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Un pessimisme annihilateur, une imagination constructive

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La poésie surréaliste traverse la réalité, laquelle est contaminée par l‟absurde1

. Dans la poésie et les démarches de l‟esprit provenant des auteurs surréalistes, l‟absurdité est généralement vécue comme étant insupportable. Cette réalité incompréhensible et inexplicable qui détermine notre vie rappelle ce que Camus énonçait déjà à propos du face à face entre l‟homme et son univers :

« Le désir profond de l‟esprit même dans ses démarches les plus évoluées rejoint le sentiment inconscient de l‟homme devant son univers : il est exigence de familiarité, appétit de clarté. Comprendre le monde pour un homme, c‟est le réduire à l‟humain, le marquer de son sceau2. »

L‟homme peut s‟approprier les concepts de son univers dès lors qu‟il aspire au besoin de les comprendre comme le déclare Camus dans cette citation. Cette interprétation nihiliste3 de l‟existence est un point de départ pour les penseurs surréalistes.

Constatant que l‟homme crée des concepts simplistes afin d‟expliquer le monde, le surréalisme préfère de son côté rendre extraordinaires les choses les plus banales. Pour ce faire, Tristan Tzara (1896-1963) affirme vouloir « saboter » la réalité afin de l‟anéantir, et offrir à sa place des « choses en soi » qui se trouvent à la portée de l‟homme. Lorsque Tzara pense la poésie comme « sabotage » de la réalité, il soutient :

« Toutes les facultés disponibles en vue de saboter la réalité du monde extérieur et ses inacceptables manifestations […], convergent déjà vers le foyer de cet agencement de la transparence des choses et des êtres, la poésie4. »

L‟écriture surréaliste œuvre à la déréalisation5

de l‟univers. Cette déréalisation permet à l‟écriture surréaliste de s‟affirmer en tant qu‟écriture de la négation. Cette négation va même jusqu‟à inciter Maurice Blanchot à compléter dans son livre « L‟écriture

1 Absurde : qui se caractérise par l‟absence de sens préétabli, de finalité donnée, chez les existentialistes. La

conscience de l‟absurde, déjà présente chez Schopenhauer dont elle nourrit le pessimisme, est au cœur de l‟existentialisme français (Camus, Sartre), qui en explore les dimensions étique et esthétique (Le Petit

Larousse Illustré, op.cit.).

2A. Camus : Le Mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard, 2006, p. 35.

3 Nihilisme : doctrine niant qu‟il existe un quelconque absolu, et pouvant amener à dénier tout fondement aux

valeurs morales, tout sens à l‟existence (Le Petit Larousse Illustré, op.cit.).

4 T. Tzara : Grains et issues, Paris, Flammarion, 1981, p. 105.

5 Déréalisation :La déréalisation est une modification majeure du ressenti d‟une personne, qui se traduit par

une impression d‟étrangeté par rapport au monde. On décrit souvent ce ressenti comme l‟impression que tout est irréel, comme dans un rêve (Le Petit Larousse Illustré, op.cit.).

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du désastre » un célèbre aphorisme de Paul Valery assénant que : « Les « optimistes écrivent mal ». Blanchot ajoutera de manière quasi puérile : « Mais les pessimistes n‟écrivent pas »1

, corroborant l‟affirmation que l‟écriture surréaliste n‟est pas une écriture de genre mais de style. L‟écrivain-poète doit donc s‟accorder préalablement à détruire ce qui l‟entoure pour atteindre une harmonie intérieure, tel le chaos précédent la constitution de l‟univers. L‟écriture surréaliste tente de surmonter ce chaos sous l‟égide d‟André Breton qui écrit au sortir de la guerre :

« La sombre Europe, il n‟y a qu‟un instant si lointaine. Sous mes yeux les vastes caillots rouges et rouille se configurent maintenant avec des tâches d‟or excrémentielles parmi des cascades d‟affûts et d‟hélices bleus. Il y a même souillant le tout, de vastes éclaboussures d‟encre comme pour attester qu‟une certaine sorte d‟écriture apparemment très pratiquée, n‟est rien moins qu‟un venin mortel, qu‟un virus qui attise tout le mal2… »

Cette impression de retrait née du chaos de la pensée ou du pessimisme est également retranscrite dans l‟écriture surréaliste : « Le surréalisme, c‟est l‟écriture niée3

. » Nul autre auteur que Maurice Blanchot, contemporain du surréalisme, n‟a réussi à mieux souligner l‟action de mise en retrait que procure l‟écriture en elle-même. Ce retrait fonde l‟irréalité, qui occupe une place primordiale dans le champ de notre étude sur le genre comique :

