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pratiques managériales

2.1 Une approche exploratoire hybride et qualitative

Notre recherche suit une approche exploratoire hybride. Nous proposons d’expliquer le mode de raisonnement de la recherche avant d’en décrire l’approche.

2.1.1 Un raisonnement abductif

Avant de présenter le type d’approche, il est nécessaire d’expliquer le mode de raisonnement qui préside à la recherche. En effet, le type d’approche de la recherche – tester ou explorer – est la conséquence d’un mode de raisonnement. Nous suivons un raisonnement abductif et nous allons maintenant expliquer les raisons de cette affirmation, à la lumière des travaux de S. Charreire Petit, F. Durieux (2014) et H. Dumez (2016).

L’abduction consiste à proposer l’hypothèse la plus plausible pour expliquer un phénomène

observé empiriquement : « L’abduction est l’opération qui, n’appartenant pas à la logique,

permet d’échapper à la perception chaotique qu’on a du monde réel par un essai de conjecture sur les relations qu’entretiennent effectivement les choses… L’abduction consiste à tirer de l’observation des conjectures qu’il convient ensuite de tester et de discuter » (Koenig G., 1993 :7).

C.S. Peirce (5.189)28 précise la définition de l’abduction. Tout d’abord, l’abduction démarre

avec un fait surprenant : « L’inférence est la forme : le fait surprenant, C, a été observé ; Mais

si A était vrai, C irait de soi ; Donc il y a une raison de penser que A est vrai ; Donc, A ne peut être conjecturé abductivement… que si son contenu entier est déjà présent dans la prémisse : si A était vrai, C irait de soi ». Un fait surprenant est un fait pour lequel on n’avait pas formulé d’hypothèse au préalable. L’abduction consiste à formuler l’hypothèse nouvelle, la plus plausible, qui pourrait expliquer ce fait surprenant que la théorie existante n’explique pas.

L’objet de l’abduction est donc de produire des théories nouvelles : « de nombreux cas

d’abduction en science fournissent de nouvelles théories pour expliquer des faits surprenants » (Aliseda A., 2006, p. 47). Dans notre cas, nous considérons que les effets de la pleine conscience

28 Cité dans Dumez H., 2016

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sur le manager observés dans la littérature (références) sont ce fait surprenant, car cette littérature ne fournit pas d’explication à ce fait : la littérature a constaté les effets de la pleine conscience sur le lieu de travail mais n’a pas expliqué comment la pleine conscience produit

ces effets, elle n’en a pas expliqué le mécanisme. H. Dumez confirme que « l’abduction peut

mettre en évidence des mécanismes, ce qui crée un lien possible avec la recherche qualitative » (Dumez H., 2016, p. 192).

L’auteur propose quatre critères pour évaluer la validité de l’hypothèse produite par une abduction.

Tout d’abord, cette hypothèse doit être celle qui paraît le mieux expliquer le fait surprenant. Comme le recommande K.T. Fann (1970) nous nous attacherons à expliquer de manière la plus

précise les raisons qui nous conduisent à choisir l’hypothèse retenue : « chaque fois qu’un

scientifique propose une hypothèse pour rendre compte de certains faits, il est censé fournir les raisons, bonnes ou mauvaises, expliquant pourquoi il pense qu’il s’agit de la meilleure hypothèse » (Fann K.T., 1970, p. 58).

Ensuite, l’hypothèse doit pouvoir être testée : en effet, l’abduction ne permet de montrer si une hypothèse est vraie ou fausse, elle permet seulement de dire qu’elle est la plus plausible. Pour être validée et transformée en loi, elle doit donc être testée par une démarche déductive, puis inductive. Dans notre recherche basée sur une étude multi-cas (cf. partie 3.2.), nous suivons cette démarche itérative : le premier cas que nous rencontrons (en l’occurrence le cas responsable commercial grands comptes) nous permet de construire un mécanisme (hypothèse abductive) permettant d’expliquer le lien entre développement de la pleine conscience et expérience et pratiques managériales. Nous regardons les neuf autres cas à la lumière de ce premier mécanisme pour identifier une régularité dans les mécanismes observés, les enrichir et les amender. Cette démarche permet d’enrichir et consolider la théorie proposée.

