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CHAPITRE III : LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT

I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE

I.1. Repères historiques, géographiques et politiques

Située à la charnière de l’Europe occidentale et de l’Europe centrale, la Suisse couvre une superficie de 41 285 km2 avec une population d’environ 7,7

millions d’habitants et une densité estimée à 186 habitants au km2.

La Suisse a des frontières géographiques avec cinq pays : l’Allemagne au nord, la France à l’ouest, l’Italie au sud, l’Autriche et le Liechtenstein à l’est. Elle est composée de 26 cantons avec, au total, 3 029 communes. Ses plus grandes villes en termes de population (milliers d’habitants) sont Zurich (365,1), Genève (183,3), Bâle (164,9) et Berne, la capitale (122,9).

136 La Suisse offre l’image d’un pays caractérisé particulièrement par la diversité de sa géographie physique et humaine. Elle est décrite par Georges Arès comme étant un paradoxe qui « unit trois cultures, trois langues (et même

quatre, compte tenu d’une petite minorité protégée), deux religions, plus précisément vingt-trois cantons souverains, dont trois se scindent en deux, soit vingt-trois ou mieux vingt-six chromosomes et demi-chromosomes

constitutifs, tenus ensemble par un lien fédéral »144. André Reszler renchérit

en mettant en exergue le multiculturalisme né de la juxtaposition de trois sphères distinctes qui influencent le vivre-ensemble helvétique. Il constate, à ce sujet, que « les cantons romands se tournent vers la France, la Suisse

alémanique appartient à l’aire culturelle de l’Allemagne, alors que le Tessin vit à l’heure italienne »145.

On peut alors s’interroger sur ce qui constitue le ciment permettant à une telle nation de tenir. Le fédéralisme politique est souvent évoqué comme étant une des données fondamentales de l’identité suisse.

Sur le plan international, la Suisse jouit d’une réputation de pays neutre et sans passé colonial. Cette neutralité, dont les origines remontent au XVIe

siècle, est évoquée comme étant l’un des mythes fondateurs de l’identité nationale. Le principe de neutralité impose à la Confédération de ne pas prendre position et de ne pas s’impliquer dans un conflit armé. Aussi fut-elle épargnée par les deux Guerres mondiales qui ont dévasté certains pays en Europe.

Elle est également perçue comme étant le berceau de l’humanitaire, en référence à la Croix-Rouge. Selon André Reszler, celle-ci « est devenue un

facteur important de l’identité suisse et contribue à l’image que la Suisse se fait d’elle-même. C’est l’instrument privilégié d’une mission humanitaire dont elle se sent investie et qui est le contrepoids affectif d’un sentiment d’insularité difficile à supporter »146.

144 Georges Arès, La Suisse, avenir de l’Europe ? Anatomie d’un anti-modèle, Paris, Gallimard, 1997,

p. 8.

145 André Reszler, Mythes et identité de la Suisse, Genève, Georg Éd., 1986, p. 24. 146 Ibid., p. 81.

La renommée de la Suisse, spécifiquement celle de Genève, s’est construite autour de cette image de pays neutre, terre d’accueil et berceau de l’action humanitaire. Cette ville est ainsi devenue une sorte de vitrine pour les acteurs de la coopération internationale. La concentration des ONG et OI en son sein en est une bonne illustration.

Étudiant l’influence du cadre socio-spatial sur la construction du pouvoir des ONG, Ralf Bläser147 se focalise sur le cas de Bruxelles et de Genève. Ces deux

villes contribuent, selon l’auteur, à la construction d’une légitimité constamment recherchée par les organisations sur le plan international. La proximité avec les institutions des Nations unies et les organisations internationales, considérées comme centres de décisions, favorise le développement de relations informelles. Ces dernières facilitent l’accès aux informations et aux financements. Elles renforcent également la capacité des ONG à peser sur certaines décisions. Par ailleurs, sur un plan symbolique, Genève représente, pour les organisations qui y résident, un certain prestige dû à la dimension internationale de la ville. Selon les statistiques148, le secteur

non marchand aurait employé 28 464 personnes en 2008, dans le canton de Genève. Cela représente environ 9,5% du total des emplois (hors secteur primaire). 121 organisations internationales non gouvernementales ont ainsi été recensées par l’Office cantonal de la Statistique (OCSTAT) à Genève. Elles emploient 2 713 personnes.

La neutralité suisse est cependant fortement interrogée aujourd’hui. La principale question concerne son actualité et sa pertinence au moment où les frontières nationales deviennent perméables et où les enjeux internationaux sont plus que jamais en interaction.

Avec son adhésion à l’ONU en 2002, la capacité de la Suisse à maintenir la politique de neutralité a été mise en doute. Pour le Conseil fédéral, l’adhésion à l’ONU ne remet pas en cause cette politique. Dans son Rapport de politique

147 Ralf Bläser, « Les ONG transnationales à Genève et à Bruxelles. Densité institutionnelle et

opportunités socio-spatiales dans des villes mondiales », Annales de Géographie, n° 668, août 2009, pp. 382-396.

148 OCSTAT, « Secteur international non marchand : près de 10% du total des emplois du Canton », Communiqué de presse n°20, Genève, 18 juin 2010.

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étrangère (2007), le Conseil établit une distinction entre droit de la

neutralité et politique de neutralité. Il a notamment souligné que faire partie de l’ONU contribue plutôt au renforcement de cette politique.

