• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE II : UN CHAMP D’APPLICATION : LA COOPÉRATION

I. LA COOPÉRATION INTERNATIONALE COMME SYSTÈME

I.2. Un système d'acteurs institutionnels et organisationnels

Après avoir analysé le concept de système et les conditions de modélisation, nous allons, à présent, établir une analogie avec le champ de la coopération internationale au développement. Peut-on en parler en termes de système ? Dans l’affirmative, quelles en seraient les caractéristiques ?

Notre préoccupation, ici, est de montrer comment des acteurs institutionnels et organisationnels font système autour de la problématique du développement. Pour ce faire, nous débuterons par une compréhension de la notion de coopération internationale, en analysant les contextes historiques et socioéconomiques qui ont favorisé sa genèse et son évolution. Cela nous permettra d’explorer, par la suite, les différentes questions autour desquelles se créent les interactions entre les acteurs en présence. Ce travail préalable débouchera, in fine, sur une analyse des caractéristiques et enjeux des principales catégories d’acteurs.

La coopération internationale au développement trouve historiquement son origine au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale avec la mise en place

74 Gilles Herréros, Philippe Bernoux, Gilles Ferréol. 75 Michel Crozier et Erhard Friedberg, op. cit., p. 237.

du plan Marshall76 en 1947 pour la reconstruction de l’Europe et pour

l’accompagnement du processus de décolonisation. Le Plan Marshall a permis de financer, pendant quatre ans, la reconstruction des pays d’Europe et de venir en aide à leur économie. Ce Plan a été étendu aux pays sous- développés à la suite du discours du président Truman, le 20 janvier 1949. Le fameux Point IV de ce discours inaugure, selon Gilbert Rist, « l’ère du

développement »77. Ce point énonce l’intention des États-Unis de mettre les

avantages de l’avance scientifique et du progrès industriel au service de l’amélioration de la croissance des régions sous-développées. Dans le discours de Truman, on peut relever en substance une volonté de rompre avec l’impérialisme et d’initier un vaste programme de développement

« fondé sur les concepts d’une négociation équitable et démocratique » et qui

puisse profiter tant aux pays développés que sous-développés. Il affirme à ce sujet : « Tous les pays, y compris le nôtre, profiteront largement d’un

programme constructif qui permettra de mieux utiliser les ressources humaines et naturelles du monde. L’expérience montre que notre commerce avec les autres pays s’accroît au fur et à mesure de leurs progrès industriels

et économiques. »78

Critiqué comme étant « l’acte inaugural » de la promotion du développement à l’occidentale, le point IV de ce discours fournit néanmoins de la matière pour notre analyse du champ de la coopération internationale. Le président américain invite les autres pays à mettre en commun leurs ressources technologiques pour le développement international. Cela doit constituer, selon lui, « une entreprise collective à laquelle toutes les nations collaborent

à travers les Nations unies et ses institutions »79.

On peut, par ailleurs, relever dans ce discours, une volonté de s’appuyer sur les milieux des affaires et le capital privé au niveau national.

76 Pour plus de détails sur l’histoire du Plan Marshall, le lecteur peut se référer à Gérard Bossuat, L’Europe occidentale à l’heure américaine : 1945-1952, Paris, Éd. Complexe, 1992.

77 Gilbert Rist, Le Développement : histoire d’une croyance occidentale, op. cit., p. 129.

78 Pour plus de détails sur le point IV du discours de Truman (texte traduit et analyses), le lecteur peut

se référer à Gilbert Rist, op. cit., pp.130-145.

76 Tout compte fait, on peut déjà noter, dans le contexte historique post- Seconde Guerre mondiale, la présence des États occidentaux et des institutions des Nations unies comme acteurs de la coopération au développement. Ce tableau va se complexifier à la faveur des faits historiques suivants :

- les décolonisations qui ont renforcé la coopération bilatérale ;

- les conflits armés qui, de leur côté, ont permis l’émergence et renforcement des organisations humanitaires sur la scène internationale ;

- et la crise de l’État-providence autour des années 1980 qui a favorisé la création d’ONG et associations, ainsi que leur implication dans la lutte contre la pauvreté et pour le développement.

En premier lieu, la vague de décolonisations en Afrique durant la période 1956-1964 va ouvrir la voie à une configuration nouvelle de la coopération pour le développement. Celle-ci est caractérisée essentiellement par l’établissement de relations bilatérales entre pays colonisateurs et colonisés d’antan. Ces relations se situent, dans de nombreux cas, dans le prolongement des politiques coloniales. Aussi, l’expression néocolonialisme a-t-elle été souvent utilisée pour qualifier cette nouvelle forme de coopération. Il s’agissait, en fait, de relations bilatérales globales embrassant les domaines économique, budgétaire, culturelle, politique et militaire. Dans le cas de la France par exemple, comme le souligne Jean Copans, « le terme

de coopération connote tout un ensemble qui comporte les projets de développement proprement dits, les politiques d’aide technique et financière,

et enfin des coopérations institutionnelles et humaines »80. Cette politique de

coopération se traduit concrètement par l’allocation d’une Aide publique au

développement (APD)81 gérée par des agences gouvernementales. Il est à

80 Jean Copans, Développement mondial et mutations des sociétés contemporaines, Paris, Armand

Colin, 2006, p. 52.

