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La lutte contre les discriminations à l'épreuve de son effectivité. Les obstacles à la reconnaissance juridique des discriminations

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Academic year: 2021

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HAL Id: halshs-01480631

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01480631

Submitted on 1 Mar 2017

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

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des discriminations

Tatiana Gründler, Jean-Marc Thouvenin

To cite this version:

Tatiana Gründler, Jean-Marc Thouvenin. La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son ef-fectivité. Les obstacles à la reconnaissance juridique des discriminations. [Rapport de recherche] Université Paris Ouest Nanterre La Défense. 2016. �halshs-01480631�

(2)

L

A LUTTE CONTRE LES

DISCRIMINATIONS A L

EPREUVE DE

SON EFFECTIVITE

Les obstacles à la reconnaissance juridique des

discriminations

Sous la direction de

Tatiana GRÜNDLER, Maître de conférences, UPOND CTAD-CREDOF

Jean-Marc THOUVENIN, Professeur, UPOND CEDIN Avec la participation de

ThomasDUMORTIER, Docteur, Post-doctorant sur le projet

Recherche réalisée avec le soutien de la mission de recherche Droit et Justice

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CHERCHEURS IMPLIQUES DANS LE PROJET

Le projet ayant rassemblé tous les laboratoires de recherche de l’UFR de droit et sciences politiques de l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, les membres du projet sont, sauf indication contraire, membres de cette université.

EQUIPE RESPONSABLE

GRÜNDLER Tatiana, Maître de conférences, Centre de théorie et analyse du droit, équipe de

recherche et d’études sur les droits fondamentaux.

THOUVENIN Jean-Marc, Professeur, Centre de Droit International de Nanterre

Post-doctorant sur le projet : DUMORTIER Thomas, Docteur, Centre de théorie et analyse du

droit, équipe de recherche et d’études sur les droits fondamentaux

Responsables administratives : BENAYOUN Carine, Attachée d’administration, Fédération

interdisciplinaire de Nanterre en Droit et MILLAN Stéphanie, Ingénieur d’études, Université

Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, associée au Centre de Droit International de Nanterre.

LISTE DES CHERCHEURS

Amrani Mekki Soraya Professeur, Centre de Droit pénal de criminologie Azi Abdelghani, Doctorant, Centre de Recherches sur le Droit Public Bellivier Florence, Professeur, Centre de Droit pénal de criminologie

Boujeka Augustin Maître de conférences, Centre d’études juridiques européennes et comparées Boussard Sabine, Professeur, Centre de Recherches sur le Droit Public

Carles Isabelle, Chercheuse associée à la Fédération interdisciplinaire de Nanterre en Droit Champeil-Desplats Véronique, Professeur, Centre de théorie et analyse du droit, équipe de recherche et d’études sur les droits fondamentaux

Conigliaro Civello Silvio, Docteur, Centre de Droit pénal de criminologie

Danis-Fatôme Anne, Maître de conférences HDR, Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique

Desprez François, Maître de conférences, Centre de Droit pénal de criminologie Domenach Jacqueline Professeur, Centre de Recherches sur le Droit Public

Dumortier Thomas, Docteur, Centre de théorie et analyse du droit, équipe de recherche et d’études sur les droits fondamentaux

Fercot Céline, Maître de conférences, Centre de théorie et analyse du droit, équipe de recherche et d’études sur les droits fondamentaux

Foegle Jean-Philippe, Doctorant, Centre de théorie et analyse du droit, équipe de recherche et d’études sur les droits fondamentaux

Fondimare Elsa, ATER, Centre de théorie et analyse du droit, équipe de recherche et d’études sur les droits fondamentaux

Grosbon Sophie, Maître de conférences, Centre de Droit International de Nanterre

Gründler Tatiana, Maître de conférences, Centre de théorie et analyse du droit, équipe de recherche et d’études sur les droits fondamentaux

Guiomard Frédéric, Maître de conférences, Institut de Recherche Juridique sur l’Entreprise et les Relations Professionnelles

Hervás-Hermida Clara, ATER, Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique Hoffschir Nicolas, Docteur, Centre de Droit pénal de criminologie

Kombila Hilème, Docteure en droit, Université Paris Créteil

Lamour Marianne, ATER, Centre de Droit International de Nanterre

Leblond Lauren, Maître de conférences, Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique

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Medard Robin, Doctorant, Centre de théorie et analyse du droit, équipe de recherche et d’études sur les droits fondamentaux

Menduiña Gordón Eva, Maître de conférences, Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique

Omarjee Ismaël, Maître de conférences, Centre d’études juridiques européennes et comparées Orif Vincent, Maître de conférences, Université de Caen, Institut Demolombe

Pichard Marc, Professeur, Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique Rrapi Patricia, Maître de conférences, Centre de théorie et analyse du droit, équipe Théoris Roccati Marjolaine, Maître de conférences, Centre d’études juridiques européennes et comparées

Rodopoulos Yannis, Docteur, Centre de Droit pénal de criminologie

Slama Serge, Maître de conférences HDR, Centre de théorie et analyse du droit, équipe de recherche et d’études sur les droits fondamentaux

Thibierge Louis, Maître de conférences, Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique

Thouvenin Jean-Marc, Professeur, Centre de Droit International de Nanterre Touillier Marc, Maître de conférences, Centre de Droit pénal de criminologie

Tsalpatourou Asimina, ATER à l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, doctorante au Centre de Recherche en Droit Constitutionnel de Paris I Panthéon-Sorbonne.

Wolmark Cyril, Professeur, Institut de Recherche Juridique sur l’Entreprise et les Relations Professionnelles

Remerciements

Pour leurs recherches complémentaires réalisées pour l’élaboration du rapport à :

Augustin Boujeka pour son travail sur les discriminations fondées sur le handicap et intersectionnelles

Silvio Conigliaro Civello pour son travail sur le droit pénal Frédéric Guiomard pour son travail sur les associations Hilème Kombila pour son travail sur la hiérarchie verticale

Lauren Leblond pour son travail sur les refus de soins des bénéficiaires de la CMU Mélanie Marchand pour son travail sur le Défenseur des droits

Ismaël Omarjee, Marjolaine Roccati et Hilème Kombila pour leur travail sur le droit de l’Union européenne

Marc Touillier pour son travail sur le testing en Italie.

Asimina Tsalpatourou, pour son travail sur les discriminations dans le logement social.

A Véronique Champeil-Desplats et Marc Pichard pour leur participation active et décisive dans les derniers moments d’écriture et de relecture du rapport,

Et à Marie-Xavière Catto pour son soutien et son aide essentielle dans l’édification et la relecture du rapport.

Le présent document constitue le rapport scientifique d’une recherche réalisée avec le soutien du GIP Mission de recherche Droit et Justice (convention n°214.06.03.26). Son contenu n’engage que la responsabilité de ses auteurs. Toute reproduction, même partielle, est subordonnée à l’accord de la Mission.

