• Aucun résultat trouvé

B. Des manques pour établir les discriminations

2. Une adaptation incomplète du régime probatoire

Le défi principal du droit des discriminations réside dans la preuve. En effet, comme le rappellent Lucie Cluzel-Métayer et Marie Mercat-Bruns, la preuve d’une discrimination est

1 Sénat, E. Benbassa, J.-R. Lecerf, Rapport d’information n°94, op. cit. 2 Sénat, E. Benbassa, J.-R. Lecerf, Rapport d’information n°94, op. cit.

particulièrement difficile à rapporter « en raison de l’inégalité des armes des parties puisque

l’employeur a le pouvoir de prendre la décision discriminatoire et en connaît en principe seul les motifs »1. Cette remarque formulée à propos de l’emploi est valable pour tous les domaines car la discrimination est rarement objectivée dans des documents ou paroles, et relève, le plus souvent, de motivations conservées dans le for intérieur de l’agent discriminant2. Afin de soulager les victimes de discrimination du fardeau de la preuve, le droit a mis en place un régime probatoire favorable aux victimes de discrimination : loin de constituer un renversement de la charge de la preuve, il s’agit plutôt d’un allègement de la charge de la preuve dont la portée présente certaines limites (a). Le législateur a également admis quelques procédés probatoires originaux de façon à faciliter l’exercice d’action en justice par les victimes de discrimination mais cela demeure insuffisant parce qu’incomplet ou peu pratiqué (b).

a. L’allègement partiel de la charge de la preuve

En principe, l’article 9 du Code de procédure civile prévoit, conformément à l’adage romain

actori incumbit probatio, qu’il appartient au demandeur de prouver ce qu’il prétend. Or, l’un

des aspects remarquables du droit des discriminations est justement de remettre en question la répartition habituelle de la charge de la preuve afin de faciliter l’action en justice des victimes. L’introduction d’un régime probatoire spécifique aux discriminations s’est faite de manière progressive en droit de l’UE d’abord, puis en droit français (i). Si les victimes de discrimination ne peuvent pas à l’heure actuelle s’en prévaloir dans certains domaines, notamment en droit pénal, des évolutions destinées à alléger le fardeau de la preuve d’une discrimination seraient néanmoins envisageables (ii). L’allègement de la charge de la preuve, a priori favorable aux plaignants, demeure en grande partie conditionné dans sa portée par l’appréciation souveraine des juges du fond (iii).

1 L. Cluzel-Métayer, M. Mercat-Bruns, Discriminations dans l’emploi, Analyse comparative de la jurisprudence du

Conseil d’État et de la Cour de cassation, La Documentation Française, Paris, 2011, p. 69.

2 Sur le constat quasi-unanime dressé par la doctrine et les praticiens à ce sujet, v. en dernier lieu A. Danis-Fatôme, « Le

dispositif propre à la charge de la preuve, frein ou outil de lutte contre les discriminations ? », RevDH, 2016, n°9, URL : http://revdh.revues.org/2051. Pour une approche centrée sur le traitement pénal des discriminations, v. E. Fortis, « Réprimer les discriminations depuis la loi du 27 mai 2008 : entre incertitudes et impossibilités », AJ pénal, 2008, n°7/8, p. 303.

i. L’inscription de l’aménagement de la charge de la preuve en droit français

La difficulté pour une victime de discrimination d’en prouver la réalité devant le juge a d’abord été prise en compte par la CJCE à la fin des années 1980 dans des affaires mettant en cause une différence de rémunération entre les sexes1 : « dans une situation de discrimination apparente, c’est à l’employeur de démontrer qu’il existe des raisons objectives à la différence de rémunération constatée »2. Cette dialectique probatoire a été reprise dans la directive 97/80/CE du Conseil du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discriminations fondées sur le sexe. Son article 4 dispose en effet que si le plaignant parvient à établir devant les juges « des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou

indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement ». Ensuite, cette disposition a été reprise dans les directives

consacrées aux autres motifs de discrimination3.

Sous la pression de l’Union européenne, le législateur national a introduit dans un premier temps un régime probatoire inspiré des directives dans certains domaines. La loi du 16 novembre 2001 a ainsi modifié le Code du travail4 en prohibant les discriminations dans le domaine de l’emploi5 tout en précisant, qu’en cas de litige, le salarié qui s’estime victime de discrimination « présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une

discrimination directe ou indirecte » et qu’« au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». Dans les rapports locatifs, la discrimination a également bénéficié d’un

régime probatoire dérogatoire avec la loi de modernisation sociale de 20026. Il est d’ailleurs remarquable que le législateur aille plus loin dans ce domaine que les exigences prévues par les textes européens puisqu’il fait bénéficier de ce régime probatoire un nombre de motifs plus important que les directives (lesquelles se cantonnaient dans le domaine du logement aux motifs

1 CJCE, 17 octobre 1989, Danfoss, Aff. C-109/88 ; CJCE, 27 octobre 1993, Enderby, Aff. 127/92 2 CJCE, 27 octobre 1993, Enderby, Aff. 127/92, §18.