81 L’Aide publique au développement est définie comme « l’activité par laquelle certains acteurs

extérieurs transfèrent des ressources à des pays en développement. L’APD est une politique publique née au sortir de la Seconde Guerre mondiale : elle est le fait d’États ou de collectivités locales. Elle peut transiter par des institutions multilatérales telles que le FMI et la Banque mondiale, par opposition à l’aide bilatérale. L’APD est comptabilisée selon les normes de l’OCDE : en 2008 elle s’élevait à 119,8

remarquer, toutefois, que les pratiques des pays en matière de coopération au développement se situent généralement dans les lignes définies par la Banque mondiale et le FMI, mais aussi dans les politiques régionales comme celles de l’Union européenne par exemple. En outre, le volume et l’affectation de l’APD sont généralement soumis à la nature des relations entre donateurs et bénéficiaires. Ils dépendent également des enjeux géopolitiques. Aussi a-t-il été souvent souligné que l’accroissement de l’aide publique en Afrique au lendemain des indépendances s’explique essentiellement par l’ambiance de concurrence stratégique créée par la guerre froide entre le bloc communiste et les pays de l’OTAN.

Tout compte fait, au lendemain des indépendances, outre le renforcement de la coopération bilatérale, on peut noter la création d’agences gouvernementales et d’autres services techniques, parties intégrantes du système global de coopération internationale au développement. La nécessaire relation entre les institutions des nations, les organisations régionales et les politiques de coopération des États est également à souligner.

Ensuite, différents conflits armés, notamment sur le continent africain, ont favorisé l’implication de plus en plus accrue des organisations humanitaires sur le terrain de la coopération internationale, contribuant ainsi à complexifier davantage le paysage des acteurs. Pierre Micheletti82 donne, à ce

sujet, l’exemple du mouvement des « Sans frontières » qui est apparu sur le champ humanitaire à cause de la guerre du Biafra au Nigeria, de 1967 à 1970. Cette guerre, qui s’est soldée par trois millions de morts, a favorisé la création de Médecins Sans Frontières mais a également montré le poids d’un acteur clé, à savoir, les médias dont le rôle a été déterminant dans la sensibilisation des opinions. Aussi est-il important d’inclure ces acteurs dans le système que nous cherchons à mettre en exergue.

millions de dollars, soit 0,30% du revenu national des pays donateurs », Cf. Jean-Michel Sévérino et Jean-Michel Debrat, L’Aide au développement, Paris, Le Cavalier Bleu, 2010, p. 5.

78 Enfin, la crise l’État-providence dans les années 1980 et l’aggravation de la pauvreté ont contribué à donner une nouvelle dimension à la coopération internationale au développement. Celle-ci est caractérisée par l’implication de différents types d’acteurs, des ONG locales aux groupements, en passant par les collectivités territoriales, actrices de la coopération décentralisée, et les entreprises privées.

En conclusion, on se retrouve aujourd’hui face à un champ complexe d’acteurs organisationnels et institutionnels dont les caractéristiques divergent autant que les intérêts et motivations. Ces acteurs sont toutefois en interaction permanente, notamment à cause du caractère imbriqué des

questions de développement et des conditions historiques et

socioéconomiques d’émergence et d’évolution de ces acteurs.

De ce point de vue, notre analyse en termes de système est voisine de celle qu’effectue Ulrich Beck lorsqu’il parle de « méta-jeu de la politique

mondiale »83 qu’il schématise à travers les relations qu’entretiennent les

États, les acteurs de l’économie mondiale et les acteurs de la société civile mondiale. Selon l’auteur, avec la mondialisation, il n’est plus possible d’envisager le jeu économique et politique à travers le scenario traditionnel dans lequel « les États nationaux et le système des relations internationales

entre États déterminaient l’espace collectif de l’agir politique ». Ce système

traditionnel aurait ainsi été remplacé par un jeu plus complexe et qui transcende les frontières et les États avec, pour conséquence, « l’apparition

de joueurs supplémentaires, de nouveaux rôles, de nouvelles ressources, de

règles inconnues, de nouvelles contradictions et de nouveaux conflits »84.

Nous illustrons, pour notre part, la configuration de ce système à travers les figures 1 et 2 (pp. 81-82)85.

83 Ulrich Beck, Pouvoir et contre-pouvoir à l’ère de la mondialisation, trad. fr., Paris, Flammarion,

2003 (1re éd. allemande : 2002). 84 Op. cit., p. 29.

85 Le premier schéma illustre l’effet système entretenu par les acteurs engagés dans le champ de la

coopération au développement. Le second s’appuie sur le cas concret de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement (28 février -2 mars) et vise à mettre en exergue ses répercussions systémiques sur les acteurs étatiques et non-étatiques tant du Nord que du Sud.

Les acteurs clés de la coopération internationale y figurent, des institutions des Nations unies aux communautés locales au Sud, en passant par les acteurs étatiques, les représentations internationales dans les pays du Nord et du Sud, les entreprises et autres acteurs transnationaux (migrants et associations transnationales), et surtout les acteurs de la société civile.

Une première remarque concerne l’interaction entre les acteurs. Celle-ci existe tant au sein des acteurs du Nord eux-mêmes qu’entre ceux du Sud. En outre, les sociétés civiles des deux hémisphères entretiennent des relations qui influencent le mode d’action des autres acteurs. Enfin, notons que les institutions des Nations Unies sont aussi parties prenantes dans les actions de développement. Cela a une influence évidente sur l’orientation des politiques étatiques et sur les actions des acteurs privés. Nous analyserons les caractéristiques et principaux enjeux des différentes catégories dans les sections qui vont suivre.