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A. Des obstacles exogènes

2. Un second verrou : l’habitus du juge

Quand Robin Médard analyse la jurisprudence canadienne rendue en matière de non- discrimination, il salue l’œuvre du juge en ces termes : « le volontarisme dont fait preuve le

juge l’érige en un outil stratégique manifeste »2 soulignant que le raisonnement qu’il y

développe est influencé par son habitus. Il paraît difficile de faire preuve du même optimisme pour qui s’intéresse aux discriminations et au sort que leur réservent les juges français. Un certain nombre de freins à l’effectivité de la lutte contre les discriminations émerge au stade juridictionnel dont certains tiennent aux comportements, aux raisonnements, aux modes d’interprétation du juge ou encore à la perception qu’il a de son office.

Ces freins se manifestent à deux niveaux, celui des modes de raisonnement, trop souvent inchangés (a), et celui des pouvoirs d’instruction, rarement mobilisés (b).

a. Des modes de raisonnement trop souvent inchangés

Les modes traditionnels de raisonnement constituent un véritable obstacle à l’effectivité juridictionnelle du droit anti-discriminatoire. Il est potentiellement surmontable, à condition que le juge admette une petite révolution dont les signes sont encore à chercher. Comme le met en exergue Véronique Champeil-Desplats, il existe en effet une « distorsion entre, d’un côté,

les cadres conceptuels et les catégories juridiques mobilisés dans l’ordre juridique français avec lesquels ses juristes – les juges, les administrations comme la doctrine – ont l’habitude de

1 A. Zarca, L’Egalité dans la fonction publique, op. cit., p. 702.

raisonner et, d’un autre côté, des dispositifs parfois nouveaux et essentiellement inspirés des droits internationaux et européens »1. Parmi les cadres de pensée traditionnels du juge - en

particulier constitutionnel et administratif - qui affectent directement son appréhension des discriminations, il y a une approche spécifique de l’égalité dont l’influence paraît évidente dans le domaine qui nous occupe (i), mais également un type de contrôle que l’on pourrait qualifier d’abstrait qui empêche de saisir des discriminations qui s’inscrivent dans une réalité des plus concrètes (ii).

i. Principe d’égalité contre non-discrimination

Comme nous avons eu l’occasion de le souligner, la discrimination n’est pas mentionnée dans les textes constitutionnels français2. En revanche l’égalité y est inscrite, que ce soit dans les

dispositions du Préambule3 ou dans le corps de la Constitution4. Rien n’empêchait donc a priori

les juges, en particulier constitutionnels, de puiser dans ces corpus dédiés à l’égalité les ressources pour protéger les individus contre des distinctions considérées comme illégitimes. Certes, on s’abrite souvent derrière le texte de 1789 pour justifier une conception formelle de l’égalité5, fondée sur l’Homme abstrait et universel ; mais c’est en occultant les potentialités de

l’article 1er du texte de 1958 qui interdit les distinctions fondées sur l’origine, la race et la religion. Même en admettant que l’Homme de 1789 soit abstrait et donc universel, convenons qu’il devient beaucoup plus concret à partir de 1946, lorsque le constituant l’envisage comme marqué par ses origines, son appartenance religieuse et même comme un être sexué6. En

conséquence, actons que si le terme de discrimination est absent du texte, l’idée y est présente.

1 V. Champeil-Desplats, « De quelques obstacles conceptuels à la reconnaissance juridique des discriminations », in ce

rapport.

2 V. supra, I.A.2.a.

3 Article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : « Elle [La loi] doit être la même pour tous,

soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse », ajoutant que les citoyens sont égaux devant elle ; alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ».

4 Article 1er : « Elle [La France] assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou

de religion »

5 Véronique Champeil-Desplats montre que le droit, notamment constitutionnel, est « fortement marqué par une

désignation générale et indifférenciée des sujets de droit », avec l’emploi de termes tels que « tous », « chacun », « quiconque ».