Xavier Tschumi Canosa affirme, de son côté, que « l’opinion publique reste

traditionnellement très favorable au maintien de la neutralité suisse et

soutient majoritairement l’engagement de la Suisse à l’ONU »149. On ne

saurait donc renvoyer dos à dos ces deux réalités qui font partie intégrante de la politique extérieure helvétique. Selon l’auteur, les statistiques montrent que la majeure partie de la population (61%) donne un avis favorable à la participation active du pays aux affaires des Nations unies. De même, environ 90% de la population seraient favorables au maintien de cette politique de neutralité.

Certains acteurs politiques ne sont guère de cet avis. L’ASIN (Action pour une Suisse indépendante et neutre) estime qu’avec l’adhésion à l’ONU, la neutralité a été vidée de son essence. Dans son Livre noir de la neutralité, le mouvement estime que « chaque État qui se tient à l’écart rend le monde un

peu plus pacifique ». Aussi revendique-t-il une « neutralité intégrale » qu’il

oppose à la neutralité active.

D’un point de vue plus critique, Catherine Schümperli150 s’interroge sur les

travers et l’instrumentalisation d’une telle option. Elle dénonce, dans son article titré Neutralité et politique de développement, la notion de

« neutralité climatique » à laquelle le SECO (Secrétariat d’État à l’économie)

aurait fait appel pour se soustraire aux restrictions internationales en matière de réduction des émissions de CO2.

I.2.Données socioéconomiques et démographiques

La Suisse a connu une période de croissance économique soutenue entre 1949 et 1974. Celle-ci était estimée à 4,2% du PIB, ce qui lui a permis de se

149 Xavier Tschumi Canosa, « Politique extérieure », Annuaire suisse de politique de développement,

vol. 27, n°1, avril 2008, p. 4.

150 Catherine Schümperli Younossian, « Neutralité et politique de développement », Annuaire suisse de politique de développement, vol. 27, n°1, avril 2008, p. 11.

démarquer des autres pays européens qui se remettaient à peine des effets de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, avec la première crise pétrolière, l’économie a connu une période de récession, avec une baisse du PIB de 6,7% entre 1974 et 1975.

Selon le profil statistique dressé par l’OCDE en 2010, le Produit intérieur brut de la Suisse est de 329,9 milliards de dollars US (environ 226,8 milliards d’euros), avec un PIB par habitant de 42 783 dollars (soit 29 410 euros). Ces indicateurs placent le pays parmi les plus développés de la planète. Son niveau de croissance, tout comme celui de la plupart des pays traditionnellement développés, est largement inférieur à celui des pays émergents. Il est estimé à 1,8% du PIB, avec un déficit public qui s’élèverait à 1,6%.

Sur le plan social, le chômage touche environ 3,5% de la population active. L’espérance de vie à la naissance est, quant à elle, estimée à 82 ans en 2007. Le secteur financier est la première branche économique de la Confédération. Il représente 14% du PIB. À titre d’exemple, « en 2003, les quelque 356

banques helvétiques employaient 104 000 personnes en Suisse »151.

Le vote, le 2 décembre 2003, de l’inscription du secret bancaire dans la constitution de la Suisse est interprété par certains auteurs et organisations de la société civile comme étant en contradiction avec l’engagement voulu par la Confédération en faveur de la lutte contre la pauvreté et pour le développement. Les ONG accusent le pays de favoriser la fraude et l’évasion fiscales à l’échelle du globe, menaçant ainsi « la cohésion sociale et la

démocratie » particulièrement dans les pays pauvres qui « subissent les effets de la fuite des capitaux vers le Nord »152.

Par ailleurs, selon les analystes, l’économie helvétique serait l’une des plus ouvertes au monde. L’absence de ressources naturelles sur le territoire est généralement évoquée comme facteur explicatif. À titre d’exemple, « en

2002, la part suisse aux exportations totales mondiales atteignait 1,3 %

151 Sylvain Besson, Le Secret bancaire. La place financière suisse sous pression, Lausanne, Presses

polytechniques et universitaires romandes, 2004, p. 9.

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pour les marchandises et 1,8 % pour les services, se situant à chaque fois nettement au-dessus de la part du PIB suisse dans la production mondiale

totale (0,8 % environ)»153. Une comparaison internationale situe la part des

exportations de la Suisse à 35,1% de son PIB contre 17,8% pour le reste des pays de l’OCDE. Les importations sont tout aussi importantes, soit une proportion de 33,7% contre 18% pour les mêmes pays.

Ces indicateurs montrent un pays économiquement prospère. Sa richesse viendrait alors de son ouverture à l’Europe, grâce à un espace d’échange naturel, et de ses échanges avec le reste du monde. Le secret bancaire qui lui permet d’accueillir des capitaux étrangers fait également partie des facteurs favorables à son enrichissement. Un dernier facteur, non moins important, est son image de pays au cœur des relations internationales, avec la place fondamentale occupée par Genève qui héberge la majeure partie des organisations internationales. Il ne faut toutefois pas oublier certains débats politico-économiques avec lesquels la Suisse doit désormais composer. Il s’agit, entre autres, de la question de la neutralité, de l’immigration et celle du secret bancaire. Ce contexte socio-économique et politique, par un effet systémique, a une influence certaine sur la politique de coopération au développement et les acteurs qui y sont engagés.