Le troisième critère stipule que l’hypothèse doit être susceptible d’expliquer le plus de faits en étant la plus simple possible et la plus facile à tester. Comme nous l’avons expliqué plus haut (partie 1.1.), cette préoccupation a présidé au choix de faire suivre une formation MBSR aux managers. Tout d’abord, le développement de la pleine conscience permet la construction d’un événement de référence auquel les managers peuvent rattacher leur expérience. Ensuite, il permet la mise en œuvre d’une dynamique, sur un temps relativement court de huit semaines, entre une situation « avant » et une situation « après » et la révélation des mécanismes liant pleine conscience et expérience et pratiques managériales au quotidien.

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Enfin, l’hypothèse créée par l’abduction ne doit pas bloquer la recherche ultérieure par une assertion conçue comme définitive et doit laisser ouverte la possibilité de recherches futures. Il est à noter en effet que l’abduction, si elle permet d’inventer des théories, n’a pas pour vocation de définir une loi à portée universelle mais de formuler des théories explicatives qui ont pour vocation à être testées et discutées (Koenig G., 1993). L’ambition de notre recherche, et ce sera confirmé dans la discussion des résultats, est bien de proposer un modèle théorique à discuter et tester et donc d’ouvrir la porte à des pistes de recherche futures.

Nous notons une autre caractéristique de l’abduction qui correspond à notre projet de recherche : l’abduction est une démarche ouverte. Si le chercheur part d’une théorie sous-jacente (le constat d’effets de la pleine conscience sur le lieu de travail, les managers en particulier), son travail de recherche ne doit pas être déterminé par cette théorie et il doit rester ouvert à la découverte de nouveaux faits surprenants (Dumez H., 2016). Dans notre cas, la méthode et les outils mis en place nous ont laissé la flexibilité pour découvrir, au cours de la recherche, des effets que nous n’avions pas anticipés à la lumière de la revue de littérature : effets sur la manière de prendre des décisions ou sur la relation managériale par exemple. Nous concluons ce point en indiquant que notre projet ne s’inscrit ni dans une approche déductive, ni dans une approche inductive. Dans le cas d’une approche déductive, il faudrait que nous ayons une hypothèse de départ à tester et à confronter à la réalité, ce qui n’est pas le cas ici. Dans le cas d’une approche inductive, il faudrait que nous partions de l’observation exclusive des faits (identification d’une régularité des faits) pour en inférer une règle, sans avoir aucun corpus théorique de départ. Ici, nous avons un cadre théorique de départ qui a permis de faire émerger ce fait surprenant et notre objectif est de formuler l’explication la plus plausible possible à ce fait surprenant.

Nous nous inscrivons donc bien dans un raisonnement abductif. Ce mode de raisonnement ouvre la voie à une approche exploratoire hybride de notre projet de recherche.

2.1.2 Une approche exploratoire hybride

Nous mettons en œuvre une approche exploratoire hybride. Cette approche « consiste à

procéder par allers-retours entre des observations et des connaissances théoriques tout au long de la recherche » (Charreire-Petit S. et Durieux F, 2014, p. 93). Nous sommes partis d’une littérature sur la pleine conscience et le management, sur laquelle nous nous appuyons pour donner du sens à ces observations empiriques. Pendant et après le recueil des observations empiriques, nous enrichissons notre réflexion et donnons du sens à ces observations en

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approfondissant notre revue de littérature et en nous concentrant sur l’expérience et les pratiques managériales. Cette approche permet de produire des construits théoriques fortement enracinés (Glaser B.G. et Strauss A.A., 1967). Nous approfondirons cette affirmation dans la partie 2.1.4. mais nous constatons d’ores et déjà que cette approche est cohérente avec notre raisonnement abductif et avec notre volonté de formuler un modèle explicatif des effets de la pleine conscience sur l’expérience et les pratiques managériales.

