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La question des soins de santé et des médicaments

9 Le problème associé aux monopoles

9.1 La question des soins de santé et des médicaments

la vie ou la dignité en dépendent.

9.1 La question des soins de santé et des médicaments

Dans les domaines sensibles comme celui de la santé, un monopole associé aux brevets veut dire que seuls les pays plus développés ou devrait-on dire, certains individus des pays les plus développés auront les moyens de se payer les médicaments nécessaires ou les traitements adéquats afin de se faire soigner. Naturellement, la demande souvent excessive des prix y joue pour beaucoup140, surtout lorsqu'il serait possible de cloner les médicaments en question pour

un prix nettement inférieur. N'oublions pas qu'à la base, un médicament n'est qu'une ou plusieurs molécules chimiques ou synthétisées que l'on commercialise sous un nom quelconque. L'Aspirine par exemple n'est que le nom commercial pour de l'acide acétylsalicylique, substance que nous retrouvons maintenant dans plusieurs centaines de médicaments de par le monde, mais qui à la base était l'exclusivité des laboratoires Bayer, premiers à avoir breveté la chose. C'est précisément à ce niveau que se situe un des plus gros problèmes concernant les brevets sur les médicaments : Ayant investi des sommes parfois colossales dans le développement de leurs produits, il est normal que les compagnies ne puissent pas se permettre de se faire « voler » le fruit de leurs recherches tout de suite après leur entrée sur le marché par des compagnies ou des organismes concurrents qui n'auraient pas eu à prendre les risques d'investissements liés au développement de leur produit pour le commercialiser et le rentabiliser. D'un autre côté, les compagnies pharmaceutiques abusent de

140 Le problème est particulièrement alarmant lorsque l'on considère que le prix des médicaments grimpe plus rapidement que le taux d'inflation. À cet effet, voir Sarah Lueck, "Drug Prices Far Outpace Inflation," The Wall Street Journal, 10 juillet 2003, p. D2.

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ce monopole afin de vendre leurs produits à des prix dépassant de loin le seuil de la décence. Les différentes compagnies se sont d'ailleurs souvent fait adresser certains reproches à l'égard des prix qu'elles réclament et tentent de se justifier du mieux qu'elles le peuvent en utilisant l'argument des investissements colossaux qu'ils doivent effectués afin de pouvoir continuer le développement de leurs différents produits. La question des investissements réels liés au développement des médicaments est d'ailleurs extrêmement controversée : Il semblerait en effet que les compagnies pharmaceutiques gonflent le coût réel de leurs recherches de manière régulière afin de justifier un peu plus le prix souvent exorbitant et abusif des médicaments qui se retrouvent sur leur bannière dont l'intérêt est souvent protégé par un brevet. Nous avons d'ailleurs pu jeter un coup d'oeil sur une copie des recherches effectuées par Marcia Angell, ouvrage par ailleurs cité chez Pogge, intitulé « The truth about drug companies: How they deceive us and what to do about it » dans lequel elle démontre de manière fort convaincante le

modus operandi des grandes compagnies pharmaceutiques : une grande partie de leurs coûts de recherches sont en fait défrayés par le gouvernement sous forme de subventions ou encore développés par les Universités qui mettront ensuite gratuitement ou à très bas prix le fruit de leurs trouvailles à la disponibilité des compagnies141. Une étude plus récente effectuée

Marc-André Gagnon et Joel Lexchin, de l'université York, de Toronto sur la question de l'exploitation et des dépenses de ces grandes industries pharmaceutiques142 ont d'ailleurs fait des découvertes

fort surprenantes à ce sujet : En collectant des informations sur les dépenses « admises » des

141 Voir Marcia Angell, The Truth About the Drug Companies: How They Deceive Us and What to Do About It,

Random House Trade, 2005, 319 pages.