« « Le langage est déjà scepticisme. » Écrire, c‟est se méfier absolument, en s‟y confiant absolument, de l‟écriture. Quelque fondement qu‟on donne à ce double mouvement qui n‟est pas aussi contradictoire que sa formulation trop resserrée le donne à lire, il reste la règle de toute pratique écrivante : le « se donner se retirer » a là, je ne dirai pas son application ni son illustration, termes peu adéquats, mais ce qui, de part la dialectique et hors de la dialectique, se justifie en se laissant dire, dès qu‟il y a dire et par quoi il y a dire4. »

1 M. Blanchot : L’Écriture du désastre, Paris, Editions Gallimard, 1980, p. 174. 2 A. Breton : Arcane 17, Paris, Pauvert, 1971, p. 15.

3 A. Le Brun : Les Mots font l’amour, Paris, éd. Losfeld, 1970, p. 34. 4

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fig.1. Diffusion non autorisée. René Magritte, L’échelle du feu. Gouache, 1939, 27 x 34 cm.

fig.2. Diffusion non autorisée. René Magritte, La découverte du feu. Gouache, 1935, 34,6 x 41,6 cm.

Comme nous l‟avons déjà énoncé plus haut, le poète surréaliste ne se soustrait pas à la réalité commune de ce monde qu‟il juge volontiers sournoise et inappropriable ; au contraire, il la transcende, et ensuite se l‟approprie. Il dirige son parcours dans l‟univers et non l‟inverse. Il préfère s‟évader hors de lui-même grâce à une réalité qu‟il a subtilement dérobée. André Masson en relate l‟expérience lorsqu‟il écrit :

« Nous avions donc conscience de vivre une expérience extrêmement excitante pour l‟esprit. Mettre les forces instinctives au premier plan, avant l‟imitation de la vie, avant la pensée concertée, cela rejoignait un peu l‟esprit dionysiaque1

. »

Puisque l‟instinct humain tend désormais à déclasser l‟imitation de la vie, la représentation réaliste de la pensée convenue devient donc à proscrire. Ces représentations apparaissent maintenant comme les nouveaux enjeux du courant surréaliste.

Le manifeste surréaliste enjoint de s‟approprier l‟enveloppe de la réalité afin d‟y intégrer sa vision personnelle. La réalité ainsi transformée chez les auteurs surréalistes leur sert à insérer leurs angoisses et leurs joies. Ce sentiment de détachement leur ouvre un espace de liberté particulier. Les auteurs surréalistes utilisent cet espace pour renforcer la reconnaissance de leur vision de la réalité2. En plus de cela, les poètes surréalistes se révèlent également vers 1919 des observateurs de la société. Leurs observations portées vers les hommes ordinaires de cette époque participent aussi à l‟apparition de leur pessimisme3. Ainsi, la réalité mise à nu suite à sa déconstruction laisse apparaître des facettes inconnues de notre environnement. C‟est d‟ailleurs Paul Eluard qui évoque en premier lieu l‟union du pessimisme avec le surréalisme :

1 A. Masson : op.cit., p. 43.

2 Le refus de la réalité n‟implique pas une fuite vers le rêve mais conduit vers une vision pessimiste. 3

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« C‟est son parfait pessimisme qui lui donne la plus froide raison. La poésie surréaliste, la poésie de toujours, n‟a jamais obtenu rien d‟autre. Ce sont des vérités sombres qui apparaissent dans l‟œuvre des vrais poètes, mais ce sont des vérités et presque tout le reste est mensonge1. »

La marginalité de l‟engagement philosophique et artistique subséquent au manque d‟engouement populaire du mouvement surréaliste pourrait être une autre hypothèse expliquant l‟imprégnation pessimiste de ce nouveau courant.

Le pessimisme transforme profondément l‟apparence du monde tel qu‟il est. Il revient tour à tour vers la conscience extrême d‟un monde formé d‟incertitudes :

« Aron Raymond a décrit le surréalisme comme un mouvement pessimiste. Il s‟est fait injurier. Tous, nous avons crié notre optimisme, notre amour de la fête, de la vie, des femmes, des objets sauvages. Breton soudainement, s‟est levé et a lancé : « A bas la France ! », Max Ernst hurlait : « A bas l‟Allemagne ! », Miro, prudent : « A bas la Méditerranée ! », ce qui était très révélateur de son caractère ! Il avait pensé que s‟il criait : « A bas l‟Espagne ! », cela lui créerait des ennuis. Le plus curieux, d‟ailleurs, est que les surréalistes condamnaient effectivement la Méditerranée : ils étaient pour les peuples du Nord. En pleine guerre, Breton avait déclaré à des étudiants, il ne faut pas l‟oublier : « L‟Allemagne, d‟où tout est venu et d‟où tout reviendra ». Une affirmation totale2

