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3 Le libertarisme de Nozick

3.1 Un libertarisme non anarchique

l'angle de la justification des structures du pouvoir tout en soulevant la question de la légitimation de certains droits de l'État par rapport aux responsabilités ainsi qu'aux libertés individuelles.

Si certaines de ses critiques ont parfois été construites sur des interprétations un peu justes de Rawls, il n'en demeure pas moins que certains des points qu'il apporte et qu'il critique dans l'oeuvre de Rawls sont bien articulés et mettent en relief certaines problématiques, notamment sur les limites de la justice distributive ainsi que sur le principe de différence31 qui

n'avaient pas été soulevées jusque-là. Un autre élément contribuant grandement à l'importance ainsi qu'à l'originalité de la pensée de Nozick tient au fait que ce dernier s'est grandement inspiré d’une partie du protocole anarchiste afin de créer sa théorie qui, au fur et à mesure qu'elle se déploie dans Anarchy State and Utopia, perd toute sa saveur anarchiste pour n'en garder que quelques idées de bases sur lesquelles il construira une structure qui se développera tout à fait différemment.

3.1 Un libertarisme non anarchique

Une confusion possible pour quiconque s'intéresserait à la philosophie politique et désirerait étudier plus en profondeur Nozick vient du terme « libertarien » duquel Nozick se réclame. Comme nous le verrons, Nozick emprunte ce terme à une école de pensée ayant une longue tradition anarchiste. Bien que certains éléments soient communs aux deux écoles de pensée, leur système respectif n'en demeure pas moins très différent. S'il en emprunte le terme à cause de l'importance que la liberté individuelle occupe dans son oeuvre, Nozick distancie considérablement son libertarisme moderne de son ancêtre flanqué du drapeau noir

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d'inspiration anarchique. Le libertarisme moderne est donc un terme qui peut être tributaire de confusions. Si, tout comme pour son prédécesseur, le libertarisme de Nozick est très sensible à la question de la liberté individuelle, ce dernier se profile davantage à l'aube d'une affinité avec la droite économique. Au lieu de contester le mouvement capitaliste à l'image de son ancêtre, Nozick croit qu'il faut plutôt libérer le capitalisme d'une trop grande régulation issue des entraves modernes et qu'il faut l'affranchir autant que possible des jougs du politique. Collin Ward soulignera d'ailleurs cet aspect du terme libertarien en nous expliquant pourquoi il nous faut différencier le libertarisme classique du libertarisme moderne. Dans ses propres mots, il nous dira que : « For a century, anarchists have used the word 'libertarian' as a synonym for 'anarchist', both as a noun and an adjective. The celebrated anarchist journal Le libertaire was founded in 1895. However, much more recently the word has been appropriated by various American free-market philosopers – David Frideman, Robert Nozick, Murray Rothbard and Robert Paul Wolff – so is necessary to examine the modern individualist 'libertarian' response from the standpoint of the anarchist tradition32. »

Dans cette perspective, les propos de Colin Ward nous apparaissent tout à fait pertinents : l'influence anarchiste sur l'oeuvre de Nozick est difficilement contestable puisque certains éléments-clés de sa théorie sont extrêmement liés aux composantes de bases de l'anarchisme. Parmi ces derniers se trouvent l'ingérence minimale de l'État ou de toute autre forme d'organisation sociale basée autour de la vie des individus ainsi que la plus grande liberté possible octroyée aux citoyens.

Si les deux versions militent en faveur d'une limitation du rôle ainsi que du contrôle

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effectué par l'État, la théorie de Nozick amorce sa distanciation des théories anarchiques classiques en partant du prédicat qu'il soit impossible de fonder un État moderne sans que ce dernier ne puisse posséder aucun gouvernement ou aucune régulation étatico-légale que ce soit. Par ailleurs, si les deux sont en faveur d'une maximisation des libertés individuelles et questionnent ardemment le pouvoir des autorités, cette maximisation des libertés ainsi que la limite du pouvoir de ces mêmes autorités s'expriment différemment chez Nozick; le « ni dieu ni maître ni gouvernement » anarchique devient une nécessité d'opérer selon un schéma d'État minimaliste. Selon lui, tout regroupement d'individus qui désireraient s'unir et posséder une cohésion sociale selon des prémisses anarchiques à l'aide d'un guidage sans lois finirait tôt ou tard par déboucher sur un État doté de règles minimales qui sont, selon Nozick, nécessaires afin d'opérer et de faire fonctionner normalement un milieu de vie regroupant plusieurs individus : “Given the enormous importance of the choice between the state and anarchy, caution might suggest one of the “minimax” criterion, and focus upon a pessimistic estimate of the nonstate situation: the state would be compared with the most pessimistically described Hobbesian state of nature. But in using the minimax criterion, this Hobbesian situation should be compared with the most pessimistically described possible states, including future ones33. » Un système de taxe est en effet nécessaire afin de procurer les fonds adéquats à la construction ainsi qu'au maintien des infrastructures minimales, que ce soit les hôpitaux, les canalisations ou encore les ponts. Un État sans lois ni structures est donc, aux yeux de Nozick, quelque chose d'enviable à proprement parler puisqu'il ne saurait répondre aux difficultés engendrées par la question de la collecte de fonds nécessaires afin d'assurer les infrastructures, mais par-dessus