142 Voir Marc-André Gagnon et Joel Lexchin : The Cost of Pushing Pills: A New Estimate of Pharmaceutical Promotion Expenditures in the United States, Public Library of Science Medicine, 3 janvier 2008

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grandes compagnies pour l'année fiscale de 2004, ces derniers ont notamment découvert que les tsars de l'industrie des capsules et des cachets avaient dépensé près du double en publicité de toute sorte par rapport à l'investissement effectué à la recherche pharmaceutique : « Le type de dépenses incluses dans le montant de 57,5 milliards $, compilés par les firmes IMS et CAM, comprend les échantillons gratuits, la publicité s'adressant directement aux consommateurs, les réunions entre représentants d'entreprises et médecins pour promouvoir les produits, les promotions par courriel et par la poste. »143 Donc 57.5 milliards en publicité contre 31.5 milliards investis dans la recherche et le développement. Comme ces auteurs le diront eux-mêmes, ces chiffres ne constituent qu'une sous-estimation et la disparité réelle entre ces deux volets est assurément plus grande : certaines données nécessaires pour compléter l'analyse, notamment les sommes dépensées par les campagnes de promotion « off label » ainsi que certains écrits dits « ghost writing144 » sont impossibles à chiffrer. Par conséquent, il n'est pas possible d'analyser et de comptabiliser leur valeur réelle dans l'équation finale. Selon nos deux auteurs, si l'on pouvait mettre la main sur toutes les données reliées à ces deux nébuleuses, le montant dépensé en publicité pourrait dépasser du double celui investi en recherches et développements145.

Dans cette optique et dans le fonctionnement actuel du système, même si les tarifs demandés sont souvent exagérés et abusifs, il est compréhensible et même normal que certaines

143 Voir le journal le devoir : les compagnies pharmaceutiques dépensent deux fois plus en marketing qu'en recherche in : Le devoir, version en ligne, 3 janvier 2008 : http://www.ledevoir.com/societe/sante/170552/les-compagnies-pharmaceutiques-depensent-deux-fois-plus-en-marketing-qu-en-recherche

144 Par Ghost Writing, nous nous en tenons strictement à sa version académique : tout ce qui a été écrit par des tiers partis, mais dans les intérêts d'un acteur X bien défini. Off label, quant à elle, est une expression couramment utilisée dans le jargon médical pour désigner tout médicament qui est prescrit par un pharmacien afin de soigner/traiter autre chose que ce pourquoi le médicament a été conçu en premier lieu.

145 Les compagnies pharmaceutiques dépensent deux fois plus en marketing qu'en recherche in : Le devoir, version en ligne, 3 janvier 2008, op. Cit.

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mesures permettent aux différentes sociétés une couverture de protection en échange des sommes investis dans la recherche, ce qui est un peu le rôle des brevets. Il y a donc une énorme tension entre la nécessité de protéger ses investissements versus l'abus lié aux monopoles qui forcent les gens à acheter à prix d'or les médicaments dont ils ont besoin et qui, pour cette raison, excluent beaucoup d'humains qui auraient également besoin de ces médicaments ou les traitements en question, mais ne peuvent se les payer. Si l'on veut considérer le sort des personnes vivant dans des conditions précaires au niveau de la santé, il est impératif de tenter de trouver une façon de conjuguer cette nécessité de trouver une façon plus abordable de soigner les individus tout en protégeant les investissements liés à l'innovation biomédicale. Ce problème n'est pas simple à résoudre et nécessitera une bonne dose d'ingéniosité ainsi qu'une certaine révolution des structures existantes afin d'y parvenir.

Une des idées qui a été fréquemment discutée à ce sujet serait de créer une grille de prix suivant les différentes régions du globe. Ainsi, il serait possible d'émettre un même médicament dont le format ainsi que les prix qui seraient ajustés en fonction des revenus moyens de la population en place. Le prix d'un médicament X serait nettement plus élevé en Amérique du Nord, par exemple, qu'en Afrique. Il serait possible que la même compagnie fournisse les différents continents et que la compagnie mère ayant créé le produit la première délègue la tâche de la fabrication des génériques à moindres coûts à d'autres sociétés moyennant un certain coût pour la licence d'exploitation. Afin de rendre la chose plus sécuritaire et de s'assurer que les médicaments destinés à un continent ne se retrouvent pas sur un autre (particulièrement pour éviter l'afflux de génériques à moindre coût sur les autres continents ciblés par un tel marché), certaines propositions ont déjà été discutées tel que d'assurer

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différents formats et différentes couleurs pour le médicament en question afin qu'il soit aisé de localiser et de situer quel médicament est destiné à quel marché et de cerner quels sont ceux illégalement entrés sur un territoire en question.

