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CHAPITRE II : UN CHAMP D’APPLICATION : LA COOPÉRATION

I. LA COOPÉRATION INTERNATIONALE COMME SYSTÈME

I.1. Le concept de système en sociologie

Le concept de système, tout en étant transdisciplinaire, est quasi omniprésent en sociologie. Rares sont les paradigmes qui n’y font pas référence, explicitement ou implicitement. Ainsi, des travaux de Montesquieu à ceux, plus récents, de Luc Boltanski et Laurent Thévenot sur les conventions, en passant par les œuvres de Karl Marx, Max Weber ou encore Pierre Bourdieu, l’idée de système est présente et constitue la toile de fond de leurs théories. Le système est défini par Ludwig von Bertalanffi comme un « ensemble

d’éléments interdépendants, c’est-à-dire liés entre eux par des relations telles que si l’une est modifiée, les autres le sont aussi et que, par conséquent,

tout l’ensemble est transformé »65. Cette première définition, qualifiée de

« philosophique », est à l’origine de la théorie générale des systèmes, un

ensemble de lois applicables aux systèmes ouverts.

L’idée d’interdépendance entre différents éléments formant un tout se retrouve également chez Condillac pour qui le système est un « ordre où les

différentes parties se soutiennent mutuellement »66. Edgar Morin le

considère comme une « unité globale d’interrelations entre éléments,

constituants, actions ou individus »67.

À travers cette première série de définitions, on peut noter le caractère récurrent de certaines propriétés qui semblent inhérentes à la notion. Ainsi en est-il de l’interaction entre différents éléments formant un ensemble et de la supériorité de celui-ci par rapport à la somme des parties.

La sociologie a recours à la notion de système pour opérationnaliser sa démarche d’analyse du champ social. Ce dernier est alors conçu comme un système global formé par l’interaction des différents acteurs. La définition que Jean-William Lapierre donne du système nous permet d’en avoir une approche plus approfondie. Il le définit comme étant « un ensemble organisé

de processus liés entre eux par un ensemble d’interactions à la fois assez cohérent et assez souple pour le rendre capable d’un certain degré d’autonomie »68.

Le processus désigne, selon lui, une séquence d’actions ou de comportements adoptés par un acteur, celui-ci pouvant être aussi bien un individu qu’un groupe.

En outre, lorsqu’il parle d’ensemble organisé, l’auteur entend les interrelations entre les différents éléments formant un tout. Dans ce sens, le champ social peut être conçu comme un système qui n’a de sens que grâce à

65 Ludwig von Bertalanffy, Théorie générale des systèmes, trad. fr., Paris, Dunod, 1973, p. 53 (1re éd.

angl. : 1968).

66 Cité par Gilles Ferréol, Dictionnaire de sociologie, Paris, Armand Colin, 2004, p. 244, (1re éd. : 1991). 67 Edgar Morin, La Méthode, tome 1, Paris, Seuil, 2008, p. 1481 (1re éd. : 1977).

68 Jean-William Lapierre, L’Analyse des systèmes. L’application aux sciences sociales, Paris, Syros,

72 l’interaction de ses membres, ceux-ci ne pouvant non plus avoir de sens que dans et par ce système. En cela, le tout que représente le système est supérieur à la somme des membres.

Par contre, cette conception holistique ne remet pas en cause l’existence d’une forme d’autonomie des éléments. L’idée d’autonomie des parties est l’un des éléments essentiels de cette définition de Lapierre. Ce dernier postule, en effet, l’existence d’une logique interne à chaque élément d’un système qui le rend autonome par rapport aux autres. Nous trouvons ici une idée très intéressante qui implique l’existence de sous-systèmes autonomes à l’intérieur de chaque système. Selon l’auteur, l’asynchronisme est un critère fondamental de l’autonomie des systèmes. Ainsi, « quand deux systèmes sont

autonomes l’un par rapport à l’autre, il est peu probable que leurs changements arrivent en même temps. Des décalages historiques peuvent se produire entre eux et il en résulte tantôt des situations de blocage, tantôt

des situations de crise pour la société globale »69.

