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§2 Les origines de l’istihsan dans la tradition juridique musulmane

A) Un héritage controversé des juristes hanafites

Le concept d’istihsan a été dégagé d’abord par Abū Hanīfa (1) puis a été développée par les usulites hanafites (2).

144 'UMAR Ier ou OMAR Ier ABŪ HAFSA IBN AL-KHATTĀB (581 env.-644) calife (634-644) : deuxième successeur du Prophète à la tête de la communauté islamique, ‘Umar Ier joue un rôle décisif dans l'expansion de l'islam et dans l'organisation de l'État musulman. Voir BOHAS G., « 'UMAR Ier ou OMAR Ier ABŪ HAFSA IBN AL-KHATTĀB (581 env.-644) calife (634-644) », Encyclopædia Universalis [en ligne],.http://www.universalis.fr/encyclopedie/umar-ier-omar-ier-abu-hafsa-ibn-al-khattab/ (consulté le 11 juillet 2016). KAMALI M. H., Equity and Fairness in Islam, Cambridge, The Islamic Texts Society, 2005, p.14. En effet, il a été suggéré que les règles établies par Umar b. Al-Khattab comme celle de ne pas appliquer la hadd (qui est une peine d’amputation de la main pour vol) durant une famine généralisée ou l’interdiction de ne pas vendre les mère-esclaves (ummahat al-awlad) sont des cas où l’istihsan a été appliqué.

145 AL-KHUDARI M., Ta’rikh al-Tashri al-Islami, 7ème, Beyrouth, Dar al-Fikr, 1981, p.199

146 C. CHEHATA, « ISLAM: Les sciences religieuses traditionnelle- Le droit », Encyclopaedia Universalis, 1970 p.

513 et s.

1. L’imam Abū Hanīfa (700 env.-767)

Abū Hanīfa est le fondateur de l’école juridique hanafite.148 Ses professeurs étaient parmi les Compagnons du Prophète (Ṣaḥābah) et étaient partisans de l’école de l’opinion (r’ay) opposée à l’école médinite.149 En effet, l’école hanafite, fondée au VIIIe siècle, avait la réputation d’être peu rigoriste et l’usage de la « réflexion personnelle » (ra’y) était assez largement utilisée dans l’élaboration du fiqh.150

Abū Hanīfa se distingua par sa vision du fiqh qu’il percevait comme un outil dynamique accessible à tout le monde à n’importe quelle période pouvant donner des solutions à la civilisation musulmane, et non pas comme un code statique.151 Il évoquait beaucoup la notion d’istihsan, qu’il couplait principalement avec la notion d’analogie (qiyas). Par exemple, si l’analogie conduisait à un raisonnement x et qui se révélait insatisfaisant, il recommandait l’istihsan (astahsenou) ou affirmait y par préférence à l’istihsan et contrairement au qiyas.152 Abū Hanīfa a tellement excellé dans l’utilisation de l’istihsan qu’il a été même surnommé l’Imam de l’istihsan.

Par la reconnaissance de l’istihsan comme une méthode légitime, l’imam Abū Hanīfa a donné un processus créatif pour développer de manière continue le fiqh et le droit positif musulman en général.

2. Les usulistes hanafites153

Plusieurs usulistes de l’école hanafite ont apporté leur contribution au concept de l’istihsan sans la définir pour autant. Il ne s’agit pas de toutes les référencer mais d’en sélectionner quelques unes afin d’illustrer notre propos. La première définition remonte à AL-KHARKHI (juriste mort en 340 H.), selon qui, l’istihsan consiste à

148 Né en 699 à Kufa et mort à Baghdad en 767 (Irak), il portait le surnom de l’Imam A’zam (le plus grand Imam). Voir ANSARI Z. I., « ABŪ HANĪFA (700 env.-767) », Encyclopædia Universalis [en ligne], http://www.universalis.fr/encyclopedie/abu-hanifa/ (consulté le 6 août 2016. URL) 149 AKGÜNDÜZ A., Introduction to Islamic Law: Islamic Law in Theory and Practice, IUR Press, Rotterdam, 2010, p.151 150 SOURDEL J. et SOURDEL D., Dictionnaire historique de l'Islam, Paris, PUF, 2007, p.334. 151 AKGÜNDÜZ A., Introduction to Islamic Law: Islamic Law in Theory and Practice, IUR Press, Rotterdam, 2010, p.152 152 IBN AL-HAJIB, Jamal al-Din Abu ‘Amr, Mukhtasar al-Muntaha’, al-Maktabah al-Islamiyyah, Constantinople, 1310 AH, « Istihsan » p.1192. 153 Le terme « usuliste » désigne les personnes pratiquant la matière d’usul al-fiqh voir annexe 4.

