la partie supérieure de la distribution : pour l’ensemble de la distribution, le coefficient augmente légèrement entre 1900 (β = 0,861) et 1950 (β = 0,870) et baisse par la suite (β = 0,842 en 1990) ; le mouvement s’inverse lorsque l’on utilise que le tiers supérieur de l’échantillon. Black et Henderson dessinent, par ce biais, un espace américain fortement dichotomique où les divergences entre les grandes agglomérations et les villes moyennes s’accélèrent durant la deuxième moitié du vingtième siècle.

Enfin, plusieurs travaux examinent l’évolution de différentes distributions rang-taille nationales, sans pouvoir dégager une tendance claire. Ainsi, en considérant les villes de plus de 10 000 habitants, Kundak et Dökmeci (2000) montrent que la distribution rang-taille des villes turques passe d’une relation initialement convexe (β est égal à 0,735 en 1927) à une relation linéaire (β est proche de 1 en 1990), sous l’impulsion de la croissance des villes moyennes de plus de 50000 habitants. Cori (1984) montre une évolution inverse pour l’Italie entre 1921 et 1971, avec un coefficient de hiérarchisation qui baisse systématiquement, traduisant un mouvement de concentration vers les grands centres urbains. En considérant les villes grecques de plus de 5000 habitants, sur la période d’après-guerre (1951-1991), Petrakos et al. (2003) trouvent, quant à eux, une stabilité du coefficient, proche de 1, durant toute cette période.

Finalement, tout en mettant en évidence les problèmes que pose l’estimation par la méthode des moindres carrés ordinaires, Le Gallo et Chasco (2008) étudient l’évolution des hiérarchies urbaines en Espagne entre 1900 et 2001. Elles montrent que le coefficient de hiérarchisation baisse jusqu’en 1980, puis augmente, à nouveau, à partir de cette date, sous les effets de la périurbanisation et de la décongestion urbaine, ce qui pourrait confirmer l’hypothèse de Parr.

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A travers un ensemble de comparaisons internationales ou diachroniques, la littérature sur la loi de Zipf propose d’utiliser le coefficient de Pareto comme un indicateur des hiérarchies urbaines des différents pays et régions. L’objectif de ces études n’est pas tellement de savoir si les différentes distributions obéissent ou pas à la loi de Zipf (où ce coefficient est égal à 1), mais d’essayer de comprendre et interpréter les différentes valeurs des coefficients obtenues, ainsi que leurs évolutions. Dans ce sens, le cas où β =1 ne représente qu’une distribution rang-taille parmi d’autres.

En s’appuyant sur différentes observations empiriques, certains auteurs émettent, ainsi, l’hypothèse que le coefficient de hiérarchisation évolue dans le temps selon une courbe en U inversé, ce qui permet d’avancer un certain nombre d’analyses permettant de lier le processus d’urbanisation d’un pays à sa trajectoire de développement.

L’attrait de tous ces modèles repose sur le fait qu’ils conduisent à une analyse des hiérarchies urbaines d’un pays ou d’une région à travers la lecture d’une seule information, la valeur du coefficient de hiérarchisation.

Or, certaines études récentes ont mis en évidence le fait que les méthodes les plus populaires d’estimation de ce coefficient comportent un biais non négligeable. Le sous-chapitre suivant propose une revue des différentes méthodes d’estimation du coefficient de hiérarchisation, afin de permettre de sélectionner la plus robuste d’entre elles.

1.3 Méthodes d’estimation du