Yves Barel illustre également bien l’idée de l’autonomie lorsqu’il affirme qu’un « système n’est pas fait d’éléments, mais d’autres systèmes »70.

Par ailleurs, au-delà de toutes ces propriétés, il convient de noter le caractère vivant du système, dans la mesure où celui-ci n’est pas statique mais plutôt en mouvement grâce à la dynamique interne qu’entretiennent les différents éléments qui le composent.

La conceptualisation du social en termes de système a surtout été réalisée par l’approche systémique. Celle-ci désigne « toute recherche, théorique ou

empirique, qui, partant du postulat que la réalité sociale présente les caractères d’un système, interprète et explique les phénomènes sociaux par les liens d’interdépendance qui les relient entre eux et qui en forment une totalité »71.

69 Jean-William Lapierre, L’Analyse des systèmes politiques, Paris, PUF, 1973, pp. 30-31. 70 Yves Barel, Le Paradoxe et le système, Presses universitaires de Grenoble, 1979, p. 169.

71 Guy Rocher, Introduction à la sociologie générale. L’organisation sociale, Paris, HMH, 1968,

Il s’agit d’une approche constructiviste de la réalité sociale à partir des relations directes ou indirectes entre différents actants (humains et non humains) autour de cette réalité. Il s’agit donc d’expliquer le contexte social à travers la mise en évidence de la façon dont les différents actants font système. Ainsi, selon Guy Rocher72, toute tentative de modélisation devra

tout d’abord conférer à cette réalité des propriétés d’un système. Cela implique qu’on attribue à la réalité les propriétés suivantes :

- elle est constituée d’éléments ayant entre eux des rapports

d’interdépendance ;

- la totalité formée par l’ensemble des éléments n’est pas réductible à la

somme de ces éléments ;

- les rapports d’interdépendance entre les éléments, et la totalité qui en

résulte, sont régis par des règles qui peuvent s’exprimer en termes logiques. En résumé, les principes d’interaction, de totalité, mais aussi de rétroaction sont les postulats essentiels de cette approche. L’interaction implique qu’on ne peut comprendre un élément sans connaître le contexte dans lequel il interagit. La totalité est basée sur le primat du tout sur les parties. Enfin, la rétroaction implique un type de causalité circulaire, c’est-à-dire qu’un effet (B) va rétroagir sur la cause (A) qui l’a produit.

Pour Edgar Morin73, on peut situer les mérites de l’approche systémique à

trois niveaux :

- tout d’abord le fait d’avoir mis au centre de la théorie, le système en tant qu’unité complexe, un tout qui ne se réduit pas à la somme de ses parties constitutives ;

- ensuite, la conception du système comme étant une notion ambiguë (ni réelle, ni purement formelle) ;

- enfin, le fait de se situer à un niveau transdisciplinaire, qui permet à la fois de concevoir l’unité de la science et la différenciation des disciplines, non

72 Op. cit., p.157.

74 seulement selon la nature matérielle de leur objet, mais aussi, selon les types et les complexités des phénomènes d’association/organisation.

L’analyse du concept en sociologie nous permet de mettre en exergue le ressort systémique de l’approche stratégique. Le système d’action concret, fondamental dans cette théorie, en est la preuve. Certains chercheurs n’hésitent d’ailleurs pas à parler d’analyse stratégique et systémique74.

Michel Crozier et Erhard Friedberg reconnaissent cette proximité lorsqu’ils affirment que « sans raisonnement systémique, l’analyse stratégique ne

dépasse pas l’interprétation phénoménologique. Sans vérification

stratégique, l’analyse systémique reste spéculative et, sans la stimulation du

raisonnement stratégique, elle devient déterministe »75. Pour notre part, en

termes opératoires, nous situons l’analyse systémique comme étant un support fondamental pour l’approche stratégique.