6 Alinéas 1er (« le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de

croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ») et 3 (« La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ») du Préambule de la Constitution de 1946.

Dès lors, quelle a été l’attitude du juge constitutionnel face à une ressource rare mais pas inexistante ?

À l’inverse du texte, le terme discrimination est connu de la jurisprudence constitutionnelle mais aucun usage spécifique n’en est fait par le juge. En effet, il est remarquable que ce terme apparaisse dans la jurisprudence du Conseil dès ses premières décisions rendues en matière d’égalité en 1973, alors que ce terme ne connaît pas le succès qui est le sien aujourd’hui en droit positif1. En revanche, le juge ne confère aucun sens particulier à ces références aux

discriminations qui se trouvent absorbées par l’égalité. Avec Patricia Rrapi, convenons que les juges de la rue Montpensier assimilent toute violation du principe d’égalité à une discrimination2, ôtant conséquemment toute spécificité aux distinctions fondées sur des motifs

identifiés et expressément prohibés par le texte.

Cette absence d’autonomie des discriminations dans la jurisprudence constitutionnelle n’a rien d’anodin : elle illustre l’acception que le juge retient de l’égalité, que l’on qualifie de formelle, ce qui lui vaut des reproches permanents de la part des Comités onusiens qui souhaitent lui voir substituée dans l’Hexagone une conception substantielle3. C’est qu’une approche formelle de

l’égalité et la prise en compte des discriminations s’avèrent souvent peu compatibles, voire antagoniques.

La conception formelle de l’égalité commande en effet l’application de la même règle à tous les sujets de droit, indépendamment de leurs caractéristiques propres. Elle suppose une règle universelle, aveugle, indifférente aux particularités. Elle s’oppose ainsi à une égalité réelle ou substantielle qui pourrait impliquer une différenciation de la règle de droit. Tout au plus, le juge constitutionnel, dans la lignée du juge administratif, concède quelques assouplissements permettant, sans jamais y obliger4, l’établissement de différences de traitement répondant, dans

des conditions strictes5, à des situations différentes6. Cette absence d’obligation de traiter

1 V. La célèbre décision du Conseil de 1973 (Décision n°73-51DC du 27 décembre 1973, Loi de finances pour 1974),

cons. 2 : « Considérant, toutefois, que la dernière disposition de l'alinéa ajouté à l'article 180 du code général des impôts par l'article 62 de la loi de finances pour 1974, tend à instituer une discrimination entre les citoyens au regard de la possibilité d'apporter une preuve contraire à une décision de taxation d'office de l'administration les concernant ; qu'ainsi ladite disposition porte atteinte au principe de l'égalité devant la loi contenu dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 et solennellement réaffirmé par le préambule de la Constitution ».

2 P. Rrapi, « Les obstacles à la lutte contre les discriminations devant le juge constitutionnel », in ce rapport.

3 S. Grosbon, « Regard critique des comités onusiens sur la lutte contre les discriminations à la française », La Revue

des droits de l’homme, 2016, n°9, en ligne.

4 CE 28 mars 1997, Société Baxter, req. n°179049 et 179054 5 V. infra II.B.1. a.

différemment permet de soutenir qu’il s’agirait d’une concession, rien de plus, par les juges internes à l’égalité réelle, bien loin de la conception retenue par les juges européens qui, de concert, affirment qu’à défaut de traiter différemment des situations différentes on crée une discrimination1.

L’attachement des juges français à l’égalité formelle qui apparaît antagonique avec ce que recèle la notion de non-discrimination n’est pourtant pas indépassable. À cet égard, le détour par le Canada auquel invite Robin Médard est instructif. Le juge qui, vu de ce côté de l’Atlantique, a des couleurs exotiques - faisant des aménagements raisonnables une ligne de conduite et de la nécessité de prendre en compte les discriminations intersectionnelles une évidence - avait pourtant originellement une conception formelle de l’égalité2. Mais il a effectué

une mue en constatant, dans un premier temps, l’insuffisance de l’égalité devant la loi - ce qui l’a conduit à la compléter par l’égalité dans la loi3- et, dans un second temps, en estimant que

l’égalité devant la loi, même cumulée avec l’égalité dans la loi, était incomplète, dès lors que les sujets diffèrent en substance4. Il est alors parvenu à une définition matérielle ou

