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S’en sortir sans aide : Mme Monnet

Mme Monnet s’intéresse à notre enquête mais en même temps s’en méfie. Lorsqu’elle reçoit notre lettre, elle appelle pendant la permanence pour avoir des « précisions sur deux points ». D’abord la question de la « recherche sur l’entourage », annoncée par la notice explicative. Elle est handicapée, en fauteuil roulant, mais a tout mis en œuvre pour être parfaitement « autonome ». Elle fait en sorte de ne pas solliciter les personnes de son entourage ; si l’enquêteur va les voir à son propos, cela « remet tout en cause ». Elle a peur notamment que l’enquête soit « un porte-à-porte dans son immeuble ». Elle réagit à la phrase où nous annonçons chercher à voir d’autres personnes « pour reconstituer une vue d’ensemble que la

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personne elle-même n’est pas toujours en mesure de donner ». Elle est la mieux placée, et la seule concernée, pour décrire sa situation.

Ensuite la question de l’enregistrement sur bande sonore. Dans le cadre de son travail à l’Education nationale, elle a déjà répondu à des journalistes qui ont enregistré et ensuite cité ses propos dans un article, hors contexte et selon elle déformés. L’enquêtrice43 la rassure en lui disant d’abord qu’elle peut refuser l’enregistrement, ensuite que les conditions d’utilisation de ses propos seront différentes (articles scientifiques, fidélité dans la retranscription des propos, anonymat, confidentialité). Mme Monnet trouve la recherche utile et intéressante, elle considère qu’il est important qu’elle transmette son expérience puisqu’elle est handicapée depuis l’âge de quatre ans et a connu beaucoup de changements (notamment dans le traitement administratif du handicap) au cours de sa vie.

Lorsque nous la rencontrons en 2011, Mme Monnet a 65 ans et elle est retraitée depuis deux ans. Elle a été atteinte de la poliomyélite à l’âge de 4 ans : « ma vie a basculé », dit-elle. Elle est restée paralysée des jambes et a une faiblesse dans les bras. Elle se déplace en permanence en fauteuil roulant. Elle a fait ses études dans un lycée spécialisé pour les handicapés moteurs, au sein d’une structure hospitalière. Elle a ensuite poursuivi des études universitaires et obtenu le CAPES de Lettres. Après une brève expérience dans un lycée ordinaire, elle a passé sa carrière dans le lycée où elle avait été élève.

Fille unique, elle a vécu avec son père et sa mère jusqu’à leur mort. Elle a été la cause commune de la maisonnée de ses parents depuis sa maladie : leur vie entière, toutes leurs décisions matérielles, notamment en termes de logement, furent orientées par son handicap. L’achat de l’appartement où elle habite aujourd’hui – en rez-de-chaussée, proche de son lycée – a été une décision commune, difficile financièrement (sa mère ne travaillait pas, son père était petit fonctionnaire et complétait les revenus du ménage par des activités rémunérées, sans doute au noir). Lorsque ses parents ont vieilli, elle les a pris en charge entièrement. Elle a eu une longue liaison sans fonder pour autant une famille. Elle a souhaité avoir un enfant et dit combien ce lui fut difficile d’y renoncer.

« Plus de droits, moins de pouvoir »

Lorsque l’enquêtrice se rend à son domicile, elle accepte d’être enregistrée et analyse sa situation au cours d’un long entretien non dirigé où elle revient sur l’ensemble de son existence, en insistant sur les conditions matérielles de son autonomie, sur les difficultés à être une « enseignante en fauteuil » et sur ses démêlés avec les administrations en charge des personnes handicapées. Elle conclut par une phrase forte : depuis la loi de 2005, dit-elle, « nous avons plus de droits mais moins de pouvoir ». Elle condense dans cette formule les difficultés croissantes qu’elle rencontre dans son rapport aux institutions spécialisées mais aussi la disparition des arrangements pratiques (le terme n’est pas le sien mais bien le nôtre, voir Eideliman, Gojard, 2008) qui lui permettaient, ainsi qu’à ses nombreux amis en fauteuil

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roulant, de bénéficier de la compréhension attentive de certains salariés d’exécution. C’est bien la question des procédures qui est en jeu. Elle donne une anecdote significative : voulant se rendre dans un commissariat avec une amie valide, la présence de deux marches lui interdit d’entrer. Son amie s’adresse alors à l’agent de garde en lui demandant de bien vouloir descendre ces deux marches pour lui parler. L’agent refuse : il n’a pas le droit de quitter son poste.

Elle veut également témoigner de ses difficultés lorsqu’elle a dû changer de voiture. L’aménagement de ses voitures pour la conduite handicapée avait été remboursé par la MGEN lorsqu’elle était en activité. Peu de temps avant sa retraite, réalisant qu’elle n’avait plus la force nécessaire dans les bras pour le transfert du fauteuil dans la voiture, elle a commandé une voiture équipée d’un robot, ce qui en double le prix. La MGEN l’a alors adressée à la MDPH. Après de nombreuses tentatives pour obtenir le certificat médical nécessaire, elle s’est vue répondre qu’elle n’avait pas droit à ce remboursement, « bien d’autres personnes étant dans des situations plus difficiles qu’elle ». Elle a conservé tous les courriers qui ont abouti à ce refus, sur une période de deux ans.