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Sommaire Rapport

Introduction générale 1

I - Organisation et séquençage des travaux 1

II – Hypothèses initiales 4

III – Plan du rapport final 7

I. Les insuffisances du dispositif juridique 11

A. Les manques pour penser les discriminations 11

1. Les angles-morts du droit des discriminations 12

2. Une hiérarchie impensée des motifs de discrimination 32

B. Des manques pour établir les discriminations 44

1. La promotion des actions collectives en question 45

2. Une adaptation incomplète du régime probatoire 49

II. Les obstacles à la mise en œuvre juridictionnelle 71

A. Des obstacles exogènes 72

1. Un premier verrou : des principes juridiques opposés 72

2. Un second verrou : l’habitus du juge 79

B. Des obstacles endogènes 90

1. La difficile identification juridictionnelle des discriminations 91

2. L’inadéquation de la réponse aux discriminations établies 107

Bibliographie 122

Table des matières détaillée comprenant la liste des annexes 134

Résumé

La note de synthèse Annexes

Les écueils du contentieux anti-discriminatoire au prisme de la jurisprudence

canadienne 3

Robin Médard 3

De quelques obstacles conceptuels à la reconnaissance juridique des discriminations

Véronique Champeil-Desplats 44

La contribution des conventions du Conseil de l’Europe à la lutte contre les

discriminations 61

Marianne Lamour & Rachel Lucas 61

Quelle effectivité de la lutte contre les discriminations ? Les enseignements du

système de la Charte sociale européenne 114

Tatiana Gründler 114

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L’intelligibilité par l’harmonisation des définitions de la discrimination en droit interne

Robin Médard 177

L’absence d’harmonie du dispositif de lutte contre les discriminations en droit pénal

du travail 203

François Desprez 203

Les sanctions des discriminations 216

Louis Thibierge 216

Les modes d'appréciation de la causalité en matière de discrimination directe en milieu de travail : un « frein argumentatif » à la lutte contre les discriminations ?

Jean-Philippe Foegle 227

Les stratégies relatives à l’établissement de la discrimination 242

Nicolas Hoffschir  Vincent Orif 242

Réflexions sur l’opportunité d’étendre l’aménagement du fardeau probatoire en

matière pénale 263

Marc Touillier 263

L’action du ministère public dans la lutte contre les discriminations. Étude

comparée France-Espagne 282

Clara Hervás Hermida 282

Les obstacles à la lutte contre les discriminations devant le juge constitutionnel 314

Patricia Rrapi 314

Le Conseil d’État et le contrôle des discriminations. 327

Jacqueline Domenach 327

L’appréhension juridictionnelle des discriminations dans la fonction publique 349

Thomas Dumortier 349

Le Défenseur des droits et les acteurs juridictionnels de la lutte contre les

discriminations : quelle complémentarité possible ? 362

Isabelle Carles 362

La lutte contre la discrimination en droit des assurances 387

Anne Danis-Fatôme 387

La discrimination dans le logement privé 408

Eva Menduiña Gordón 408

La lutte contre les discriminations dans le secteur bancaire et financier 427

Abdelghani Azi 427

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AERAS : Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé Aff. : affaire

AGG : loi allemande de transposition des directives européennes relatives à l'égal accès aux services et prestations AIEFFA : Association Internationale des Etablissements Francophones de Formation à l’Assurance

AJDA : Actualité juridique. Droit administratif al. : alinéa

ANIL : Agence nationale pour l’information sur le logement Art. : article

Ass. : Assemblée

AVTF : Association européenne des Violences Faites aux femmes au Travail BCT : bureau central de tarification

BOMJ : Bulletin Officiel du Ministère de la Justice

Bull. civ. : Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation Bull. crim. : Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation CA : Cour d’appel

CAA : Cour administrative d’appel

Cass. civ. : Cour de cassation, chambre civile Cass. crim. : Cour de cassation, chambre criminelle CC ou Cons. constit. : Conseil constitutionnel Ccl. : conclusions

CDD : contrat à durée déterminée CDI : contrat à durée indéterminée CE : Conseil d’État

CEDH : Cour européenne des droits de l’homme CEDS : Comité européen des droits sociaux CEI : Comité d’experts indépendants Ch. : chambre

Chr. ou Chron. : chronique (Recueil Dalloz)

CJCE ou CJUE : Cour de justice de la communauté européenne ou de l’union européenne CNAB : Confédération Nationale des Administrateurs des Biens et Agents immobiliers CNCDH : Commission nationale consultative des droits de l’homme

CNIL : Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés Cons. : considérant

CPEEAS : Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels CPLVF : Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique CPNM : Convention-cadre pour la protection des minorités nationales

CSE : Charte sociale européenne

CSE(R) : Charte sociale européenne révisée D. : Recueil Dalloz

Dactyl. : dactylographiée DDD : Défenseur des droits

DDHC : Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen Dir. : sous la direction de

DH : Dalloz Hebdomadaire Dr. fam. : Droit de la famille

EDCE : Etudes et documents du Conseil d’État ENA : Ecole nationale d’administration FCS : Fonds de cohésion sociale

FDIC : Federal Deposit Insurance Corporation

FIND : Fédération interdisciplinaire de Nanterre en Droit FNAIM : Fédération Nationale de l’Immobilier

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HALDE : Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité HMDA : Home Mortgage Disclosure Act

GAJA : Grands arrêts de la jurisprudence administrative

GED-GELD : Groupe d’étude et de lutte contre les discriminations GP : La Gazette du Palais

GUL : garantie universelle locative GRL : garantie des risques locatifs

Ibid. : Ibidem

IFOP : Institut français d’opinion publique IGAS : Inspection générale des affaires sociales INC : Institut national de la consommation INED : Institut national d’études démographiques

INSEE : Institut national de la statistique et des études économiques JCP : La semaine juridique, édition générale

JCP A : La semaine juridique, édition administrations et collectivités territoriales JDI : Journal de droit international

JIB : Journal international de bioéthique

JO ou JORF : Journal officiel de la République française (ou de l’État français)

JOCE ou JOUE : Journal officiel de la Communauté européenne ou de l’Union européenne

JOAN : Journal officiel des débats, Assemblée nationale (les dates qui suivent sont les dates des séances) JO Sénat : Journal officiel des débats, Sénat (les dates qui suivent sont les dates des séances)

jur. : jurisprudence (Recueil Dalloz) La doc. fr. : La documentation française LEH : Les études hospitalières

Loi ALUR : loi Accès au Logement et à un Urbanisme Rénové LPA : Les petites affiches

Mélanges X. Nom. : Mélanges en hommage à ou en l’honneur de not. : notamment

OCC : Office of the Comptroller of the Currency ONU : Organisation des Nations Unies

Op. cit. : opere citato

OSCE : Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe OSHA : Occupational Safety and Health Administration

OTS : Office of Thrift Supervision PAYD : Paye As You Drive PGD : principe général du droit Préc. : précité

PU : Presses universitaires de

PUAM : Presses universitaires d’Aix-Marseille PUF : Presses universitaires de France

QPC : question prioritaire de constitutionnalité

RDP : Revue de droit public et de science politique de la France et de l’étranger

RDSS : Revue de droit sanitaire et social (ou Revue trimestrielle de droit sanitaire et social) RDT : Revue de droit du travail

Rec. : Recueil

RevDH : Revue des droits de l’Homme RFAS : Revue française des affaires sociales

(10)

RFDC : Revue française de droit constitutionnel RGDM : Revue générale de droit médical RIDC : Revue internationale de droit comparé RLDC : Revue Lamy droit civil

RRJ : Revue de la recherche juridique. Droit prospectif RSC : Revue de sciences criminelles et de droit pénal comparé RTD. civ. : Revue trimestrielle de droit civil

