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Situation de la recherche : une recherche-intervention 40

Dans le document Le maître E dans ses rôles de partenaire (Page 41-45)

Chapitre 2 : structures théoriques et méthodologie 27 

5.   Situation de la recherche : une recherche-intervention 40

Ce travail de recherche, de type qualitatif, est essentiellement fondé sur des données empiriques, ce qui nécessite à la fois un accès « authentique » aux situations de travail et, dans le même temps le dépassement d’un premier niveau d’observation que l’on pourrait qualifier de « naïf », s’appuyant sur les seuls observables ou les seules déclarations des acteurs de l’aide par exemple. Il nous faut aussi rappeler la difficulté de la visibilité des pratiques collaboratives déjà évoquée, mais ici renforcée par le fait que les pratiques d’aide sont intermittentes au regard des pratiques de classe, qu’elles sont affleurantes, car elles ne concernent que quelques élèves et sont donc peu visibles. Ainsi la perspective sociologique classique fondée sur des entretiens ou des questionnaires amène parfois à penser que les enseignants ne travaillent pas ensemble (Barrère, 2002). Partant de ce principe, il devient délicat d’inférer ce qui apparaît comme des résultats décevants des pratiques d’aide aux élèves en difficulté, au fait que les enseignants, ou les acteurs de l’aide, ne travaillent pas ensemble. Dépasser ce niveau d’analyse suppose une observation longitudinale s’inscrivant dans un temps suffisant pour accéder à des pratiques peu visibles, d’instrumenter l’exploration pour dépasser le niveau premier dénoncé précédemment, et de diversifier les situations étudiées comme les moments de leur analyse.

Ainsi, le travail de recherche doit s’inscrire dans un double mouvement d’accès authentique aux pratiques collaboratives, tout en maintenant la distance nécessaire à leur étude : distance en particulier entre analyse et pratique, entre posture de praticien volontiers engagé dans

41 l’évolution du métier et celle de chercheur visant à identifier en quoi ces changements sont le signe des constructions/déconstructions du métier. De fait, la relation entre chercheurs et praticiens nécessite l’instauration d’un climat de confiance suffisant pour, d’une part, faciliter l’accès aux situations professionnelles étudiées (surtout dans un champ où le secret professionnel, le devoir de réserve, mais aussi la seule éthique, prennent une importance capitale dans les décisions qui sont prises autour de l’élève en difficulté), et, d’autre part pour que les professionnels acceptent les regards croisés sur leurs pratiques ainsi que le changement de posture quand il s’agit d’analyser lesdites pratiques. Le contexte du travail de recherche dans ces circonstances est un élément essentiel à prendre en compte.

Le travail a été mené dans le cadre d’une recherche-intervention (Mérini & Ponte, 2008) qui s’attache à modéliser les pratiques dans une perspective d’intelligibilité multiple : intelligence d’intervention pour ce qui concerne la compréhension des pratiques d’aide et de collaboration, intelligence de recherche par laquelle on vise à modéliser ces pratiques afin de les rendre intelligibles d’un point de vue scientifique, mais aussi intelligence de formation au sens où la diffusion des modèles nourrit une réflexion sur les gestes professionnels en cause ou à développer. Cette pluralité de perspectives permet d’accélérer la diffusion des connaissances appartenant à chacun de ces trois domaines et, dans le même temps, permet de conserver les liens qui se tissent entre eux. Dans cette forme de recherche, l’intervention vise ici les maîtres E qui participent au groupe de recherche, mais aussi leurs collègues par le biais des colloques professionnels de Dole et de La Rochelle. L’intervention n’agit pas directement sur les pratiques par des dispositifs expérimentaux ou novateurs, mais par une modification de la lecture qui donne à penser le métier d’une manière renouvelée, et qui, à terme, par effet téléologique, amène à des changements de pratiques. La transformation des pratiques est aussi rendue possible par notre cadre de travail, qui amène les participants à centrer leur attention sur les tensions du métier, donc les zones où celui-ci est le plus susceptible de bouger.

Le groupe (national) associe des praticiens maîtres E et, en fonction des opportunités de collaboration, des enseignants de classes ordinaires, conseillers pédagogiques et tout autres professionnels dont la présence est jugée pertinente. Les enseignants-chercheurs du laboratoire PAEDI, ainsi que les praticiens membres de la Fédération Nationale des Associations des Maîtres E (FNAME) investis dans la recherche, sont aussi membres du groupe que l’on pourrait qualifier de collectif de travail (Clot, Faïta, Fernandez, & Scheller, 2001). Les quatorze maîtres E membres du groupe ont été recrutés sur la base du volontariat et se sont engagés dans le projet de recherche tel qu’il a été contractualisé avec l’organisme financeur la FNAME pendant trois ans. Ils sont issus de différentes régions françaises ; cette

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42 diversité a permis des prises de données variées et des contrôles croisés interrégionaux. Un séminaire national de mise en commun a eu lieu tous les trois mois environ pendant deux ans, avec des travaux complémentaires en régions. Les praticiens ont été associés aux différentes étapes de la recherche : récolte de données, indexation et codage, contrôles croisés, discussion sur la pertinence des analyses.

