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Un métier spécifique clairement identifiable 159

Dans le document Le maître E dans ses rôles de partenaire (Page 160-163)

Chapitre 7 : le partenariat comme geste professionnel du maître E 137 

1.   Un métier spécifique clairement identifiable 159

Une des intentions de cette étude était d’explorer et de caractériser les spécificités du maître E, dont la position du « maître qui ne fait pas classe » peut amener à une invisibilité de son activité professionnelle quand celle-ci se déploie dans le cadre du RASED en particulier, contrairement au maître de CLIS par exemple.

1.1. Un espace professionnel particulier, en marge de l’équipe

d’école, au seuil de la classe

Entre aide directe, et aide indirecte, l’étude a pu identifier la position actuelle du maître E au seuil de la classe et montrer combien cette position légèrement « décalée » par rapport au centre de gravité de la classe était nécessaire pour construire des ruptures avec des situations difficiles. Les services extérieurs à l’école soulignent eux aussi la nécessité de cette disjonction avec les situations de classe, et leur position extérieure à l’Ecole offre en cela un

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160 détour déterminant pour l’élève et ainsi l’aide à reconstruire des situations de réussite. Comme ses partenaires ; le maître E organise des détours, mais les situe préférentiellement dans le domaine pédagogique, il maintient, par ailleurs, la dynamique de la classe comme une perspective centrale de ces détours. Cette position à la fois au seuil de la classe mais dans l’école, lui offre des possibilités élargies de médiation, et facilite ses relations aux familles dont l’implication semble déterminante dans l’évolution de l’élève. Les dernières données recueillies ont montré combien la position de surnumérarité ou de reprise de classe par un maître E, en le ramenant à la position de membre de l’équipe ou de maître de milieu ordinaire, rendait cette dynamique difficile voire impossible.

L’espace professionnel dans lequel évolue le maître E croise une grande diversité d’unités fonctionnelles, inhabituelles au regard de ce qui est pensé du métier d’enseignant en général. Certaines sont centrées directement sur l’élève, comme le regroupement d’adaptation qui est une unité fonctionnelle spécifique au maître E ; d’autres sont orientées par l’élève mais partagées au travers d’un PPRE par exemple, et peuvent viser en même temps le maître de la classe (au travers d’échanges informels ou en co-intervention par exemple) ; d’autres enfin sont orientées de manière indirecte par l’élève, s’adressent directement aux adultes collègues, partenaires, parents, RASED, etc., et sont partagées. L’angle d’analyse que nous avons adopté à partir des pratiques collaboratives nous a permis de montrer que l’espace professionnel du maître E est très diversifié et que sa spécificité ne pouvait se réduire à la seule intervention directe auprès des élèves.

Bien sûr, les savoirs et les savoir-faire pédagogiques et didactiques du maître E sont des éléments fondamentaux pour identifier une difficulté ou un besoin. Cette expertise, qui part d’un regard particulier sur l’enfant apprenant, nous semble étroitement associée au travail du maître E.

Cependant, cette activité en direction de l’enfant, ne peut être réellement comprise que replacée dans l’activité globale du maître E incluant le travail avec ses partenaires.

Cette position particulière nécessite une professionnalité et des gestes professionnels différents de ceux de leurs collègues de milieu ordinaire, même si les maîtres E se déclarent avant tout enseignants, et différents aussi de leurs partenaires spécialisés qui prennent en charge les élèves présentant des troubles envahissants du développement ou des troubles importants des fonctions cognitives. En ce sens notre étude a pu montrer où se situe la spécificité du maître E et en quoi résidaient ces nouveaux savoirs professionnels.

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1.2. Une « marginalité » nécessaire à l’ajustement des tensions

qui traversent les situations collaboratives.