3 Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative aux discriminations raciales et la directive 2000/78/CE du

Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (elle couvre les motifs suivants : la religion ou les convictions, le handicap, l’âge et l’orientation sexuelle).

4 Article L.122-45 du Code du travail, actuel article L.1134-1 du Code du travail.

5 A l’origine l’article L.122-45 prohibait les motifs de discrimination suivants : l’origine, le sexe, les mœurs,

l’orientation sexuelle, l’âge, la situation de famille, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l’apparence physique, le patronyme, l’état de santé ou le handicap. Le nouvel article 1134-1 procède désormais par renvoi aux motifs évoqués dans la loi de 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

raciaux et ethnique)1. Surtout, la loi du 27 mai 2008 a introduit diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, et tout particulièrement l’aménagement de la charge de la preuve2.

Devant les juridictions administratives, l’application d’un régime probatoire plus favorable aux victimes de discrimination n’allait pas de soi puisque les directives 2000/43 et 2000/78 accordaient aux États la possibilité de l’exclure pour « les procédures dans lesquelles

l’instruction des faits incombe à la juridiction »3. Or, la procédure contentieuse administrative est de nature inquisitoriale. La loi de 2008 n’exclut cependant pas expressément le droit administratif du régime probatoire aménagé. Mais, alors qu’il était saisi en 2009 d’un recours faisant valoir une discrimination syndicale, le Conseil d’État a relevé que la loi de 2008 était postérieure aux faits litigieux et n’était donc pas applicable au cas d’espèce4. Reconnaissant à la requérante le droit de se fonder sur la directive 2000/78, et plus précisément sur son article relatif à la charge de la preuve, le Conseil d’État a néanmoins relevé que cet article accordait une marge d’appréciation sur l’opportunité d’étendre ou pas son champ d’application aux procédures inquisitoriales, et donc au contentieux administratif. Sous l’influence de son rapporteur public, Mattias Guyomar5, la Haute juridiction a décidé d’instaurer par voie prétorienne un aménagement de la charge de la preuve : « s’il appartient au requérant qui

s’estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d’établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu’en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d’instruction utile ».

1 Les motifs de discrimination évoqués sont : l’origine, le patronyme, l’apparence physique, le sexe, la situation de

famille, l’état de santé, le handicap, les mœurs, l’orientation sexuelle, les opinions politiques, les activités syndicales ou l’appartenance ou la non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

2 Article 4.

3 Respectivement : article 10, 5° et 8, 5°. 4 CE, 30 octobre 2009, Mme Perreux, n°298348.

ii. Les domaines exclus

Les victimes de discrimination ne bénéficient pas de l’aménagement de la charge de la preuve en droit pénal. Cette exclusion repose principalement sur le respect de la présomption d’innocence. Comme le montre Marc Touillier, des possibilités d’alléger le fardeau de la preuve en droit pénal seraient toutefois envisageables1. Il est remarquable par ailleurs que le régime probatoire applicable aux refus de soins discriminatoires n’ait été que partiellement aménagé. L’aménagement de la charge de la preuve est donc reconnu principalement dans le Code du travail et la loi de 2008. Cette dernière l’exclut expressément en matière pénale. Cette exception peut se prévaloir des directives 2000/43 et 2000/78 elles-mêmes qui précisaient que l’aménagement de la charge de la preuve ne s’appliquait pas aux procédures pénales. Elle a été également confortée par le Conseil constitutionnel2 et la Cour de cassation3, sur le fondement du principe de la présomption d’innocence4. La présomption d’innocence a pour objet d’assurer à toute personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction qu’elle n’aura pas à prouver elle-même son innocence. Autrement dit, la présomption d’innocence édicte une règle d’attribution de la charge de la preuve pénale, qu’elle fait peser sur la partie poursuivante – il s’agit au premier chef du ministère public et, dans une moindre mesure, de la victime de l’infraction – et non sur l’individu mis en cause. En ce sens, elle est en parfaite cohérence avec l’adage qui prévaut en droit civil selon lequel actori incumbit probatio. Toutefois, si l’allègement de la charge de la preuve est exclu de la matière pénale, c’est parce que la présomption d’innocence représente davantage qu’une simple règle probatoire : « elle

traduit plus largement la considération du droit pénal et de la procédure pénale pour la sûreté

1 M. Touillier, « Réflexions sur l’opportunité d’étendre l’aménagement du fardeau probatoire en matière pénale », in ce

rapport.