2.1.3 Une approche qualitative

A.A. Strauss et J. Corbin définissent la recherche qualitative comme une recherche qui « amène

des résultats produits ni par des procédures statistiques, ni par d’autres moyens de quantification… Si une partie des données peut être quantifiable, comme celles provenant des recensements ou des informations identificatoires par rapport aux personnes ou aux objets étudiés, la partie la plus importante de l’analyse est une interprétation » (Strauss A. et Corbin J., 2004, p. 28). Notre recherche s’appuie sur une approche qualitative pour les raisons suivantes que nous allons développer ci-après : la nature et le traitement des données, le paradigme interprétativiste de notre recherche, le projet de construire une théorie et la flexibilité de notre approche.

Tout d’abord, et même si la nature de la donnée ne semble pas être un critère absolu de distinction entre approche qualitative et approche quantitative, nous nous intéressons à des données textuelles considérées généralement comme qualitatives (Miles M.B. et Huberman A.M., 2003) : les discours des managers et des collaborateurs. Nous cherchons à ordonner ces discours en en catégorisant le contenu. Si ce contenu fait l’objet d’un traitement mathématique, ce traitement reste très simple : le codage du texte issu des entretiens permet l’élaboration de catégories et d’analyser leurs occurrences dans le discours des sujets mais nous n’allons pas au-delà d’un classement ordinal.

Ensuite, une approche qualitative s’ancre dans le paradigme interprétativiste et implique une interaction étroite entre le chercheur et son sujet de recherche via son « immersion » dans le terrain. Par ailleurs, l’approche qualitative accepte la subjectivité du chercheur qui va interpréter son terrain. A lui de fournir les éléments justifiant la crédibilité de son interprétation. Notons aussi que nous avons choisi une approche qualitative car nous souhaitions générer un échange et une interaction forte avec les sujets de la recherche.

L’approche qualitative est aussi cohérente avec le projet de recherche qui est de construire un modèle théorique. En effet l’approche quantitative est généralement associée à la vérification

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ou au test d’hypothèses alors que l’approche qualitative est associée à la génération d’hypothèses (Silverman, 1993). Nous ne souhaitons pas tester ou généraliser une théorie existante, comme cela est généralement le cas pour une approche quantitative. Par ailleurs, l’approche qualitative correspond à notre approche idiographique, par laquelle nous nous

intéressons à une réalité spécifique liée à un contexte particulier : « la recherche qualitative

s’intéresse aux situations naturelles et spécifiques, non aux régularités a-contextuelles » (Giordano Y., 2003, p. 16). Notre recherche s’intéresse aux effets de la pleine conscience dans un contexte particulier : des managers, dans deux entreprises spécifiques. Le mécanisme explicatif que nous souhaitons mettre à jour n’a pas vocation à l’universalité. Les recherches quantitatives, de leur côté, fondées sur le grand nombre et assises sur des régularités statistiques, ont cette ambition de produire des lois générales.

Enfin, l’approche qualitative permet une flexibilité de la démarche de recherche, ce que ne permet pas généralement l’approche quantitative. En effet, comme nous souhaitons construire un modèle, nous avons une approche ouverte, c’est-à-dire que nous intégrons à la recherche des événements et des concepts ou des sujets inattendus. Comme indiqué plus haut, d’une part notre question de recherche a évolué au fur et à mesure du projet, d’autre part nous voyons émerger des sujets inattendus lors des entretiens et enfin, nos outils évoluent au fur et à mesure de l’émergence de ces sujets. Par exemple, les guides d’entretiens ont évolué au fur et à mesure des entretiens car certains thèmes prenaient de l’importance quand d’autres en perdaient. Cette flexibilité n’est pas possible avec une approche quantitative qui implique une démarche plus rigide et une standardisation des outils, laquelle est nécessaire à la qualité des résultats. Confortés dans ce choix, nous proposons maintenant de préciser notre propre approche qualitative en nous appuyant sur les travaux de B.G. Glaser et A.A. Strauss (1967).

2.1.4 Une approche qui s’insère dans la théorie enracinée de Glaser et