« matérialisée » de l’égalité c’est-à-dire qui « ne peut être atteinte ou perçue que par

comparaison avec la situation des autres dans le contexte socio-politique où la question est soulevée »5. Une telle conception de l’égalité instaure un climat juridique infiniment plus

propice à accueillir des raisonnements anti-discriminatoires dans la mesure où elle conduit à prendre acte au tout premier chef de la situation effective des personnes.

Malgré cette vision traditionnelle - à laquelle il continue de donner des gages de fidélité -, le juge constitutionnel ne parvient-il pas à intégrer subrepticement une part de la logique anti- discriminatoire, quand bien même celle-ci ne serait « ni le fruit, ni le prolongement de la

politique de lutte contre les discriminations telle qu’elle a été promue au niveau international

1 « la discrimination matérielle aurait consisté à traiter soit de manière différente des situations similaires, soit de

manière identique des situations différentes » (CJCE, 7 juillet 1963, C-13/63 - Italie / Commission de la CEE) ; « Le droit de jouir des droits garantis par la Convention sans être soumis à discrimination est également transgressé lorsque, sans justification objective et raisonnable, les Etats n'appliquent pas un traitement différent à des personnes dont les situations sont sensiblement différentes » (CEDH 6 avril 2000, Thlimmenos c. Grèce, req. n°34369/97, cons. 44) ; « le principe d’égalité [qui] sous tend l’article E (…) implique d’assurer un même traitement aux personnes se trouvant dans la même situation, mais aussi de traiter de manière différente des personnes en situation différente » (CEDS, Décision sur le bien fondé Association internationale Autisme-Europe c. France, Réclamation n°13/2002, par. 52).

2 V. notamment R. c. Drybones, [1970] RCS 282 et Bliss c. Procureur général du Canada, [1979] 1 RCS 183.

3 Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143, p. 167: « une mauvaise loi ne peut être sauvegardée

pour la simple raison qu’elle s’applique également à ceux qu’elle vise».

4 R. Médard, « Les écueils du contentieux anti-discriminatoire au prisme de la jurisprudence canadienne », in ce rapport. 5 Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989], op. cit.

et européen »1 ? On peut faire le constat, avec Paticia Rapi, que le Conseil sanctionne certaines

discriminations, sans le dire toutefois, par le prisme de la violation du principe d’égalité. Il en va ainsi dans la décision QPC de 2014, Jamila K.2. En l’espèce la requérante soutenait qu’en

prévoyant que la perte de la nationalité française résultant de l’acquisition volontaire de la nationalité étrangère s’opère de plein droit pour les femmes alors que, pour les hommes, elle est subordonnée à une demande de leur part, les dispositions législatives portaient atteinte au principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Le juge sanctionne la loi en rappelant l’article 6 de la Déclaration de 1789 ainsi que le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, mais ne mentionne pas le principe de non-discrimination. Parfois, de manière probablement plus discutable, le juge parvient à purger l’ordre juridique de la disposition législative discriminatoire, mais sans révéler la discrimination et en censurant le texte sur un autre motif. La chercheuse en offre un exemple parlant avec la décision de 2010, relative à la loi autorisant l’approbation de l’accord franco-roumain sur « l’accompagnement » en Roumanie des enfants mineurs non accompagnés. Le texte visait, dans les faits et sans aucune ambiguïté, les enfants roms. Tandis que les requérants invoquaient la violation du principe d’égalité – et visaient au-delà de lui une discrimination fondée sur l’origine -, le juge s’en tient à relever la contrariété à la Constitution du seul fait de l’absence de recours effectif contre la décision d’éloignement des enfants, sans se prononcer sur la discrimination3. La teneur

discriminatoire est ainsi totalement masquée dans la décision du Conseil.