RTDE : Revue trimestrielle de droit européen RTDH : Revue trimestrielle des droits de l’homme RTNU : Recueil des traités des Nations Unies S. : Recueil Sirey

s. : suivants

somm. : sommaires commentés (Recueil Dalloz) SOX : Sarbanes Oxley

spéc. : spécialement

STAA : Surface Transportation Administration Act STCE : série des traités du Conseil de l’Europe t. : tome

TA : tribunal administratif

TeO : Enquête Trajectoire et Origines

TFUE : Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne TGI : tribunal de grande instance

TI : tribunal d’instance

TICs : nouvelles technologies de l’information UE : Union européenne

URL : Uniform Resource Locator Vol. : volume

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EFFECTIVITE

Les obstacles à la reconnaissance juridique des discriminations

RAPPORT FINAL (UPOND)

Introduction générale

La lutte contre les discriminations souffre d’un défaut d’effectivité. Ce constat ouvre d’emblée un vaste champ de recherches. Pour l’aborder dans tout sa complexité, l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense (UPOND) a constitué une équipe de 38 chercheurs1, juristes de droit privé et de droit public, issus de la fédération des centres de recherche de l’UPOND, la FIND (Fédération interdisciplinaire de Nanterre en Droit), et du Centre de droit international (CEDIN), qui ont travaillé ensemble durant deux ans.

I - Organisation et séquençage des travaux

L’équipe a travaillé dans le cadre de quatre axes thématiques : 1) analyse des règles de fond (coordinateur J.-M. Thouvenin) ; 2) analyse des règles de procédure (coordinateurs S. Amrani-Mekki et F. Guiomard) ; 3) mise en œuvre extra-juridictionnelle de la lutte contre les discriminations (I. Carles) ; 4) mise en œuvre juridictionnelle de la lutte contre les discriminations (A. Danis-Fatôme). À l’issue de leurs travaux, les différents chercheurs répartis dans les axes ont produit des contributions que l’on trouvera en annexe du présent rapport final. Ce dernier, s’il s’en alimente, n’en reprend toutefois pas toutes les conclusions. En effet, si nous avons travaillé à partir de nombreuses hypothèses de départ, et bien que les travaux réalisés à partir de ces hypothèses aient tous été fructueux, le présent rapport fait le choix de se concentrer sur les résultats les plus saillants. Les travaux ont débuté par un séminaire inaugural qui s’est

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tenu le 2 octobre 2014. Ce séminaire a permis de déterminer les questions structurant cette recherche avec différents acteurs de terrain : juges, membres de comités onusiens, avocats, syndicalistes, associations, etc. Ce fut l’occasion tout d’abord de travailler en ateliers et ensuite de traiter en séance plénière les questions communes décisives sur l’appréhension de la notion d’effectivité, mais également les contours de l’expression « lutte contre les discriminations ». Le choix a été fait, à ce stade, de s’en tenir à une simple réflexion sur les différentes approches, sans encore aboutir à une définition stipulative de l’« effectivité », de façon à laisser la liberté jugée nécessaire, du moins dans un premier temps, aux chercheurs. Ceux-ci ont alors pu débuter leur travail sur leurs sujets respectifs, réunis en quatre groupes, les coordinateurs de chacun d’eux (les chercheurs à l’origine de la réponse à l’appel à projet) participant aux réunions de pilotage à intervalles réguliers en présence de Jean-Marc Thouvenin, Tatiana Gründler (co-responsables du projet) et Thomas Dumortier (post-doctorant sur le projet). Quelques sous-groupes se sont également constitués spontanément. Ainsi, dans l’axe consacré aux textes, un pôle droit international a coexisté avec un pôle relatif au droit interne. De même au sein du 4e groupe un sous-pôle droit privé s’est formé aux côtés du pôle droit public.

Parallèlement, des chroniques d’actualité ont été publiées dans les Lettres d’actualité à partir du 8 juin 2015.

Un nouveau séminaire de deux jours réservé aux chercheurs a été organisé en juin 2015. Destiné à faire un état des lieux à mi-parcours des diverses recherches entreprises et à dresser des conclusions intermédiaires, il a permis de constater que le spectre extrêmement large embrassé par la recherche initialement envisagée exigeait un recentrage des travaux. D’un point de vue organisationnel, le séminaire fut l’occasion de prendre conscience de la nécessité de travailler au-delà des groupes et de nouer des liens entre chercheurs en fonction des champs investis.

Le rapport intermédiaire produit en juillet 2015 a pu rendre compte de l’état de la recherche, moins d’un an après son commencement. Parallèlement, il a permis de décider collectivement de recentrer les travaux autour des obstacles à la lutte contre les discriminations. C’est dans cette perspective qu’une journée d’études a été organisée, puis s’est tenue le 7 décembre 2015, sur « les freins à l’effectivité de la lutte contre les discriminations ». Nous nous sommes concentrés sur les freins conceptuels, normatifs, procéduraux et juridictionnels, conformément à la méthodologie initiée au cours de cette recherche.

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Treize communications ont été prononcées ce jour et ont fait l’objet d’une publication dans la

Revue des droits de l’homme (http://revdh.revues.org/ : n°9). Surtout, la préparation comme la tenue de cette journée d’études nourrie des nombreux échanges auxquels elle a donné lieu grâce à la présence de certains des acteurs ayant participé au séminaire inaugural, ont permis à l’équipe de l’UPOND de penser et de vérifier la pertinence de l’orientation décidée autour des obstacles à la reconnaissance juridique des discriminations. Le plan finalement retenu pour le présent rapport final en est le résultat.

En ce début d’année 2016, les chercheurs ont alors travaillé de façon plus individuelle sur leurs thématiques propres au regard de la problématique générale dessinée. En vue de permettre la conception puis la rédaction du rapport final et d’assurer la coordination des travaux, deux modalités organisationnelles ont coexisté. D’une part, la poursuite des réunions du groupe de

pilotage garantissant un lien avec l’ensemble des chercheurs par l’intermédiaire des

coordinateurs. D’autre part, la mise en place d’entretiens permettant aux responsables du projet et au post-doctorant d’échanger avec chacun des chercheurs associés. L’objet de ces entretiens fut à la fois de confronter le plan du rapport final aux connaissances et analyses développées par les chercheurs grâce à leur terrain d’étude et de penser ensemble l’orientation de leur propre analyse.

Durant la recherche, un certain nombre d’entretiens avec des acteurs de la lutte contre les discriminations a été mené afin de donner une meilleure visibilité aux dispositifs et acteurs existants et de tenter de mieux cerner l’efficacité de leur collaboration, à partir de leur pratique et de leur point de vue1. Parmi ces derniers, l’on trouve quatre juristes travaillant au sein du

Défenseur des droits, deux magistrats responsables d’un pôle anti-discrimination, un préfet pour l’égalité des chances, une personne du secteur associatif. Les entretiens semi-directifs reposaient sur une série de questions portant sur le parcours professionnel de l’acteur, sa pratique, ses stratégies d’action, les collaborations interne et externe éventuellement développées et son opinion sur l’effectivité de la lutte contre les discriminations2.

1 Voir la fiche récapitulative des personnes interrogées, infra.

2 Pour un développement plus approfondi sur la méthodologie suivie pour les entretiens, v. Isabelle Carles, « Le

Défenseur des droits et les acteurs juridictionnels de la lutte contre les discriminations : quelle complémentarité possible ? », infra. V. également en annexe la grille d’entretien qui a été adapatée en fonction de l’interlocuteur interrogé, p. 456.