. »

Le pessimisme surréaliste peut également trouver une de ses sources dans le contexte géopolitique3 des années 1930 qui voit surgir de nombreuses incertitudes quant à l‟avenir des populations d‟Europe. Et puisque les auteurs surréalistes enclins au pessimisme sont inévitablement narcissiques, ceux-ci s‟évadent hors d‟un monde réel dans lequel ils ne se reconnaissent pas et qui limite leurs possibilités d‟existence.

Le surréalisme efface les formes entrevues concrètement dans le sens où il irréalise toute apparence possible avec celle s‟attachant au monde. Le surréalisme fait basculer les éléments concrets et les fait disparaître dans le gouffre de l‟imagination irréalisante.

1 P. Eluard : op.cit., p.82.

2 A. Masson : op.cit., p. 61-62.

3 Contexte géopolitique : rapports entre la géographie des États et leur politique (Le Petit Larousse Illustré,

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L‟irréalité constitue le support imaginatif qui articule et fait apparaître l‟empreinte surréelle de l‟existence humaine après la destruction des codes normatifs1

:

« Dans le mouvement de l‟imagination, c‟est toujours moi-même que j‟irréalise en tant que présence à ce monde-ci ; et j‟éprouve le monde (non pas un autre mais celui-ci même) comme entièrement nouveau à ma présence, pénétré par elle et m‟appartenant en propre et à travers ce monde qui n‟est que la cosmogonie de mon existence, je peux retrouver la trajectoire totale de ma liberté, en surplomber toutes les directions et la totaliser comme la courbe d‟un destin2

. »

Ce qui pourrait s‟apparenter à un emballement de l‟imagination provient en réalité du refoulement de la conscience représentée par une série d‟images dont le contenu évoquerait un malaise plus ou moins profond. L‟artiste représente une partie du contenu de la réalité qui lui a échappé, et dont il fait maintenant l‟éloge. On peut rapprocher la notion de pessimisme avec celle de l‟image surréaliste telle qu‟elle est définie par le philosophe français contemporain Jean-Luc Nancy (1940) :

« L'image doit être « imaginée » : c'est-à-dire qu'elle doit extraire de son absence l'unité de force que la chose simplement posée là ne présente pas. L'imagination n'est pas la faculté de représenter quelque chose en son absence : c'est la force de tirer de l'absence la forme de la pré-sence, c'est-à-dire la force du « se présenter»3. »

En cela, le surréalisme puise sa force d‟imagination dans l‟ennui (charnière entre le pessimisme et l‟imaginaire) que représente pour lui la vie. Les choses exposées dans leur état brut et « nu » ne nous enseignent rien, et seul leur état imaginé témoigne de leur présence en devenir.

fig.3.Diffusion non autorisée. Alberto Savinio, La cité des promesses. Huile sur toile, 1928, 97 x 146 cm.

1 Codes normatifs : qui participent à une représentation homogène et commune de la réalité (Le Petit

Larousse Illustré, op.cit.).

2 L. Binswanger : Le Rêve et l’existence, Bruges, De Brouwer, 1954, p. 112. 3

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Comme l‟illustre l‟œuvre intitulée « La cité des promesses » (1928) du peintre et écrivain italien Alberto Savinio (1891-1952), Ŕ de son vrai nom Andréa Francesco Alberto de Chirico, frère cadet de Giorgio De Chirico Ŕ le sujet contemporain est désireux de saisir un bout de la réalité que l‟on appellera « invisible constituant »1. Cet invisible constituant provient de la réalité refoulée issue inconsciemment du rêve. À l‟inverse du rêve, la réalité autorise une multitude d‟actions égales en apparence. Le linguiste français Henri Maldiney (1912) suggère à travers ses multiples réflexions que la réalité d‟une part, et l‟image d‟autre part, se renvoient chacune leurs caractéristiques propres par un simple effet de miroir, laissant l‟immobilité du concret comme dernière impression pour la réalité et la mobilité de l‟abstrait pour l‟image :

« La réalité de l‟image (et non l‟image de la réalité) y est celle d‟une expression, laquelle est un auto-mouvement ou, plus souvent, une immobilité tensive qui est celle d‟un « Soi »2

. »

L‟artiste surréaliste doit s‟accommoder de la réalité et de son impuissance à la maîtriser le temps présent. Il s‟insère dans la dimension temporelle de la réalité, mais crée également dans ses œuvres, une dimension intemporelle issue de son imagination.

