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Un lent processus d’apprentissage de l’autonomie

Lors de l’enquête HSM, Louis est codé comme étant un « enfant avec handicap mental ». Or, au moment des entretiens pour la post-enquête, il passe son bac ES après avoir fait une terminale de très bon niveau, vient d’être admis en hypokhâgne dans plusieurs prestigieux lycées afin de préparer les concours des grandes écoles. Ce décalage entre le pronostic

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médical et le succès scolaire actuel de Louis ne peut se comprendre qu’en tenant compte de l’histoire de la prise en charge de Louis : sa situation actuelle est le résultat d’un investissement, intensif et acharné, de l’entourage de Louis – et plus particulièrement de sa mère, Cécile – pour sa réussite scolaire et l’acquisition de son autonomie.

Une mobilisation contre le diagnostic médical

Cécile, la mère de Louis explique cependant avant tout le décalage entre le diagnostic initial et la situation actuelle de Louis par « l’incompétence et la méconnaissance » des médecins concernant cette maladie qui n’est pourtant corrélée à aucune déficience intellectuelle (elle leur reproche également leur manque de délicatesse, notamment lorsqu’ils lui ont annoncé la nature du handicap de Louis). Les médecins lui auraient ainsi fait comprendre, à de multiples reprises, que Louis serait probablement « attardé », « débile », qu’il n’irait « pas au-delà de la sixième » et qu’il devrait probablement « finir sa scolarité en institutions spécialisées », discours qu’ils ont tenu pendant de nombreuses années malgré les conquêtes progressives de Louis. Cécile se serait alors promis de tout faire pour que Louis ait son bac et gagne son autonomie. En ce sens, la mobilisation de Cécile pour la réussite de son fils s’est aussi largement construite contre ce diagnostic médical initial.

L’investissement scolaire comme moyen d’accès à l’autonomie

Cécile a dès lors énormément investi dans la scolarité de Louis puisque, selon ses mots, « [s]on seul objectif c’était qu’il ait son bac ». En cela, il apparaît très clairement que l’accès à l’autonomie de Louis ne pouvait se réaliser, selon sa mère, sans un accès à l’école et au diplôme. Il n’est donc pas possible de comprendre l’autonomie que peut aujourd’hui revendiquer Louis sans rendre compte de l’investissement de son entourage pour sa réussite scolaire.

De fait, la question scolaire a été au centre des entretiens dans la mesure où elle cristallise les difficultés liées au handicap de Louis et autour d’elle se manifeste peut-être le plus fortement la prise en charge dont il a bénéficié et bénéficie encore, à certains égards.

Divorcée, vivant avec ses enfants en appartement dans une grande ville de province, Cécile était directrice de la communication dans un important journal et gagnait très bien sa vie. Pour assurer la réussite scolaire de Louis, elle a arrêté de travailler à son entrée en CP afin de le soulager au maximum et lui rendre ses journées plus faciles. Concrètement, cela signifie qu’elle lui préparait tous ses repas le midi pour qu’il ait « une coupure et puisse se reposer » et venait le chercher dès la fin de la classe pour ne pas qu’il s’épuise dans des journées trop longues et trop stressantes. Elle a également toujours veillé à ce qu’il soit scolarisé en milieu ordinaire quitte à payer une école privée pour qu’il bénéficie d’un encadrement plus approprié (moins bruyant surtout puisque sa déficience visuelle le conduit à concentrer son attention sur l’ouïe que des élèves bruyants ne manquaient pas de perturber). Dans le choix de l’école, elle

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interrogeait systématiquement, au préalable, le corps enseignant pour évaluer les réticences de celui-ci à accueillir un enfant handicapé et à la moindre hésitation, elle changeait.

Cécile insiste particulièrement sur le rôle de ce qu’elle appelle « l’environnement » familial et scolaire dans le développement de son fils. Elle précise que cet investissement dans la scolarité de Louis n’a été possible que parce qu’elle en avait les moyens financiers (celui de vivre dans une grande ville – indispensable pour la mobilité de son fils qui ne pourra jamais conduire par exemple – celui de pouvoir payer une école privée et d’être en capacité financière, grâce au salaire de son mari, d’arrêter de travailler). La sœur de Louis, en matière scolaire, apparaît également une figure importante, présentée comme telle en tout cas aussi bien par Louis que par sa mère. Elle a notamment joué un rôle décisif dans le parcours et les choix scolaires de son frère. Elle a auparavant suivi la même terminale que lui et a intégré la même école que celle qu’il vise. Cette année, elle est à l’étranger dans le cadre de ses études, c’est pourquoi il n’a pas été possible de l’interroger. Louis semble la considérer comme un modèle et sa mère comme une « figure sage » de la famille.

La mobilisation du réseau associatif

Pour que la réussite scolaire de son fils soit possible, Cécile a également mobilisé de nombreux aidants professionnels.

Elle a ainsi bénéficié de l’aide de diverses associations de parents d’enfants déficients visuels (qu’elle a sollicitées très tôt) et qui ont permis à Louis d’apprendre avec des astuces simples à compenser son handicap. Louis cite également les nombreux soutiens de bénévoles et de professionnels qui ont jalonné, de la maternelle à la terminale, son parcours scolaire qu’il qualifie aujourd’hui lui-même avec fierté, de « brillant ». La prise en charge de Louis a aussi été associative, indiscutablement.

Le moment des entretiens est donc, notamment pour Cécile, un moment « bilan » important puisqu’ils interviennent lorsque se finalise cet investissement de près de quinze ans avec un succès quasi certain. L’aboutissement de ce processus se matérialise également par l’accès à la parole de Louis pour lui-même.