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Avant de présenter le plan du présent rapport, il n’est pas inutile de rappeler que bien qu’ils aient été réalisés dans le cadre de quatre grandes thématiques, nos travaux se sont articulés à partir de cinq hypothèses.

II – Hypothèses initiales

La première hypothèse avancée a été que le foisonnement des normes relatives à la lutte contre

les discriminations, tant substantielles qu’institutionnelles, bien qu’étant apparemment porteur de diversification et de raffinement de la réaction juridique face aux discriminations, serait également un facteur de dispersion, de manque de lisibilité, et finalement d’affaiblissement du message comme de l’action publique menée en la matière. Cette piste a été fructueuse et des contributions tout à fait substantielles ont été apportées sur ce thème. Nous reviendrons sur cet aspect, pour l’essentiel, dans le cadre synthétique du rapport final. Quelques précisions seront tout de même apportées ci-dessous afin de dessiner le cadre législatif de la lutte contre les discriminations.

Comme le montrent Marc Pichard et Céline Fercot, la dispersion est à vrai dire une évidence pour qui ausculte le corpus juridique français. Pour simplement l’illustrer, on relèvera que l’expression « la lutte contre les discriminations » apparaît dans l’intitulé non pas d’un mais de quatre grands textes législatifs. Elle figure également dans le corps de certains textes législatifs. La « lutte contre les discriminations » se présente alors comme un objectif de politique publique, et se retrouve aux côtés d’autres objectifs tels que « la promotion des diversités », « l’égalité entre les femmes et les hommes », « la scolarisation des élèves en situation de handicap ainsi que des formations à la prévention et à la résolution non violente des conflits », « la promotion de l’égalité », ou plus spécifiquement « l’égalité professionnelle ». Il n’est sans doute pas illégitime de voir la lutte contre les discriminations figurer parmi d’autres priorités d’égale importance. Toutefois, l’accumulation, dans un même texte, de nombreux grands objectifs de politique publique laisse parfois l’impression d’incantations aussi ambitieuses que vaines en termes d’effectivité : n’en est-il pas ainsi de la nouvelle version de la clause générale de compétences des communes, départements et régions, qui « règlent par leurs délibérations

les affaires de leur compétence » et « concourent avec l’État à l’administration et à l’aménagement du territoire, au développement économique, social, sanitaire, culturel et

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scientifique, à la lutte contre les discriminations, à la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi qu’à la protection de l’environnement, à la lutte contre l’effet de serre par la maîtrise et l’utilisation rationnelle de l’énergie, et à l’amélioration du cadre de vie »1 ?

Au-delà de cette interrogation, Serge Slama, dans sa contribution jointe, démontre également l’existence d’une profusion contre-productive de textes anti-discriminatoires, fruit d’une stratification de textes sans grande lisibilité et d’une inutile complexité, appelant à une remise à plat du droit de la non-discrimination en droit français.

La dispersion et le défaut de lisibilité sont encore plus nets lorsque le regard se porte sur les normes internationales et européennes, dont l’influence sur le droit interne est connue (travaux de Sophie Grosbon, Tatiana Gründler, Rachel Lucas, Marianne Lamour, Ismael

Omarjee, et Marjolaine Roccati). Sur le plan international, le thème de la lutte contre les

discriminations est en effet très présent dans de nombreuses et importantes conventions, dont les deux Pactes onusiens sur les droits de l’homme de 1966, la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979), et la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2008). Ces textes, complétés ou précisés par d’autres dont certains relèvent de la « soft law », non seulement définissent la discrimination dont ils visent l’élimination, mais encore fixent, au moins dans les grandes lignes, les politiques que les États parties devraient mettre en œuvre pour parvenir aux fins qu’ils fixent. En soi, l’accumulation de textes internationaux n’est pas dommageable. Ce qui peut l’être en revanche est la philosophie sous-jacente à ces textes, du moins tels qu’ils sont compris et interprétés par les comités internationaux en charge de leur suivi. Celle-ci découle d’une vision de ce que devrait être le positionnement de l’État vis-à-vis du corps social, et donc de ce que devraient être les politiques publiques, qui sont en décalage avec la tradition héritée de la Révolution française2. Un contraste apparaît en effet entre, d’un côté, l’affirmation classique du principe d’égalité ou de non-discrimination « formelle », qui exige de la loi qu’elle soit neutre et ne distingue pas entre les individus -ce qui correspond à l’approche française traditionnelle- et, de l’autre, la

1 Article L.1111-2 du Code général des collectivités territoriales.

2 V. Véronique Champeil-Desplats, « Le droit de la lutte contre les discriminations face aux cadres conceptuels de

l'ordre juridique français », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 9 | 2016, Dossier thématique : Les freins à la lutte contre les discriminations, issu de la journée d’études du 7 décembre 2015 organisée dans le cadre du projet La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son effectivité, financée par le GIP Justice, https://revdh.revues.org/2049.

(17)

revendication relative à l’égalité ou la non-discrimination « réelle » qui veut au contraire que la loi garantisse les droits de chaque personne en prenant en compte ce qui la distingue des autres. On retrouve ici la différence entre l’égalité des droits et l’égalité en droits bien mise en lumière par l’évolution des conventions adoptées dans le cadre du Conseil de l’Europe. Cette distinction se traduit, grosso modo, par l’existence d’un « pendant » la guerre froide, marqué par la prédominance de la philosophie de l’égalité formelle, et un « après » la guerre froide, c’est-à-dire la période actuelle, au cours de laquelle se répand une philosophie de l’égalité « réelle ». Cette dernière est désormais dominante sur la scène internationale, reprise par tous les Comités en charge du suivi des conventions, y compris le Comité européen des droits sociaux. On voit alors que l’égalité formelle, fondée sur la prise en compte de l’individu abstrait, à laquelle est attachée la République française, s’avère insuffisante aux yeux des Comités qui s’intéressent au contraire à des individus situés avec des besoins propres et, au-delà, à la promotion de la diversité. À un certain point, la neutralité de principe de l’approche française entre en contradiction avec le droit international qui promeut, non seulement l’égalité substantielle, mais encore une égalité « transformatrice » qui exige de l’État qu’il engage des politiques sociales ciblées et qu’il travaille à changer les mentalités. La France évolue lentement sur ce terrain et, dans l’intervalle, des distorsions se font jour, rendant parfois la lutte contre les discriminations juridiquement incertaine.

Au niveau européen l’approche est davantage pragmatique et technique ; elle est bien moins orientée vers la formulation de ce que devraient être les politiques sociales et sociétales des États membres. Au travers de ses directives comme de sa jurisprudence, l’Union européenne a en effet développé une approche techniquement complexe, mais juridiquement opérationnelle, en introduisant notamment les concepts de discrimination indirecte, de discrimination par association, par interposition, le harcèlement discriminatoire, tout en explicitant les motifs admissibles de dérogation à l’exigence de non-discrimination.

La deuxième hypothèse initialement posée était que bien que (trop) foisonnant, le corpus

juridique français pourrait paradoxalement demeurer incomplet, tant s’agissant des critères de la discrimination qu’il convient de combattre (précarité sociale), que des types de discrimination (multiples, systémiques, intersectionnelles, matérielles, par association), ou encore de l’idée, admise au niveau européen et international, qu’il est indispensable de traiter différemment les personnes se trouvant dans des situations différentes. Cette piste nous est

(18)

apparue fructueuse et la synthèse de nos réflexions à cet égard est présentée dans le rapport final (I/A).