Chez le poète surréaliste, l‟imagination cherche à édifier un idéal3. Elle est la faculté lui permettant grâce au pessimisme préalable, de tenir à distance le monde concret et d‟établir de nouveaux codes :

« L‟imagination consiste à expulser de la réalité plusieurs personnes incomplètes pour, mettant à contribution les puissances magiques et subversives du désir, obtenir leur retour sous la forme d‟une présence entièrement satisfaisante. C‟est alors l‟inextinguible réel incrée4

. »

En établissant de nouveaux codes, l‟imagination retraverse les signes de la réalité et renouvelle le sens5 caché de celle-ci. Le surréalisme, grâce à la puissance de

1 Invisible constituant : expression de Stéphane Mallarmé pour décrire le statut de l‟image en poésie. 2 H. Maldiney : L’Art, l’éclair de l’être, Paris, Comp‟Act, 1993, p. 283.

3 Idéal : Qui n'a qu'une existence intellectuelle, sans être ou sans pouvoir être perçu par les sens; en partic.

qui a les caractères de l'idée (source en ligne CNRTL : http://www.cnrtl.fr/definition/ideal).

4 R. Char : Fureur et mystère, Paris, Gallimard, 2010, p. 65.

5 Sens : PHILOS. [Chez Aristote] Sens commun. Sens central, faculté mettant en commun et coordonnant les

données de tous les sens en les rapportant à un même objet et permettant ainsi la perception de celui-ci. Synon. sensorium. Toute sensation s'accomplit (...) par une communication de l'objet au cerveau (...). La

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l‟imagination « liquéfie » les matériaux durcis et froids de la réalité, afin de leur donner une forme nouvelle. Selon Pierre Naville :

« Tout ce que font les êtres humains (leur comportement) est sens et signification, avant même d‟être codifié dans ce que nous appelons des signes ; en un mot, « les signes sont des sens morts ». C‟est pour cela que la peinture devait poser au surréalisme des questions redoutables, et l‟engager dans quelques impasses sans retour1

. »

Les signes présents dans les écritures surréalistes seraient figés du fait que le sens de l‟activité poétique est infini2

comme le dessin l‟illustre ci-dessous. Leurs significations se situent à la fois en aval et en amont du sens même entre un absolu3 négatif et positif4. Ce que l‟homme considère être un signe donné par la réalité ne constituerait en fait qu‟une illusion :

« L‟œuvre d‟art ne veut rien dire, mais pourtant elle signifie, et c‟est sa composition qui révélera ce sens, ou du moins sa présence, en exprimant le rapport entre l‟artiste et les éléments de son œuvre5

. »

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7 fig.A. Représentation personnelle.

partie antérieure du viscère cérébral est la source commune de la sensibilité. Là réside ce sens commun, où toutes les impressions reçues par les organes se ramènent et se comparent (Ozanam, Philos. Dante, 1838, p.

133). Il n'existe pas de sensorium, ou sens commun, autre que la conscience elle-même, et la conscience n'a

pas d'autre siège, dans la sensation, que le lieu où elle la rapporte (Renouvier, Essais crit. gén., 3eessai,

1864, p. viii).

1 P. Naville : op.cit., p. 213.

2 Infini : Sans limite dans le temps et l‟espace. Qui est d‟une grandeur, d‟une intensité si forte qu‟on ne peut

le mesurer (Le Petit Larousse Illustré, op.cit.).

3 Absolu : qui n‟admet aucune restriction, aucune exception ni concession (Le Petit Larousse Illustré, op.cit.). 4 Cette notion de sens donnera lieu 40 ans plus tard au titre « Le sens de la vie » du film des comiques

surréalistes Monthy Pyton.

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A. Gide : Quelques réflexions sur l’abandon du sujet dans les arts plastiques, Fontfroide, éd. Fata Morgana, 2011, p. non numéroté.

6 Signification : Ce qui signifie, représente un signe, un geste, un fait, un mot, etc (Le Petit Larousse Illustré,

op.cit.).

