• Aucun résultat trouvé

Maître E, une formation, de l’expérience une expertise ? 90

Dans le document Le maître E dans ses rôles de partenaire (Page 91-93)

Chapitre 5 : des pratiques d’interface, des tensions constitutives du métier 89 

1.   Analyse de la tension « expert – collègue » 90

1.1.   Maître E, une formation, de l’expérience une expertise ? 90

classes « ordinaires ». Fondamentalement, les maîtres E sont et se sentent enseignants du premier degré. L’expertise, quand elle est admise, est légitimée par la double présence d’une formation spécifique et d’une expérience particulière de l’aide à la difficulté qui font d’eux des spécialistes. La formation est une composante nécessaire du métier, elle légitime l’action. Ainsi ME1 justifie l’intervention de l’enseignant spécialisé par sa formation : « C'est notre boulot, c'est ta mission, t'as fait une formation pour ça ». (ECC3 lg 115-118)

Cependant, comme le précisent d’autres maîtres E, une fois la « trame (…) [et] l’orientation sur le cognitif » fournis par la formation, la professionnalité doit se parfaire par l’expérience qui

26 Ce codage renvoie aux documents de transcription des différents entretiens d’auto-confrontation (verbatims) :

ME XXX : nom codé des maîtres E cités, ECXXX : numéro de l’auto-confrontation initiale (ECI) ou croisée (ECC), lgXX : lignes du verbatim où se retrouve cet extrait. L’ensemble des verbatims est consultable sur le site http://thomazet.ath.cx/S2j1maitresE/index.html

91 permet de modéliser l’action : « On a des trames, [on sait] comment [tel élève] fonctionne en lecture.(…) On a cette trame qu'on a appris effectivement en formation mais après, ce qui nous a aidé, c'est de les voir effectivement, les enfants, au travail, de voir qu'ils bloquaient là-dessus, effectivement. Et donc après, en fait, on a des modèles d'élèves qu'on a vus buter sur certaines choses… » (ME5 et ME3 ECC 1 lg 323-327).

Si la notion d’expertise est reconnue comme une spécificité, le terme d’expert ne fait pas l’unanimité, même s’il est assumé par certains comme en témoigne cet échange entre deux enseignantes spécialisées :

ME1: « Et c'est vrai que quelque part on pourrait dire : on est des experts de ce genre de projet à rédiger (…)car on a une connaissance des projets de l'élève, on voit ce que l'on peut mettre en place en petit groupe, donc on a des pistes. Mais pourquoi on a des pistes? Peut-être qu'on a la possibilité d'être plus inventifs car on n'a pas la classe (…)

ME2 : Je vais dire, le terme expert, il me dérange car je ne suis pas expert...

ME1 : Alors mais ça, on le voit c’est-à-dire on a l'impression, excuse-moi, mais je vais t'apporter un peu des éléments, pour toutes les compétences c'est notre boulot, c'est ta mission, t'as fait une formation pour ça et puis c'est tout. (Agitation) Sinon tu t'excuses de faire ton travail.

ME2 : Oui mais ça, c'est ma personnalité, pour moi ce n'est pas une année de formation qui fait la différence. Qu’est-ce que une année ? (…) Moi je ne suis pas si loin que ça de l'enseignante et je ne veux pas être si loin. (ME1 et ME2, ECC3, lg 107-122).

De fait, les maîtres E connaissent un déplacement dans le système entre une formation et un temps d’exercice en tant que maître de milieu ordinaire, puis une spécialisation de maître E. Ils ont à composer avec une diversité de facteurs : leur appartenance au premier degré, leur formation initiale et leur passé professionnel qui tendent à les rapprocher des maîtres des classes ordinaires, alors que leur formation spécialisée et leur activité les placent « à côté » de ce contexte « ordinaire », comme enseignant spécialisé. La dimension temporelle est ici fondamentale : il n’est pas possible de comprendre la tension qui s’installe entre ce qu’il faut bien identifier comme « deux métiers », si on ne prend pas en compte l’histoire personnelle qui conduit les enseignants spécialisés dans une nouvelle fonction, celle de maître E, sans changer de statut, tout en ayant une spécificité liée à leur expertise en matière de difficulté scolaire.

Cette controverse professionnelle (Clot, et al., 2001) entre deux enseignantes, brièvement rapportée ci-dessus, montre le niveau intra-individuel de la tension, « Je ne veux pas être si

loin » (de l’enseignante de la classe), mais aussi interindividuel « Le terme expert, il me dérange » (car il marque une position et non une spécificité). Il est clair que deux conceptions

de l’expertise, donc du métier, s’opposent dans l’échange rapporté ci-dessus : ME1 défend une position de l’expert comme spécialiste de son domaine, dans le cadre de sa mission, ce

Mérini/Thomazet/Ponté

Recherche FNAME : Le Maître E dans ses rôles de partenaires

92 qui ne la place pas en situation de comparaison avec les enseignants non spécialisés (qui ont une autre mission), alors que ME2 entend par expert le fait de pouvoir donner un avis qualifié qui s’impose aux autres enseignants non experts et s’apparente à du « conseil pédagogique », donc à un point de vue d’autorité.

En fait, les échanges montrent que les arguments « pour » ou « contre » assumer le fait d’être expert renvoient à quatre composantes définitionnelles de l’expertise qui cohabitent chez les maîtres E : le fait de posséder des savoirs avérés (avoir fait une formation, avoir de l’expérience), la compétence dans l’activité pratiquée (faire de l’aide, avoir un autre regard, être en relation avec une diversité d’acteurs), l’identité professionnelle (être enseignant ou enseignant spécialisé ?), et enfin la fonction ou mission définie par des textes. Ici se mêlent prescription primaire (cadrage de la mission), prescription secondaire, le parcours de formation d’enseignant premier degré puis celui de maître spécialisé (Daguzon & Goigoux, 2007) et prescription remontante, par laquelle le maître E construit son propre positionnement dans le métier (Méard & Bruno, 2008).

Nous constatons, par ailleurs, que le sentiment d’expertise relève à la fois de la question de l’adaptation de l’activité de l’opérateur à la situation professionnelle, donc à sa manière de concevoir, d’expliciter et de négocier ses actions, mais dépend aussi de la façon dont ses collègues la conçoivent et lui laisse une place dans l’interaction : « C’est à nouveau un problème de statut, enfin !... de quelle place on nous laisse... c'est... c'est peut-être dur ce que je vais dire mais la place, on ne nous la laisse pas, et si on ne la prend pas, on nous laisse par moments des miettes qui arrangent bien les uns et les autres... » (ME1, ECC3, lg 881-884).

De fait, l’expertise telle qu’elle va être envisagée par les uns (tension intra-individuelle) et les autres (tension interindividuelle) va positionner chacun différemment dans l’organisation, et permettre (ou non) des légitimités d’action fondant des autorisations/auto-autorisation à agir, chacun construisant ainsi ses rôles dans l’interaction collective sur la base du contrat de collaboration (Merini, 2007).

Dans le document Le maître E dans ses rôles de partenaire (Page 91-93)