Au fond, la spécificité des maîtres E réside autant dans le fait qu’ils possèdent des savoirs professionnels différents de ceux de leurs collègues, acquis par une formation spécifique, comme l’analyse de besoins, les évaluations de compétences, les réponses pédagogiques liées à la difficulté, etc., que dans cette position au seuil de la classe en relation interindividuelle dans de petits groupes d’élèves, avec leurs parents mais aussi des experts comme les psychologues scolaires, les maîtres G ou les services de soins et/ou de justice qui les amènent à porter un regard différent sur les situations scolaires. C’est à la fois cette relative extériorité et la technicité de certains de leurs gestes qui constituent leur expertise. Pour autant, cette expertise peut engendrer des situations de rapports de force qui peuvent embarrasser les relations aux collègues de milieu ordinaire.

L’étude a, par ailleurs, pu montrer que la question de l’articulation des temporalités cristallise elle aussi un certain nombre de tensions entre le maître de la classe qui pilote son groupe à l’aune des programmes qu’il doit suivre, et le maître E qui, lui, est centré sur le développement de l’élève, de ses réussites et des difficultés qu’il rencontre, là où l’élève et ses parents voudraient que la difficulté soit dépassée le plus vite possible tant elle est inconfortable.

Les maîtres E, pour ajuster les tensions de temporalité, ont fréquemment recours au détour et à l’alternative formelle/informelle qui permet de réguler le contrat de collaboration développé avec leurs partenaires. Par les situations informelles, d’échange « entre deux portes », ils peuvent engager le dialogue de manière dépassionnée, et aider l’enseignant de la classe à poser un regard renouvelé sur les difficultés de ses élèves. En fait, le maître E aide l’enseignant à aider l’élève en étant dans une posture paritaire très différente de celle d’un conseiller pédagogique. Plus que de trouver des consensus, qui au bout du compte restent insatisfaisants, les maîtres E mettent en place une démarche de détour auprès de leurs collègues de milieu ordinaire en cherchant à les faire changer de point de vue (au sens propre, c'est-à-dire de là où ils regardent la difficulté de leurs élèves) pour les aider à reproblématiser la situation, et à trouver de nouvelles réponses à la difficulté de leurs élèves, pour remettre en œuvre une dynamique de progrès au rythme de ces élèves particuliers.

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1.3. L’action d’aide entre ruptures et continuités

Le second volet d’analyse, le suivi de l’aide apportée à deux élèves pendant trois semaines, a clairement montré que l’action d’aide, quelle que soit la catégorie d’acteurs en cause, vacillait entre rupture nécessaire avec la situation de classe et de difficulté, et continuité avec les attendus de l’école. Le repérage des domaines d’action, exercices pour les uns, situations de jeu pour les autres et exercices ludiques pour d’autres encore, traduit à notre sens cette alternative ruptures/continuités. La controverse professionnelle autour de cette question est pourtant vive, les uns soutenant la nécessité du jeu pour instaurer un détour, les autres réfutant le qualificatif qui pourrait laisser à penser que les activités conduites par le maître E ne seraient pas sérieuses et ne relèveraient pas du travail scolaire. En d’autres termes, on peut s’interroger pour savoir si c’est le jeu qui amène l’élève à être motivé et à avoir envie de réussir, ou si c’est la situation pédagogique qui est ludique et qui amène l’élève à vouloir s’investir et dépasser ses difficultés pour réussir.

Les compétences ciblées par les acteurs de l’aide sont le plus souvent partagées et les objets comme la lecture ou la production d’écrits sont communs. Mais les stratégies adoptées sont, elles, très différentes, cherchant des traductions au sens de Callon (1989) des situations scolaires pour permettre à l’élève de leur redonner du sens et redémarrer le processus d’apprentissage. Cette reconstruction de sens semble essentiellement passer par des mises en lien qui sont un des axes fondamentaux du travail du maître E. En effet, par ses médiations, il permet de (re)tisser des liens entre les différents univers que l’enfant/élève traverse sans forcément les relier. Pour autant, comme le marque la relative faiblesse de recours aux critères de réussite, l’élève ne semble pas être partie prenante d’un travail contractualisé avec lui, sauf à de rares exceptions. L’analyse des données a montré que l’on peut parler de convergence d’action entre les différents acteurs de l’aide, mais pas réellement de cohérence et encore moins de cohésion. Cette remarque tendrait à pointer un champ important de développement pour l’amélioration des situations d’aide collaboratives, et de là, du travail du maître E.

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