2 Cons. const., Loi de modernisation sociale, décision du 12 janvier 2002, n°2001-455 DC, JORF, 18 janv. 2002, p.

1053, cons. 84 : « il ressort des termes mêmes des dispositions critiquées que les règles de preuve dérogatoires qu’elles instaurent trouvent à s’appliquer “en cas de litige”; qu’il s’ensuit que ces règles ne sont pas applicables en matière pénale et ne sauraient, en conséquence, avoir pour objet ou pour effet de porter atteinte au principe de présomption d’innocence ».

3 V. par ex. Cass. crim., arrêt du 11 avril 2012, n°11-83.816, Bull. crim. n°95.

4 En ce sens, v. la décision précitée du Conseil constitutionnel et le rapport d’Isabelle Vasseur, députée, fait au nom de

la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (Rapport n°695, Assemblée nationale, 6 févr. 2008, p. 42).

de la personne mise en cause, compte tenu de la gravité des intérêts en jeu », comme le rappelle

Marc Touillier1.

À l’encontre d’une impossible évolution du régime probatoire en matière pénale, l’auteur propose trois pistes de réflexion, qui seraient susceptibles d’ouvrir sur un relatif allègement de la charge de la preuve pour sanctionner les discriminations en matière pénale. Sans constituer une remise en cause de la présomption d’innocence, il s’agirait d’une conciliation renouvelée entre, d’une part, ce principe et, d’autre part, la lutte effective contre les discriminations. Parmi ces trois propositions, deux retiendront particulièrement notre attention, la troisième – l’instauration de présomptions de culpabilité – étant d’un moindre intérêt2 : l’allègement de la charge de la preuve et la transformation des délits de discrimination en « délits matériels » ou de contraventions.

Pour faciliter l’établissement d’une discrimination en justice, l’éventuelle extension de l’allègement de la charge de la preuve à la matière pénale est une première voie. Au regard des difficultés probatoires auxquelles sont confrontés le ministère public et les plaignants en matière de discrimination, il pourrait être tentant d’étendre l’aménagement de la charge de la preuve prévu en matière civile au domaine pénal. La partie poursuivante n’aurait donc plus qu’à présenter devant la juridiction pénale les faits matériels permettant de présumer l’existence de l’infraction, à charge pour le prévenu de prouver ensuite, au vu des éléments avancés, que la mesure en cause était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. C’est une proposition, soutenue par certains auteurs et professionnels de la justice3, qui aurait évidemment l’avantage de faciliter considérablement la tâche de la victime et du ministère public, mais aussi celle du juge pénal pour entrer en voie de condamnation. Pour peu qu’elle soit suivie d’effet, la fonction dissuasive des dispositions pénales s’en trouverait par là même restaurée, ce qui pourrait progressivement conduire à un changement dans les comportements des individus concernés. Cette dérogation aux règles ordinaires de charge de la preuve en matière pénale, et donc à la présomption d’innocence, ne serait pas inconcevable selon Marc Touillier. Ce dernier rappelle, d’une part, que la loi admet déjà que l’établissement de certains délits punis de peines identiques, voire plus sévères que les délits de discrimination, soit facilité

1 M. Touillier, « Réflexions sur l’opportunité d’étendre l’aménagement du fardeau probatoire en matière pénale », in ce

rapport.

2 De l’avis même de Marc Touillier, op. cit., ce mécanisme « peu familier au droit pénal » disposerait d’une efficacité

réduite pour lutter contre les discriminations.

3 En ce sens, M.-Th. Lanquetin (dir.), Le recours au droit dans la lutte contre les discriminations : la question de la

preuve, Travaux du Groupe d’étude et de lutte contre les discriminations, GELD, oct. 2000, n°2, p. 50, cité par A. Danis- Fâtome, art. préc. ; v. aussi l’entretien réalisé avec un procureur de la République dans le cadre de la recherche (EN6).

au moyen d’un renversement de la charge de la preuve1. D’autre part, le droit de l’Union européenne semble, selon l’auteur, être passé d’une position fermée sur l’aménagement de la charge de la preuve en matière pénale à la reconnaissance au profit des États membres d’une faculté d’extension afin de mieux lutter contre les pratiques pénales discriminatoires. À la différence des précédentes directives européennes, la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 portant refonte des dispositions relatives à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail2 a en effet expressément prévu, dans son article 19 § 5 relatif à l’allègement du fardeau probatoire, que ce texte ne s’appliquait pas aux procédures pénales, « sauf si les États membres en dispos[ai]ent autrement ». Par conséquent, du point de vue des institutions européennes, le rééquilibrage de la charge de la preuve paraît désormais transposable au contentieux pénal3.