Malheureusement, cette proposition, même si elle constituait un pas intéressant en vue d’améliorer la situation, n'est pas adéquate et ne saurait régler le problème. Même en changeant la couleur ou la forme des médicaments afin que ces derniers soient identifiés à certaines régions, la différence de prix ouvrirait inexorablement la porte à une féroce contrebande et il n'y a que très peu de doutes que les nombreux consommateurs potentiels ne se soucieraient pas exactement de la provenance de leur médicament pourvu que celui-ci soit sécuritaire et soit meilleur marché. La modernité a considérablement changé les rapports entre les êtres humains et les rapprochements de toutes sortes entre les individus se sont accélérés à un rythme surprenant, tout comme les moyens de rapprochement et les possibilités de commerce. À peine un demi-siècle plus tôt, recevoir quelque chose provenant d'un autre continent demandait énormément de patience et de recherches, en plus du temps de livraison nettement supérieur aux délais d'aujourd'hui : en l'espace de cinquante ans, nous sommes passés d'une attente de quelques semaines à quelques jours pour recevoir le produit convoité. Si autrefois il nous était également difficile d'accéder aux sources susceptibles de nous procurer certains produits rares, les différentes annonces placées dans certains journaux ou encore plus facilement grâce à l'utilisation d'internet à domicile, ces difficultés sont aujourd'hui bien souvent triviales. Dans cette perspective, trouver le produit concurrent sur un autre continent et se le procurer à moindres coûts, anéantissant du même coup le « gentleman agreement”, n'est pas la chose la plus difficile qui soit. Une distribution asymétrique des prix en fonction des différentes régions

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devient donc dès lors impossible à gérer et nous ne croyons pas qu'il serait « osé » d'imaginer que certains réseaux de redistribution illégaux des génériques ne finiraient par voir le jour afin d'alimenter les consommateurs des autres continents146. Même en sachant qu'une telle opération

est illégale, il est fort improbable que les consommateurs se laissent guider par la peur de « l'illégalité » de la chose et ne se laisseraient pas séduire par des prix beaucoup plus bas, et ce, même pour les gens plus fortunés. Pour les mêmes raisons, les enjeux économiques à la clé sont si énormes qu'il serait surprenant que les contrebandiers soient dissuadés de prendre quelques risques pour des profits faramineux, d'autant plus qu'avec l'aide d'internet, il est extrêmement facile d'établir son quartier général dans un pays dont la législation serait un peu flexible sur la question de l'importation ainsi que de l'exportation de médicaments et d'y ouvrir en toute sécurité un site web d'où les clients peuvent venir passer leurs commandes. Il existe déjà plusieurs centaines de pharmacies en ligne et un remaniement des lois concernant l'indexation des prix suivant une cartographie particulière ne ferait que multiplier celles-ci et augmenter le type de produits dans leur inventaire. Que faire, alors, lorsque le système des brevets monopolise légalement, pendant un certain nombre d’années, une ressource X et que le marché noir ou le commerce clandestin nous empêchent d'établir un système où les coûts d'un produit seraient pris en considération et ajustés selon la condition socio-économique de l'endroit? Une grande partie de la solution vient d'une solution que nous examinerons un peu plus tard, mais tout d'abord, nous devons examiner une autre importante source d'injustice associée aux brevets que celle touchant aux médicaments ainsi qu'aux traitements des maladies.

146 Nous faisons notamment allusion à l'Amérique du Nord, l'Europe de l'Ouest ainsi qu'à l'Australie où les salaires moyens sont significativement plus élevés qu'en Afrique ou encore en Amérique du Sud où le besoin de génériques est criant et où la population moyenne ne peut évidemment pas se permettre les versions originales aux prix demandés.

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