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Des structures théoriques plurielles pour aborder la complexité des pratiques

Dans le document Le maître E dans ses rôles de partenaire (Page 37-41)

Chapitre 2 : structures théoriques et méthodologie 27 

4.   Des structures théoriques plurielles pour aborder la complexité des pratiques

Comme nous l’avons précédemment évoqué, le travail est situé au croisement de différents niveaux de grain correspondant aux caractéristiques des pratiques collaboratives situées à la fois dans et hors la classe, orientées par des pratiques d’aide directe et indirecte. Les liens qui unissent les différents niveaux d’aide et les unités fonctionnelles sont ceux-là mêmes qui structurent les pratiques collaboratives. De fait, notre intérêt porte avant tout sur les liens, et donc sur la complexité des pratiques. Ce qui nécessite des approches théoriques plurielles et combinées.

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4.1. Des pratiques collaboratives complexes et peu visibles

Si les pratiques collaboratives sont peu explorées par la recherche, elles ne sont pas mieux repérées par les praticiens eux-mêmes, qui ne les intègrent pas toujours dans leurs représentations du métier. Ceci se traduit souvent par l’expression d’un manque de temps à accorder aux activités collaboratives ou la revendication d’un temps supplémentaire pour mener à bien ces activités. Ce phénomène tient sans doute au fait que ces pratiques prennent corps dans une diversité d’unités fonctionnelles, que celles-ci sont variées (concertations, échanges informels, communication, etc..) et situées dans les interstices du métier, temps et lieux d’action n’étant pas ceux de l’enseignant en activité d’enseignement.

De fait, la littérature scientifique sur ce sujet est relativement jeune et située à un niveau de grain essentiellement sociologique (Barrère, 2002) ou anthropologique (Marcel, 2004). Quand elle est située à un niveau de grain plus fin, il s’agit d’unité fonctionnelle particulière comme des moments d’aide en groupement d’adaptation (Crouzier, 2003) ou l’étude de co- interventions (Félix, Saujat, & Combes, 2010; Pierrisnard, 2010) à propos d’une discipline scolaire clairement identifiée, au fond plus proche de la situation de classe que des situations que nous cherchons à étudier. Ce qui nous intéresse ici s’inscrit dans des intervalles professionnels comme les équipes éducatives, les réunions de synthèse ou les échanges entre professionnels avec ou sans les parents, lors de l’élaboration collective d’un projet d’aide ou d’un PPRE par exemple.

Les nouvelles formes d’aide génèrent des interactions ou des interdépendances plus ou moins explicites, où se développent de nouveaux pouvoirs de décision qui bouleversent la manière d’aborder le métier de maître E et la prise en charge de la difficulté par les maîtres de milieu ordinaire. Cette situation de recherche, relativement inédite par son intérêt pour les intervalles, nous amène à repérer l’espace professionnel où se nouent les relations. Au travers de ce premier niveau d’exploration d’ordre ethnographique, fondé sur les logiques d’une sociologie qualitative, nous nous intéressons aux relations que les acteurs entretiennent, et qui bornent l’espace de collaboration au sein duquel le travail d’aide se développe. Grâce à une approche d’ordre psychologique, cette même recherche, nous amènera à approfondir ce qui fonde l’activité du maître E dans ces situations et ainsi nous permettra d’accéder à ce qui constitue d’éventuelles spécificités de son travail.

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4.2. Une approche systémique pour saisir la complexité des

pratiques collaboratives

Les nouvelles prescriptions induisent des réorganisations tant structurelles qu’identitaires, ouvrant de nouveaux rapports de force, redéfinissant des espaces / temps et des unités fonctionnelles nouvelles, donc de nouvelles combinatoires (Morin, 1990). En ce sens, nous avons choisi de faire coopérer plusieurs structures théoriques, pour observer comment l’aide est investie. C’est le cadre théorique de la complexité telle qu’a pu le définir Morin (1977) qui servira de base à notre architecture théorique. Une connaissance additionnée des parties ne peut conduire à la connaissance du phénomène, la complexité est invisible du point de vue des disciplines qui fragmentent l’objet ou qui l’isolent, alors même que notre objet nécessite de relier les phénomènes. Une connaissance « riche » n’est pas spécialement « sophistiquée, formalisée, mathématisée », c’est une connaissance capable d’identifier les liens qui s’établissent entre des informations, des données, les objets et le contexte dans lequel ces éléments entrent en relation (Morin, 2002).