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Signifié : En linguistique, le signifié et le signifiant sont les deux faces complémentaires du concept de signe linguistique développé par Ferdinand de Saussure1 et à sa suite par l'école structuraliste. Le signifié désigne la représentation mentale du concept associé au signe, tandis que le signifiant désigne la représentation mentale de la forme et de l'aspect matériel du signe. On distingue le signifié d'un signe de son référent, l'objet (ou ensemble d'objets) désigné par le signe. Au sein du signifié, on peut distinguer dénotation et connotation, la dénotation étant plus ou moins le sens littéral (qu'un dictionnaire cherche à définir) et la connotation l'ensemble des sens figurés potentiels ou dans un contexte donné (Définition en ligne de l‟encyclopédie Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Signifi%C3%A9_et_signifiant).

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Les artistes surréalistes réalisent à travers leurs différentes œuvres une remontée aux sources de l‟écriture poétique et picturale. Leur désir est de retrouver ce lieu « d‟indétermination » où les mots, les objets, les figures se déploient dans l‟espace culturel de l‟homme au XXe

siècle. Le poète et peintre André Masson (1896-1987) s‟interroge à propos de l‟esprit, du réel et de l‟irréel :

« D‟où viennent ces formes imaginées ? Elles viennent de ma méditation passionnée, attitude qui propose un objet, même dans son premier mouvement quand il paraît complètement immergé dans l‟indéterminé1

. »

L‟artiste surréaliste invite le spectateur à suivre le chemin au tracé incertain de ses émotions. Pour cela, l‟écriture automatique2

, les collages3, l‟emploi de la métaphore4 sont autant d‟outils qui provoquent ce qu‟André Breton appellera le « hasard objectif »5

. Ce même hasard contribue à l‟émergence d‟un langage poétique :

« Le surréalisme à l‟origine, a voulu être libération intégrale de la poésie et, par elle, de la vie. Il s‟est donné pour tâche de remonter aux sources de cette poésie en procédant pour cela comme en forêt vierge, soit en abattant autour de lui tout ce qui pouvait faire abstraction à sa marche6. »

L‟essence de l‟art surréaliste consiste, selon André Breton, à effectuer un voyage vers ce qui n‟a jamais été défriché.

1 A. Masson : op.cit., p. 219. 2

L‟écriture automatique : désigne la volonté des poètes surréalistes de se soustraire à tout contrôle rationnel. Pour les surréalistes, il s‟agit de s‟acheminer vers la découverte du « fonctionnement réel de la pensée ».

3 Collages : Le collage est une technique de création artistique qui consiste à organiser une création plastique

par la combinaison d'éléments séparés, de toute nature : extraits de journaux avec texte et photogravures, papier peint, documents, objets divers. Cela le distingue des papiers collés qui n'emploient que du papier

(Définition de l‟encyclopédie en ligne Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Collage_(art)).

4 Métaphore : La métaphore fait partie des figures du discours qui sont supposées produire des images : un

terme, qui a par ailleurs une signification « littérale » ou « propre », est associé à un autre terme, par attribution ou substitution. Selon les terminologies, le terme métaphorique est dit « phore », ou « véhicule », ou « comparant » (Le Petit Larousse Illustré, op.cit.).

5 Hasard objectif : L'un des principes du surréalisme. Dans l'Amour fou d‟André Breton se systématise une

valeur surréaliste qui n'est pas neuve : le hasard objectif. Déjà dans Nadja et les Vases communicants, il s'était plu à relever quantité d'incidents extérieurs : rencontres, hasards, événements inattendus, coïncidences, rebelles à un continuum logique, mais qui résolvent des débats intérieurs, matérialisent des désirs inconscients ou avoués. M. NADEAU, Hist. du surréalisme, Paris, éd. du Seuil, 1964, p.168 (source en ligne CNRTL : http://www.cnrtl.fr/definition/hasard).

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Pour les surréalistes, le pessimisme est perçu de manière identique au nihilisme dadaïste, tous deux (surréalisme et dadaïsme) n‟offrent aucune vision libératrice de l‟existence humaine, si ce n‟est l‟anarchie ou le suicide (que nous évoquerons au dernier chapitre). Ces deux courants de pensées dénoncent, en même temps qu‟ils acceptent, l‟impasse que représente la vie dans laquelle nous vivons :

« Le fantôme burlesque de dada toujours rôdant, d‟ailleurs assez ricaneur à sa manière. Pourquoi pas les poètes ? Enfin, « cesser » quelque chose, à défaut de la vie. Ces derniers temps, Eluard semait le désarroi qu‟il portait en lui, irrésolu dans l‟amour et furieux d‟espoir, ne sachant où faire éclater son rire1

. »

À cette impasse, seule l‟imagination peut créer une échappatoire afin de soulager la