Dépassable, cette vision formelle de l’égalité est une entrave à l’intégration de la logique de la lutte juridique contre les discriminations. Elle ne constitue toutefois pas une barrière absolue à toute prise en compte de la réalité discriminatoire. De son côté, le contrôle abstrait qu’affectionne le juge constitutionnel français semble un autre obstacle – dont la portée doit toutefois être précisément identifiée.

1 P. Rrapi, op. cit.

2 Décision n°2013-360 QPC du 9 janvier 2014, Mme Jalila K.

3 Décision n°2010-614 DC du 4 novembre 2010, Loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et la

ii. Contrôle abstrait contre non-discrimination

Le contrôle abstrait auquel se livre le juge constitutionnel français constitue par essence un obstacle à la reconnaissance des discriminations. Celle-ci suppose en effet de s’intéresser aux effets discriminatoires produits par la loi, au-delà du texte lui-même1. Mais ce qui est frappant

aux yeux de Patricia Rrapi, c’est que cette posture du juge constitutionnel n’est pas exclusive. Il peut lui arriver de s’intéresser à l’application de la loi. En conséquence, au-delà des termes employés, la protection constitutionnelle de la non-discrimination varie d’une décision à l’autre et est entourée d’un réel aléa.

La décision du 9 décembre 2010 sur la loi portant réforme des collectivités révèle les effets annihilants que le choix d’un contrôle abstrait produit sur la protection contre les discriminations. Les requérants soutenaient que la généralisation du scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour l’élection des conseillers territoriaux et l’abandon qui en résulte du scrutin de liste pour l’élection des élus siégeant au conseil régional entraînerait un recul très important de la représentation des femmes dans ces conseils. Ils dénonçaient ainsi une discrimination indirecte qui découlerait de ce type de scrutin. Le Conseil constitutionnel se fondant sur le caractère abstrait du contrôle de constitutionnalité précise : « considérant que le

deuxième alinéa de l’article 1er de la Constitution n’a ni pour objet ni pour effet de priver le

législateur de la faculté qu’il tient de l’article 34 de la Constitution de fixer le régime électoral des assemblées locales ; que les dispositions critiquées ne portent, par elles-mêmes2, aucune

atteinte à l’objectif d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives énoncé à l’article 1er de la Constitution ; qu’elles ne portent pas davantage atteinte

au principe d’égalité devant la loi ; que, par suite, les griefs formés contre l’article 1er de la loi

doivent être écartés »3. Cet exemple est saisissant, révélant l’aveuglement volontaire du Conseil

constitutionnel en ce domaine. Si, comme le souligne la chercheuse, il peut se montrer plus réceptif à la question discriminatoire, il n’en demeure pas moins que l’imprévisibilité règne en la matière : le type de contrôle effectué varie selon des critères fuyants, s’ils existent4, de sorte

que l’effectivité de la garantie constitutionnelle offerte au droit anti-discriminatoire est très loin d’être garantie.

1 P. Rrapi, op. cit. 2 Nous soulignons.

3 Décision n°2010-618 du 9 décembre 2010, Loi de réforme des collectivités territoriales, Cons. 32 à 34. 4 Décision n°86-225 du 23 janvier 1987, Loi portant diverses mesures d’ordre social.

L’attachement pérenne à une égalité formelle, bien davantage qu’à une égalité réelle, et la préférence donnée au contrôle abstrait se conjuguent pour empêcher le Conseil constitutionnel de saisir les discriminations – et au tout premier chef les discriminations indirectes1.