La troisième hypothèse, formulée à l’origine de cette recherche, était que les blocages du droit

français de lutte contre les discriminations pouvaient être liés à des spécificités procédurales tant civiles qu’administratives. On se proposait d’étudier les normes relatives aux parties au procès, aux voies de recours, au régime de preuve. Là encore, nos travaux sur ce thème, abordés à travers de nombreuses études, ont confirmé certaines de nos hypothèses, à savoir comme le développe ce rapport final, que les nombreuses initiatives traduisent une véritable préoccupation des pouvoirs publics pour la lutte contre les discriminations en n’atteignant cependant pas toujours leur objectif du fait de certaines imperfections ou insuffisances des outils imaginés par le législateur (I/B).

La quatrième hypothèse de travail partait du constat que la mise en oeuvre de la lutte contre

les discriminations repose sur une multiplicité d’acteurs pas toujours suffisamment coordonnés, facteur nuisible à l’optimisation de l’effectivité des politiques publiques. Des études ont été réalisées à partir de cette hypothèse, notamment à propos de la complémentarité entre le Défenseur des droits et les acteurs judiciaires de la lutte contre les discriminations. La substance de cette étude comme ses conclusions ne sont pas reprises dans la présente synthèse mais on en prendra connaissance à la lecture de la contribution de Mme Isabelle Carles en annexe.

La cinquième hypothèse était que les manières de penser et les méthodes utilisées par les juges

administratifs et judiciaires dans le cadre de la lutte contre les discriminations, pour constater un acte discriminatoire ou pour admettre une justification, pouvaient varier et être finalement facteur d’ineffectivité. Cette recherche a été extrêmement fructueuse. Elle alimente la seconde partie du présent rapport quant aux nombreux obstacles à l’effectivité de la lutte contre les discriminations devant le juge.

III – Plan du rapport final

Notre rapport final ne saurait être une synthèse de l’ensemble des travaux réalisés, encore qu’il s’appuie naturellement très largement sur eux. Mais plutôt que de rendre compte de l’ensemble de ces travaux, en maintenant la structure de départ de notre recherche, ce qui aurait donné un résultat somme toute descriptif et porteur de trop de conclusions pour que le lecteur puisse

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conserver de sa lecture quelques idées claires, nous avons choisi de concentrer ce rapport sur une approche spécifique du problème de « La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son effectivité ».

Nous nous sommes ainsi restreints d’abord aux seuls mécanismes expressément dédiés à la lutte contre les discriminations, sans nous attacher aux mécanismes et normes qui, sans le dire, participe de cette lutte. À vrai dire, prendre en considération tout ce qui, dans le droit français, participe du droit des discriminations, nous conduirait bien trop loin. Le choix a donc été fait de se borner à ce qui, dans notre droit, est, et se dit être, lutte contre les discriminations. Dans ce cadre, nous avons ensuite restreint notre rapport final aux mécanismes de reconnaissance juridique des discriminations, sans nous attacher aux remèdes, comme les CV anonymes ou les discriminations positives, qui peuvent y être apportés.

Partant, ce rapport final traite des obstacles à la reconnaissance juridique des discriminations. En pointant ces obstacles, nous mettons en lumière certains des principaux freins à l’effectivité de la lutte contre les discriminations. En effet, même si le mot « effectivité » ne figure pas dans le titre du rapport final, nous y abordons bel et bien la question de l’effectivité de la lutte contre les discriminations.

L’effectivité, faut-il le rappeler, se conçoit, pour un juriste, de différentes manières, mais elle est d’abord et avant tout l’expression d’une mesure. Elle dit en effet l’écart entre l’énoncé juridique et les comportements sur lesquels l’énoncé a vocation à peser. Autant dire qu’une norme, un mécanisme, une « lutte », n’est pas totalement effective ou ineffective : elle est, en principe, effective dans une certaine mesure qui peut être faible ou forte. Il faut aussi souligner que la mesure de l’effectivité du droit est une tâche particulièrement ardue. Aussi savant qu’il puisse être, et il l’est parfois assez peu, le législateur n’énonce pas toujours la règle juridique avec clarté, laissant alors une marge d’incertitude, et donc d’interprétation, qui rend évidemment compliquée la mesure de son « effectivité » puisqu’on ne sait pas d’emblée ce que l’énoncé prescrit. En outre, le droit étant foisonnant et stratifié, il n’est pas rare qu’un énoncé entre en tension avec un autre, ou encore que des principes s’entrechoquent, rendant la mesure de leur effectivité encore plus délicate.

Pour autant, c’est bien autour de l’idée d’effectivité, entendue ici concrètement comme étant la mesure de l’écart entre l’idéal de non-discrimination et l’arsenal juridique permettant de lutter contre les discriminations, que le plan du rapport final a été bâti.

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La première partie s’attache à la mesure de l’écart entre l’horizon des possibles en matière de lutte juridique contre les discriminations et les ressources juridiques disponibles. Elle porte sur « Les insuffisances du dispositif juridique » (I), et développe d’abord la réflexion autour « Des manques pour penser les discriminations » (A), ensuite en soulignant « Des manques pour établir les discriminations » (B).

La seconde partie mesure pour sa part les écarts entre les énoncés normatifs et les comportements des juges dont on attend qu’ils appliquent ces énoncés. Elle évoque ainsi « Les obstacles à la mise en œuvre juridictionnelle » (II). Elle pointe d’abord « Des obstacles exogènes » (A), c’est-à-dire ce qui, dans le droit français qui ne traite pas de la non-discrimination, fait obstacle ou résiste à la lutte contre les discriminations, ensuite « Des obstacles endogènes » (B), expliquant en quoi le droit de la non-discrimination est, en lui-même, difficilement mis en œuvre par les juges.

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I. Les insuffisances du dispositif juridique

En partie sous l’influence de l’Union européenne, la France s’est dotée d’un arsenal normatif anti-discriminatoire étendu. Le Code pénal compte à l’heure actuelle vingt motifs prohibés et tous les champs d’activité sont concernés. Ce droit des discriminations s’est construit par strates successives, répondant aux priorités fluctuantes de l’agenda politique et, corrélativement, recouvre une profusion de textes, débordant largement le seul cadre de la transposition des directives européennes. Par-delà l’incohérence de ce dispositif, caractérisé notamment par des protections à géométrie variable selon les motifs considérés, sa capacité à lutter effectivement contre les discriminations soulève des interrogations. D’abord, le droit français, à l’instar du droit de l’Union européenne a opté pour une approche catégorielle des discriminations en déterminant a priori des catégories de personnes, des caractéristiques individuelles, à protéger. Ce type d’approche hérité d’une intégration progressive des motifs prohibés fait l’impasse sur des situations discriminatoires plus complexes. Plus généralement, l’élaboration de ce droit par strates successives soulève des questions sur la cohérence et les priorités qui ont présidé aux choix du législateur (A). Par ailleurs, la garantie effective des dispositions anti-discriminatoires a présidé à l’élaboration de mécanismes procéduraux inédits, mais toutefois incomplets (B).

A. Les manques pour penser les discriminations

Par définition, une approche catégorielle des discriminations identifie des caractéristiques a

priori et exclut la prise en compte d’autres motifs susceptibles de fonder une discrimination.