Pour cela il faut une structure épistémique commune qui a le sens de la complexité de l’objet (Morin, 1977). Cette structure épistémique ne saurait être que plurielle pour faire fonctionner le croisement de grains par lequel nous analysons les pratiques collaboratives, car, dans les espaces professionnels étudiés, des unités fonctionnelles différentes interagissent, et l’écosystème est sans cesse redéfini par l’activité de ses acteurs.

Les pratiques collaboratives ne peuvent être réduites à de simples phénomènes stratégiques (Landry, 1994), ou organisationnels (Lesain-Delabarre, 1999). Dans le même temps, l’unité d’analyse qu’est la tâche, mobilisée par la psychologie pour comprendre les interactions d’enseignement/apprentissage est tout aussi inadaptée quand on réfère à une unité fonctionnelle qui n’est plus la classe.

Le choix s’est donc porté sur des approches théoriques différentes nous permettant de croiser un grain moyen, plus « étroit » que celui de l’analyse stratégique, par le biais de la sociologie de la décision, et de sortir de l’unité fonctionnelle « classe » pour aborder un pan particulier du métier d’enseignant : la prise en charge collective de l’aide aux élèves en difficulté par le biais de la psychologie ergonomique. Cet aspect du travail enseignant, ayant peu été exploré, nous positionne au-delà des approches macro et micro plus fréquemment visitées.

Accéder au grain particulier d’analyse des pratiques collaboratives nous place dans une perspective systémique (Morin, 1977). De plus, les évolutions du métier supposent un

39 nouveau système de prise en charge de la difficulté, ce qui institue de nouvelles combinatoires (Morin, 1990).

4.3. Une recherche à l’interface de la sociologie et de la

psychologie

En accord avec notre postulat systémique et la situation particulière de notre objet, nous croisons donc différents points de vue. Celui, d’une part, de la sociologie des organisations (Crozier & Friedberg, 1977) pour la lecture des stratégies d’acteurs et leur positionnement dans le système, et, plus précisément encore, de la sociologie de la décision (Jamous, 1969; Sfez, 1981) pour le regard critique posé sur les décisions prises et qui permettent d’identifier les forces de pouvoir et de changement en présence. Et, d’autre part, celui de la psychologie (Leplat & Hoc, 1983) qui porte son intérêt sur le travail et les personnes au travail, en particulier pour les effets identitaires dans la construction du métier, qui n’est pas le seul résultat des prescriptions.

Le métier s’invente, se façonne, se réinvente en relation avec le cadre prescriptif, mais surtout dans une double logique stratégique individuelle et collective, selon les intérêts propres et communs qui unissent, et en même temps, séparent les acteurs de l’aide. Cette double approche possède un analyseur commun des pratiques : la décision, à la fois pour analyser les mécanismes d’accord et les règles d’action qui président à l’activité de chacun, et identifier en quoi elle est constitutive d’un genre particulier du métier.

Ces deux perspectives théoriques sont à l’origine de la construction de l’objet et des méthodologies à partir desquels nous avons abordé les éléments empiriques des situations collaboratives. Elles ont en commun de considérer que la réponse des acteurs engagés dans une situation est rarement univoque, que chaque métier engage les acteurs dans la gestion de situations complexes. Ainsi, ce que fait un professionnel pour réaliser une tâche n’épuise pas toutes les potentialités de son activité réelle. Ce qu’il fait n’est qu’une possibilité parmi bien d’autres qui ont été écartées (Vygotski, 1925/1994). Cette complexité génère des tensions, mais aussi des règles d’actions partagées par une communauté professionnelle, qui peuvent être décrites en termes de genre professionnel (Clot, 1999).

La dimension philosophique (troisième mouvement théorique mobilisé) traverse les deux perspectives théoriques précédentes, et nous a permis de fonder la question des pratiques collaboratives sous l’angle du travail et du rapport de l’individu à celui-ci. Elle permet un apport ontologique, au sens d’une modélisation conceptuelle, utile notamment pour notre

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40 approche systémique, en particulier au travers des différents niveaux de temporalisations (Heidegger, 1927) que nous avons convoqués dans l’interprétation des données empiriques, et ainsi, de comprendre les temporalités à l’œuvre dans les contextes de travail collaboratif des maîtres E.

L’appui sur la sociologie de la décision, comme celui de la psychologie du travail, défend un point de vue systémique, multi-rationnel, qui nous amène à considérer les sujets comme les représentants d’une catégorie d’acteurs engagés dans un processus de changement. Tout comme la psychologie ergonomique, cette approche s’ancre dans une multifinalité de l’action et suppose des acteurs libres, dans un contexte historiquement situé (Sfez, 1981). Cette question du changement nous conduit à penser notre travail, même s’il est avant tout épistémique, dans le cadre d’un processus de changement des acteurs engagés dans notre collectif.

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