À défaut de changer de paradigme et de substituer la logique spécifique de la lutte contre les discriminations à celle de l’égalité, le juge constitutionnel – et au-delà de lui le juge de droit commun, et en particulier le juge administratif – pourrait adapter ses méthodes de raisonnement. L’exemple canadien une fois encore montre les potentialités offertes par la méthode d’interprétation téléologique. La recherche d’effectivité permet au juge nord-américain de dépasser l’absence d’un motif de discrimination prohibé2 mais également d’intégrer pleinement

les discriminations indirectes à sa réprobation en se concentrant sur les effets des comportements et des textes. La question est donc de savoir si le juge interne est prêt modifier ses méthodes. À l’heure actuelle, il fait montre de résistance, certains diraient « de façon quasi

psychologique »3, au niveau de ses cadres conceptuels. Quelques timides évolutions sont

toutefois perceptibles sur un plan davantage procédural.

b. Des pouvoirs d’instruction rarement mobilisés

L’acte discriminatoire s’inscrit bien souvent dans un contexte d’inégalité structurelle entre l’auteur et la victime de la discrimination. Il en va en particulier ainsi s’agissant de la relation de travail, tant en droit du travail qu’en droit de la fonction publique, c’est-à-dire tant en présence d’un employeur personne privée que d’un employeur personne publique. Afin de compenser l’inégalité des armes, les juges sont invités par la loi, en ce qui concerne le droit du travail, ou par la jurisprudence, en ce qui concerne le juge administratif, à jouer un rôle actif dans la recherche des preuves. L’examen de la jurisprudence révèle cependant que les juges recourent rarement à cette possibilité (i). L’article 145 du Code de procédure civile qui permet de solliciter des mesures d’instruction avant le procès pourrait constituer, à condition d’être mis en œuvre sans trop de restrictions, une voie favorable au soutien des plaignants (ii).

1 V. infra.

2 V. La Cour suprême qui affirme que « [s]i l’on n’est pas en présence d’un motif énuméré ou d’un motif analogue déjà

reconnu, la considération fondamentale (…) est la question de savoir si la reconnaissance du fondement de la différence de traitement comme motif analogue favoriserait la réalisation des objets du par. 15 », Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203, p. 209, in R. Médard, op. cit.

i. L’exigence d’un commencement de preuve

L’aménagement de la charge de la preuve prévue en matière de discriminations a pour objectif de faciliter la tâche probatoire, qui pèse notamment sur les salariés ou les agents publics, en leur épargnant l’exigence d’établir la discrimination. Il leur suffit d’apporter des éléments de fait qui la rendent vraisemblable. Toutefois, autant l’article L.1134-1 du Code du travail que l’arrêt Perreux ajoutent que le juge peut ordonner en cas de besoin « les mesures d’instruction

qu’il estime utiles »1. Celles-ci peuvent être mises en œuvre à l’initiative des juges ou bien encore à la demande des parties. Malgré l’opposition qui existe, en théorie, entre les règles procédurales du droit privé et celles du droit public, respectivement entre le modèle accusatoire et le modèle inquisitorial, les juridictions sociales et administratives abordent les requêtes en discrimination de manière comparable indépendamment de la voie contentieuse considérée2. Il est ainsi remarquable que les mesures d’instruction n’interviennent jamais pour suppléer une absence totale d’élément de preuve avancé par les parties. Alors que ces mesures d’instruction permettent de solliciter des documents sans doute inaccessibles au demandeur (bulletins de paie d’autres salariés, évaluations, etc.), ce dernier ne peut demander au juge d’y recourir sans fournir un minimum d’éléments susceptibles de rendre vraisemblable la discrimination. Autant en droit social qu’en droit public, le juge exige en effet un « commencement de preuve »3. En droit social, plus précisément, comme le montrent Nicolas Hoffschir et Vincent Orif, les juridictions du fond rappellent parfois que le juge ne doit pas se substituer « aux parties dans la mise en état de leur dossier »4. Ces deux auteurs insistent ainsi sur le caractère subsidiaire de l’intervention du juge : en aucun cas, celle-ci ne saurait suppléer la « carence » du salarié dans l’administration de la preuve. Expressément mentionnée au deuxième alinéa de l’article 146 du Code de procédure civile, la notion de « carence » est encore mal définie. Il serait tentant de cantonner cette notion aux cas où le salarié se serait montré négligent ou aux hypothèses dans