5.1. La construction de l’objet

Dans la participation à la construction de l’objet, chacun s’accorde à reconnaître de la valeur au fait de produire de la connaissance à propos des pratiques collaboratives des maîtres E. Mais les systèmes de référence à partir desquels le problème est perçu et identifié sont radicalement différents : la pratique d’intervention, l’expérience singulière (voire personnelle) et l’efficacité pour les uns, le découpage d’un champ d’analyse, la pertinence d’un cadre théorique et la définition d’un objet pour les autres. Bien que conflictuelle et inconfortable, la confrontation des systèmes de référence permet la négociation, l’élaboration et la validation collective des normes sur lesquelles le travail d’analyse est ensuite conduit. Cette phase dynamise un processus collectif, permettant de passer des valeurs et des croyances à l’élaboration d’une syntaxe partagée par la normalisation de concepts opératoires. L’effet majeur de cette confrontation est de provoquer une distanciation par rapport à l’objet, et de stabiliser des positionnements d’étude éloignés des pratiques singulières. De fait, les contours de l’objet s’affermissent, le champ d’analyse se clarifie ; en revanche, la problématisation est enrichie des éléments du contexte professionnel.

5.2. L’indexation des données

Lors de l’indexation des données, les maîtres E du groupe national ont investi le rôle de techniciens de recherche, et pour cela ont été répartis en sous-groupes de travail d’indexation, ce qui a permis dans un deuxième temps de faire des vérifications croisées.

La systématisation quasi rituelle du repérage et de l’indexation des données est parfois ressentie comme longue et coûteuse par les praticiens ; elle est bien sûr indispensable à l’objectivité scientifique, et particulièrement utile à la transformation du problème professionnel en objet d’étude. Ce processus permet de sortir de la perception, de la croyance et du jugement, pour conduire à l’analyse, mais à l’analyse d’un objet qui n’est pas complètement dépouillé de son contexte professionnel. Cette phase d’indexation méthodique

43 des événements (codage des entretiens, anonymat des données, codification des écrits, etc.) qui organise les données dans des catégories d’analyse, a pour effet de prolonger le processus de distanciation et de formalisation de l’objet. Ce qui était un problème professionnel devient un objet observé pour être analysé, grâce à son déplacement dans un tiers espace symbolique construit par la négociation dans l’intervalle de la recherche et de l’intervention. Cette phase est parfois vécue comme une sorte d’arrachement identitaire, le praticien, « dé- contextualisant » l’objet de l’étude, investit une posture de recherche qui l’éloigne de ses préoccupations d’intervention et de ses réalités habituelles. Cette phase est très déstabilisante : parler de pratiques collaboratives du maître E (objet de recherche) sans référer au travail d’aide mené dans des lieux familiers, avec des personnes connues ou des croyances partagées, « désincarne » les situations professionnelles et déplace des zones habituelles d’existence professionnelle. Ce processus de déplacement / reconstruction procède de la dynamique formatrice qui vient d’être évoquée.

5.3. Le travail d’analyse

Si cette phase a été menée et validée par les chercheurs, elle a fait l’objet de débats permettant de s’assurer de la pertinence des interprétations du point de vue des pratiques professionnelles, et ainsi d’en identifier les limites, en particulier au regard des autres aspects du métier.

L’indexation des données, et les constats qui en découlent, obligent à des ré-interprétations, à déplacer les causalités, à problématiser autrement les résistances rencontrées ; c’est dans ces phénomènes que les effets transformatifs trouvent leur origine. En effet, les membres du groupe, en transformant leur grille d’analyse du problème, modifient dans le même temps leur offre formative ou leurs interventions, contribuent (parfois à leur insu) à des effets de diffusion quasi instantanés, soit en modifiant leurs propres pratiques de négociation ou de communication par exemple, soit en suggérant l’introduction de formations ayant trait au travail collectif lors de réunions institutionnelles.

La phase d’analyse et de modélisation de la recherche-intervention est, elle aussi, menée au creux du double système de référence, ce qui amène à une double orientation des interprétations. L’action de production de connaissances est orientée par le système de validité auquel chacun réfère. S’agissant de recherche, la modélisation est symboliquement confrontée aux normes et valeurs propres à la communauté scientifique, c’est-à-dire référée à la validité des procédures méthodologiques, de l’argumentation, du cadre théorique, dans un souci à la

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44 fois d’évolution des connaissances relatives à l’objet, mais aussi des pratiques de recherche et du champ scientifique. S’agissant de l’intervention et de la formation, l’analyse et les interprétations sont menées en référence à l’idée d’efficacité et d’amélioration des pratiques d’intervention, mais aussi aux formes d’engagement de chacun dans le métier (les pratiques spécialisées et la lutte contre l’échec scolaire – l’engagement syndical et la défense d’un corps de métier – l’éducation prioritaire et la lutte contre l’échec scolaire ...). S’il y a communauté de points de vue sur l’idée de produire des connaissances, les tensions s’instaurent dans la fonction des interprétations et dans l’anticipation sur les systèmes de validité qui sont mobilisés par chacune des communautés visées (recherche-intervention).

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