Il serait donc envisageable d’étendre l’aménagement du fardeau probatoire à la lutte pénale contre les discriminations, sans que cela ne constitue une innovation réelle ni une atteinte excessive au principe de la présomption d’innocence. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, le renversement ainsi opéré serait en effet justifié par la gravité de l’enjeu en présence ; il n’emporterait pas de présomption irréfragable et préserverait les droits de la défense4. Il ne resterait alors plus au Conseil constitutionnel et à la Cour de cassation qu’à infléchir la position qu’ils avaient prise à ce sujet5.

La seconde voie à envisager consisterait à « matérialiser » ou contraventionnaliser les délits de discrimination. L’une des grandes difficultés au pénal est de prouver l’intention discriminatoire d’une personne mise en cause. Il pourrait dès lors être tentant de considérer les infractions de discrimination comme des « délits matériels », ou bien encore comme des contraventions.

1 Tel est le cas dans les situations où un individu est susceptible de voir sa responsabilité pénale engagée « s’il ne

parvient pas à justifier de ressources correspondant à son train de vie » alors qu’il est en relation habituelle avec une personne qui se livre à une activité sinon illicite, du moins « suspecte » (il est permis d’englober sous ces adjectifs la prostitution, la mendicité, la vente à la sauvette, le recel de biens ou encore le terrorisme). La partie poursuivante n’est alors tenue d’apporter la preuve que de la nature particulière de la relation entretenue entre le prévenu et la personne qui mène l’activité en cause. Si elle le fait, il appartient alors au prévenu de prouver que l’origine de ses ressources est dépourvue de tout lien avec l’activité suspecte. On peut aisément y voir un allègement de la charge probatoire pour le ministère public ou la victime de l’infraction et, corrélativement, un alourdissement singulier pour l’individu mis en cause.

2 JOUE n°L 204/23, 26 juill. 2006.

3 En ce sens, M.-Th. Lanquetin, art. préc., p. 861. Cité par M. Touillier, art. cit.

4 CEDH, Salabiaku c. France, arrêt du 7 octobre 1988, req. n°10519/83, Série A 141-A, spéc. §§ 28-30 ; CEDH, Pham

Hoang c. France, arrêt du 25 septembre 1992, req. n°13191/87, Série A 243, spéc. § 33.

Les « délits matériels » désignent dans la doctrine une catégorie prétorienne de délits susceptibles d’être constitués sans considération pour les motivations de leur auteur. La commission matérielle des faits incriminés suffit dès lors à elle seule à caractériser l’infraction, comme dans la plupart des contraventions1, ce qui revient à les réprimer sur la base d’une approche purement objective de l’intention. En « matérialisant » certains délits commis dans des domaines tels que l’environnement, l’urbanisme ou le travail, les tribunaux répressifs se facilitaient donc la tâche en considérant la culpabilité du prévenu établie par la seule constatation de la commission des faits2. Toutefois cette catégorie semble avoir disparu avec le nouveau Code pénal qui prévoit qu’« il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le

commettre »3 . Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de manifester son attachement à ce principe depuis4. Si cette technique permettrait évidemment de faciliter la répression des comportements discriminatoires, indépendamment de tout élément moral, elle présenterait toutefois l’inconvénient de pérenniser une catégorie devenue anachronique – en raison du décalage qu’elle accuse avec le principe posé à l’article 121-3 du Code pénal – et d’autant plus difficile à concilier avec le principe de la présomption d’innocence5. Une voie alternative consisterait, de manière plus radicale encore, à contraventionnaliser purement et simplement les comportements discriminatoires. Cette voie consisterait pour le législateur à « déclasser » les infractions de discrimination en les faisant passer de la catégorie des délits à celle des contraventions. Le changement opéré serait double sur le plan substantiel : d’un côté les peines encourues ne seraient plus les mêmes, compte tenu de l’exclusion de toute peine privative de liberté en matière contraventionnelle ; de l’autre l’élément moral deviendrait inutile car la faute contraventionnelle se confond avec la constatation matérielle du fait réprimé6. Certes, un tel processus de « déclassement » des infractions discriminatoires représenterait un recul du droit pénal en la matière et pourrait être perçu comme une tolérance accrue à la discrimination. Mais, nonobstant cet argument, Marc Touillier souligne au soutien de cette proposition que la valeur

1 F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, Economica, 16e éd., Paris, 2009, n°469. 2 Y. Mayaud, Droit pénal général, PUF, 3e éd., 2010, n°233.

3 Article 121-3, al. 1er du Code pénal.

4 Cons. const., décision du 16 juin 1999, préc., cons. 16 : « il résulte de l’article 9 de la Déclaration des droits de