Plus largement, le droit français n’a pas repris des concepts forgés dans le giron du droit nord-américain des discriminations utiles à l’appréhension de phénomènes discriminatoires complexes. L’ensemble de ces omissions volontaires ou involontaires constitue en quelque sorte les « angles-morts » du droit des discriminations (1). L’intégration progressive des motifs prohibés, au sein de textes différents, a engendré des incohérences, des contradictions, lesquelles laissent entrevoir une hiérarchie des motifs qui n’est pourtant pas pleinement assumée comme telle (2).

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1. Les angles-morts du droit des discriminations

« Si l’on peut se féliciter de l’intérêt porté par le législateur à la lutte contre les discriminations, on peut toutefois regretter que ce droit de la discrimination se soit constitué de façon empirique, par strates successives, sans aucune vision d’ensemble »1. Il résulte de cette manière de traiter de la question juridique des discriminations, au gré de l’air du temps et des autres sujets de l’agenda politique, un certain nombre de manques pour offrir une réponse juridique effective aux discriminations. Ceux-ci sont palpables tant sur un plan pratique que sur un plan conceptuel. En effet que ce soit au sujet des motifs illégitimes (a) ou des notions destinées à exprimer les différentes formes que peuvent revêtir les discriminations (b), des outils font défaut dans le dispositif français.

a. Des motifs manquants

Comme l’a très tôt mis en évidence Danièle Lochak, trois éléments constituent « la structure

invariante de la notion de discrimination : le premier élément, ce sont les personnes ou les groupes qui font l’objet d’une différence de traitement ou encore le critère de la distinction opérée ; le second, c’est le domaine dans lequel cette différence de traitement intervient ; le troisième, c’est la justification de cette différence, son adéquation ou sa non-adéquation au but poursuivi »2. C’est effectivement sur ce triptyque que s’est élaboré le modèle juridique de lutte contre les discriminations au plan interne. À cet égard, la construction du Code pénal est révélatrice. Son article 225-1 énonce les critères susceptibles de rendre illégitime donc illicite une distinction, alors que l’article 225-2 identifie les domaines dans lesquels une telle distinction est effectivement illégale dès lors, précise l’article 225-3, qu’aucune justification prédéfinie ne permet de lui donner un satisfecit3. La discrimination4 résulte donc de la rencontre, du croisement, entre des critères ou motifs illégitimes, d’un côté, et des domaines,

1 Sénat, La lutte contre les discriminations : de l’incantation à l’action, Rapport d’information n°94 (2014-2015), de

Mme E. Benbassa et M. J.-R. Lecerf, fait au nom de la commission des lois, p. 16.

2 D. Lochak, « Réflexions dur la notion de discrimination », Droit social, 1987, n°11, p. 779.

3 Pour une analyse de ces dispositions pénales, v. R. Médard, « L’intelligibilité par l’harmonisation des définitions de

la discrimination en droit interne », in ce rapport. L’auteur y montre que deux niveaux de discrimination sont visés par le Code pénal, d’une part, les discriminations licites et, d’autre part, les discriminations illicites, ces dernières ressortant de l’article 225-2 en ce qu’il définit les champs dans lesquels la prise en compte des critères définis à l’article précédent pour fonder une distinction rend celle-ci discriminatoire et illicite.

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des champs d’application de l’autre1. Le maillage ainsi dessiné risque de laisser en dehors du filet juridique des situations pourtant problématiques du point de vue de l’objectif d’égalité. De tels manques, inhérents à l’approche retenue par le législateur français, peuvent dès lors provenir tant de l’incomplétude des motifs que de celle des domaines. Mais il semble qu’avec la variété des codes et des lois qui abordent (de façon principale ou simplement accessoire) la question des discriminations et qui en étend objectivement le champ, c’est bien l’incomplétude des motifs qui s’avère problématique du point de vue de l’effectivité.

Pourtant, certains ont bien conscience du caractère infini et donc inaccessible de la tâche d’énumération. Ainsi la Commission ontarienne des droits de la personne en 2001 a pu rappeler une jurisprudence canadienne affirmant : « Nous ne réglerons jamais complètement le problème

de la discrimination […] si nous continuons d’insister sur des catégories abstraites et des généralisations plutôt que sur des effets précis. En considérant les motifs de la distinction plutôt que son impact […], notre analyse risque d’être éloignée et déconnectée des véritables expériences que vivent les gens ordinaires […] »2.

Des angles morts sont donc inhérents à ce modèle de définition des discriminations qu’emprunte le législateur français parce qu’en faisant le choix d’une liste fermée de motifs – à la différence de nombre d’instruments juridiques de protection contre les discriminations qui optent, eux, pour une liste ouverte permettant aux interprètes authentiques d’adapter cette liste aux réalités sociales, autrement dit de la faire vivre3 –, il donne une portée considérable à chaque élément de la liste.

S’ensuit une forme de course contre la montre du législateur qui, mu par une véritable volonté de lutter contre les discriminations, doit chercher à répondre, mais a posteriori, après sa mise en évidence par des victimes, des associations ou des institutions (au premier rang desquelles le Défenseur des droits), à un sujet nouveau de discrimination en ajoutant à la liste fermée un autre critère. L’effort pour toujours mieux désigner, pour qualifier plus précisément les faits

1 Les notions de critères et de motifs sont équivalentes.

2 Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, p. 551-552 cité par la Commission ontarienne des droits de la personne (2001),

« Approche intersectionnelle de la discrimination pour traiter les plaintes relatives aux droits de la personne fondées sur des motifs multiples », Document de travail, p. 2 (http://www.ohrc.on.ca). Voir sur ce point H. Kombila, « La multiplicité des critères illicites de discrimination », Colloque ARDIS, Octobre 2015.

3 V. pour le droit interne C. Fercot et M. Pichard in ce rapport. V. aussi des textes de droit international qui affirment le

caractère ouvert de la liste de critères prohibés de distinction avec l’emploi de l’expression « toute autre situation » (article 2 du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels) à la suite des critères explicités, ou de l’adverbe « notamment » au préalable ou encore, de façon quelque peu surabondante, des deux (article 2 du Pacte international des droits civils et politiques de 1966, article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, article E de la Charte sociale européenne de 1996 (V. T. Gründler, « Quelle effectivité de la lutte contre les discriminations ? Les enseignements du système de la Charte sociale européenne », in ce rapport).

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afin de resserrer les mailles du filet juridique, a pour effet, de façon a priori paradoxale, de créer des vides qui, en même temps qu’ils sont plus ténus deviennent plus insurmontables. Face à la compétence législative, l’interprétation des acteurs juridiques, au premier chef les juges, ne permet pas de les combler. En conséquence les motifs manquent tout à la fois du fait d’un trop peu (i) et d’un trop plein (ii) de qualification.

i. Des absences : des innomés

Le dispositif juridique interne de lutte contre les discriminations s’est construit par strates législatives successives. Entre la loi Pleven de 19721, première loi à se référer à la notion de discrimination, et aujourd’hui, on est passé des seuls et classiques motifs de l’origine, de l’appartenance ethnique, de la nation, de la race et de la religion à 25 critères2 saisis par le droit3. Par une telle profusion, le droit français se distingue du droit de l’Union qui, tout en retenant le même cadre anti-discriminatoire (constitué des motifs et des domaines), établit une liste de motifs bien moins prolixe avec seulement huit critères explicitement visés par le droit dérivé4. Cet enrichissement du droit se fait au coup par coup, au gré de l’agenda législatif et d’une prise en compte de plus en plus fréquente de cette question par le législateur.

L’examen des différentes strates révèle que la liste des motifs discriminatoires s’enrichit de façon désordonnée, en fonction, d’un côté, des changements de perception du fait discriminatoire qui dépendent eux-mêmes de l’acceptation sociale des différences et, d’un autre

1 Loi n°72-546 du 1 juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme.

2 Dans les quatre textes constituant le cadre général du droit de la non-discrimination, à savoir, les articles 6 et 6bis de

la loi du 13 juillet 1983 portant statut de la fonction publique, l’article L.1132-1 du Code du travail ; l’article 225-1 du Code pénal et l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 précitée. Du moins ce chiffre devrait être modifié à l’issue de

l’adoption du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle qui, dans son article 44, modifie la loi de 2008

et les motifs qu’elle vise.

3 Loi n°75-625 du 11 juillet 1975 intégrant les motifs du sexe et de la situation de famille, loi n° 85-772 du 25 juillet

1985 intégrant le motif des mœurs, loi n°89-18 du 13 janvier 1989 intégrant celui du handicap (limité au départ au refus de vente ou de prestation de service puis étendu par la loi n°90-602 du 12 juillet 1990), loi n°2002-303 du 4 mars 2002 intégrant les caractéristiques génétiques, loi n°2006-340 du 23 mars 2006 intégrant l’état de grossesse, loi n°2014-173 du 23 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine intégrant dans la liste le lieu de résidence, loi n°2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement intégrant la perte d’autonomie (à l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 mais pas dans le Code pénal).

4 En plus de la discrimination fondée sur la nationalité, le droit de l’Union interdit plusieurs autres types de

discriminations mais seulement dans des contextes spécifiques et limités par le droit dérivé. En matière sociale, les huit critères illicites les plus importants correspondent à la discrimination fondée sur le sexe, interdite en vertu de l’article 157§1 et 2, du TFUE et de diverses directives, la discrimination fondée sur l’origine raciale ou ethnique, la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge et l’orientation sexuelle. On relèvera toutefois que la Charte des droits fondamentaux énonce une liste ouverte, mentionnant « notamment » le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

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coté de l’agenda législatif. Cette liste n’est donc pas établie à la suite d’une réflexion d’ensemble menée par les pouvoirs publics1 sur les discriminations. Les résultats ne sont alors pas toujours très heureux en termes de cohérence juridique. Ils relèvent plutôt d’une forme d’accoutumance du législateur à la problématique des discriminations. Les parlementaires saisissent les occasions qui leur sont données pour penser un problème en termes de discriminations et y intégrer, s’ils le jugent nécessaire, un nouveau motif. Cet enrichissement progressif résulte d’une sophistication de la perception des phénomènes discriminatoires, liée à des transformations sociétales. L’évolution scientifique explique par exemple l’intégration du motif des caractéristiques génétiques lors de l’adoption de la loi dite Kouchner sur les droits des malades en 2002, tandis que celle de l’orientation sexuelle, l’année précédente, résulte d’une reconnaissance d’une libération des mœurs et des formes de conjugalité déjà réceptionnées par le droit avec l’instauration du PACS en 1999. Plus récemment, en 2012, la prise en compte progressive des personnes transsexuelles a conduit à ajouter le critère de l’identité sexuelle qui ne se confond pas, aux yeux du législateur, avec le motif classique du sexe.

L’ajout de ce motif par la loi de 20122 relative au harcèlement sexuel nous semble un cas d’école, en ce qu’il permet de mettre en exergue certaines caractéristiques, difficultés et imperfections de ce mode d’appréhension juridique des discriminations. Tout commence par la prise de conscience de quelques parlementaires de l’existence de discriminations spécifiques relayées par des victimes, plus souvent, par des associations3. Bien que, dans la présente hypothèse, des juges aient pu se saisir d’un autre critère, celui de l’orientation sexuelle, apprécié souplement, pour y inclure ce motif de traitement différent4, des parlementaires suivis par le Gouvernement choisissent la voie de l’explicitation textuelle5. Au-delà des louables intentions, apparaissent alors les difficultés de nommer les situations. En admettant, pour certains avec

1 Cette tendance générale n’est pas exclusive comme l’atteste la loi n°2001-1066 du 16 novembre 2001 qui est à

l’origine de l’intégration de plusieurs motifs (âge, patronyme, apparence physique et orientation sexuelle) et qui portait de façon générale sur la lutte contre les discriminations.

2 Loi n°2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel (article 4).

3 « Il nous a été indiqué que près de la moitié des personnes transgenres ou transsexuelles sont victimes de harcèlement

sexuel durant leur transition » (E. Benbassa, Commission des lois du Sénat, le 11 juillet 2012).

4 Cour d’appel de Douai, 3 décembre 2009 : à la suite d’une agression commise sur une personne transsexuelle, la cour

a prononcé une condamnation pour des violences commises en raison de « l’orientation sexuelle » de la victime.

5 Plusieurs amendements en ce sens avaient été déposés (amendements 14 rect bis, 40 rect et 48 rect bis), repris par le

sous-amendement n°67 à l’amendement n°14 du Gouvernement. Non sans débat cependant comme le montrent les propos de J.-P. Sueur : « En tout état de cause, je dirai en séance que la notion de "transgenre" est bien incluse dans la notion d’orientation sexuelle mentionnée dans le texte » (Commission des lois, 11 juillet 2012).

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difficulté1, l’évidence selon laquelle l’identité sexuelle ne se confond pas avec l’orientation sexuelle, il restait à déterminer si le nouveau critère incluait l’identité de genre. Un amendement visant à ajouter cet autre critère fut rejeté, cependant que la Garde des Sceaux s’engageait à préciser par voie de circulaire l’inclusion des personnes transgenres dans la protection offerte par le critère de l’identité sexuelle2.

Malgré cette tentative constante de pallier les manques, ceux-ci perdurent, le tonneau des Danaïdes se dessinant en arrière-plan de la tâche du législateur.

Le constat vaut, en premier lieu, au niveau européen. Le droit de l’Union européenne n’appréhende pas, par exemple, le critère de la santé. Cette absence textuelle qui, de prime abord, peut surprendre s’explique sans doute par le fait que de nombreuses directives traitent de la santé au travail3. Dans ce cadre, la question des discriminations n’est pas totalement ignorée. À titre d’exemple, la directive concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des femmes en situation de maternité interdit le licenciement des femmes enceintes fondé sur leur état, ce qui équivaut d’une certaine manière à une interdiction fondée sur la santé des travailleuses. En revanche, la Cour de justice a refusé de combler ce manque. Elle rappelle dans l’arrêt Chacon Navas de 2006 qu’avec la notion de handicap utilisée à l’article 1er de la directive 200/78, « le législateur a délibérément choisi un terme qui diffère de celui de maladie » excluant « une assimilation pure et simple des deux notions »4. La Cour a insisté, à cette occasion, sur l’impossibilité d’étendre le champ d’application de la directive par analogie. Elle souligne ainsi le caractère exhaustif de la liste figurant en son article premier5.

1 La sénatrice M. Meunier, auteure de l’un des amendements en faveur du motif d’identité sexuelle, ne semble pas

totalement distinguer identité et sexualité : « il est nécessaire (…) de compléter la loi sur les discriminations et de modifier l’article 225-1 du Code pénal en ajoutant aux discriminations la notion d’identité sexuelle. En effet, notre société est fortement normée en matière de sexualité. Le modèle dominant reste celui du couple hétérosexuel. Toute personne qui, de manière évidente, s’en éloigne s’expose à la critique, aux railleries… Les personnes transsexuelles ou transgenres nous ont fait part de la fréquence importante des harcèlements » (Sénat, séance du 11 juillet 2012).

2 La Ministre de la justice a effectivement adressé aux parquets une circulaire précisant que les « personnes

transsexuelles et transgenres sont bien concernées par l’identité sexuelle », mais sans atteindre l’objectif initial de clarification au regard du titre du texte ministériel consacré, d’après son titre, aux « Discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre ».

3 Directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir

l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail ; Directive 92/85/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail.

4 CJCE, 11 juillet 2006, Sonia Chacon Navas, C-13/05, point 44. 5 Ibid., point 56.

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Le constat du manque vaut également, en second lieu, au niveau national. L’une des causes de critique pérenne de l’Hexagone par les Comités onusiens en matière de discrimination est l’absence de reconnaissance juridique des minorités. À l’occasion des rapports remis au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU, la France expose régulièrement sa conception de la lutte contre les discriminations visant les minorités en ces termes : « La

doctrine traditionnelle de la France sur les minorités découle de principes ancrés dans son histoire et fixés par la Constitution. Elle repose sur deux notions fondamentales : l’égalité en droit des citoyens, qui implique la non-discrimination ; l’unité et l’indivisibilité de la Nation, qui portent à la fois sur le territoire et la population. Ces principes ont été réaffirmés dans la Constitution de 1958. Dans la conception française, l’affirmation de l’identité est le résultat d’un choix personnel, non de critères définissant a priori tel ou tel groupe et dont découlerait un régime juridique distinct. Une telle approche protège tout à la fois le droit de chaque individu de se reconnaître une tradition culturelle, historique, religieuse ou philosophique, et celui de la refuser ». L’approche universaliste et individualiste ainsi consacrée freine

évidemment la reconnaissance de droits spécifiques pour tel ou tel groupe, la mise en œuvre d’actions positives pour telle ou telle minorité. Mais, ce faisant, elle entrave la reconnaissance des discriminations de certaines catégories de la population, insusceptibles d’être qualifiées de

« race » ou d’« ethnie ».

Au-delà de l’absence de cette notion de minorité en droit français, qui peut constituer aussi un obstacle probatoire1, on peut remarquer que dans l’identification des motifs de discrimination prohibés, le législateur français fait parfois preuve de moins d’imagination ou d’audace que d’autres. Ainsi le motif des « responsabilités familiales » que mentionne au niveau du Conseil de l’Europe la Charte sociale européenne révisée est inconnu du droit français et ne paraît pas couvert, du moins dans son interprétation actuelle, par celui de « situation familiale »2. Un autre motif plus courant en droit international, européen, mais aussi dans certains droits nationaux3, celui de la précarité sociale, reste étranger à ce jour au droit français. Ce n’est pas le défaut de travaux montrant la réalité de cette cause de distinction entre les personnes qui explique ce vide. En effet, en réaction au constat selon lequel « la précarité conduit à la discrimination, tout

1 V. infra I.B.b

2 T. Gründler, « Quelle effectivité de la lutte contre les discriminations ? Les enseignements du système de la Charte

sociale européenne », in ce rapport.

3 V. droit belge, bolivien, canadien, équatorien ou sud-africain. (Étude de législation comparée du Sénat, n°252, février

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comme la discrimination conduit à la précarité »1, plusieurs initiatives ont convergé pour promouvoir l’insertion du motif de précarité sociale dans la liste des critères illicites. La Commission nationale consultative des droits de l’homme a ainsi rendu en 2013 un avis concluant à la nécessité d’intégrer ce motif2 pour répondre, par exemple, à des refus de location immobilière opposés à des personnes pourtant solvables, mais appartenant à une catégorie socialement défavorisée ou encore à des refus d’inscription à la cantine d’enfants de personnes sans emploi. Au même moment, l’association ATD Quart Monde rendait public un livre blanc faisant des préconisations semblables3. Cette volonté commune s’appuie sur la prise de conscience que la précarité est problématique du point de vue des discriminations, au-delà de la seule situation de dénuement matériel, en raison des stéréotypes qu’elle véhicule : « Ces

préjugés entraînent vers la discrimination lorsqu’ils sont générateurs de présomption d’incapacités ou de comportements non conformes aux normes et jugés susceptibles de troubler l’ordre social et/ou moral »4. En outre, des études soulignent que la crainte de stigmatisation entraîne un renoncement à leurs droits par les personnes en situation de précarité5. S’inspirant du droit international et européen qui connaît6 ce motif sous des dénominations variées de « fortune » ou d’« origine sociale », l’association recommandait donc l’« ajout de la précarité sociale comme motif de discrimination prohibée dans le code pénal, dans le code du travail, et dans la loi de 2008 »7. En 2015, cette proposition est enfin relayée au Sénat par le dépôt d’une proposition de loi. Visant initialement la précarité sociale, elle a ensuite porté sur la

« particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur »8. Cette longue expression, peu parlante et moins maniable, montre une fois encore la difficulté de nommer et de bien nommer. Comme l’explique Ioannis Rodopoulos, il existe

1 I. Rodopoulos, « L’absence de précarité sociale parmi les motifs de discrimination reconnus par le droit français : un

frein normatif à l’effectivité de la lutte contre les discriminations ? », in Journée d’études Les freins à la lutte contre les discriminations organisée dans le cadre de la recherche collective financée par le GIP Justice, La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son effectivité, 7 décembre 2015, Université Paris Ouest Nanterre, La Revue des droits de l’homme, 2016, n°9. V. en ce sens, les Principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme adoptés en septembre 2012 par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU et confirmés par l’Assemblée Générale des Nations Unies en décembre qui présentent la discrimination à la fois comme une cause et une conséquence de la pauvreté.

2 CNCDH, Avis sur les discriminations fondées sur la précarité sociale, assemblée plénière, le 26 septembre 2013. 3 Discrimination et pauvreté. Livre blanc : analyse, testings et recommandations, Octobre 2013. Une étude menée par

ATD Quart Monde France, Institut de recherche et de formation aux relations humaines et ISM Corum.

4 Ibid., p. 14. 5 Ibid., p. 17.

6 Sur les textes internationaux, v. I. Rodopoulos, « L’absence de précarité sociale parmi les motifs de discrimination

reconnus par le droit français : un frein normatif à l’effectivité de la lutte contre les discriminations ? », op. cit. Ce motif est pris en compte de la Déclaration universelle des droits de l’homme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en passant par les Pactes internationaux de 1966.

7 Discrimination et pauvreté. Livre blanc : analyse, testings et recommandations, Octobre 2013. Une étude menée par

ATD Quart Monde France, op. cit., p. 55.

Figure

Tableau n° 2 : représentation des moyennes et extrêmes des indemnisations du préjudice moral  prononcées  en  2015  par  les  principaux  tribunaux  provinciaux  des  droits  de  la  personne  au  Canada

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