renoncer, dans un cas, à donner la solution admise dans ces cas similaires- et ce en considération d’une raison plus forte (li-wajh aqwa).154

Il s’agit d’une solution nouvelle qui ne tire pas sa source de l’analogie (qiyas).155 L’analogie est écartée, de propos délibéré, pour céder la place à une autre source. Néanmoins, Al-Kharkhi, comme le souligne Chafik Chéhata, ne nous renseigne pas sur la raison majeure pour l’abandon de l’application d’une solution adoptée puisqu’il se contente d’exiger une justification ayant une force plus grande que celle de l’analogie.156

Un autre théoricien hanafite, Al-Jassas (mort en 370 H.) est venu définir l’istihsan en tant qu’abandon d’une analogie pour une raison qui doit avoir la priorité. Il distingue ainsi deux modes d’istihsan.157 Dans la première figure, l’istihsan permet de préférer

une analogie à une autre analogie. L’opération se déroule au sein même de l’analogie.158 En d’autres termes, le raisonnement analogique peut jouer dans deux

sens différents : ainsi, pour résoudre la difficulté, le jurisconsulte fera prévaloir l’une des analogies sur l’autre à l’aide de l’istihsan. Al-Jassas parle d’indice (dalala) pour indiquer le choix de l l’orientation vers l’istihsan.159 La seconde figure de l’istihsan d’après Al-Jassas, se réalise lorsque la solution admise dans les cas similaires ne peut être appliquée, en l’espèce, malgré la similitude certaine, et ce en raison de l’existence d’un texte, d’une tradition, d’un consensus omnium (ijma’), d’un usage ou d’une autre analogie.160

Dans son grand traité de droit hanafite, Al-Sarakhsi déclare au Livre de l’Istihsan, qu’en vérité, l’istihsan est tout autant une analogie que le qiyas lui-même, la seule

154 ABU-ZAHRAH, M., Usul al-Fiqh, Dar el Fikr el-Arabi, Caire §253; A AL-RABĪʿAH, A.-A., Adillat al-tashrīʿ al- mukhtalif fī al-iḥtijāj bihā : al-qiyās, al-istiḥsān, al-istiṣlāḥ, al-istiṣḥāb, Muʼassasat al-Risālah (Beyrouth), 1979 p.159; AL-AMIDI, ʿAlī ibn Abī ʿAlī, Al-Iḥkām fī uṣūl al-aḥkām, al-Riyāḍ, Dār al-Ṣumayʿī, 2003, 4/158. 155 CHEHATA Chafik, « L’ « Equité » en tant que source du droit hanafite », Studia Islamica, No.25 (1996) p.124. 156 CHEHATA Chafik, « L’ « Equité » en tant que source du droit h)anafite », Studia Islamica, No.25 (1996) p.124. 157 AL-JASSAS, Uṣūl al-fiqh al-musammá bi al-Fuṣūl fī al-uṣūl, p.296, cite dans KAMALI M. H., Equity and Fairness in Islam, Cambridge, The Islamic Texts Society, 2005, p.59.

158 CHEHATA Chafik, « L’ « Equité » en tant que source du droit hanafite », Studia Islamica, No.25 (1996) p.125. 159 Il admet lui-même que c’est là la forme la plus obscure de l’istihsan.

différence étant que la première est une analogie cachée et plus forte.161 Al-Sarakhsi explique qu’abandonner l’analogie pour l’istihsan correspond à la recherché de ce qui est plus convenable (awqaf lil-nas).162 Il ajoute que l’istihsan invite à rechercher la solution la plus facile (al-suhula) et à éviter la rigueur, en lui préférant la tolérance (samaha). La solution d’istihsan serait la solution qui considère la bienveillance (rifq), de considérer et d’examiner le cas avec bienveillance. Le raisonnement analogique peut être délaissé, comme l’explique Sarakhsi, parce que l’analogie n’est pas dépourvue d’erreurs et de malentendus.163

Les autres usulistes hanafites, comme Al-Bazdawi ne vont pas définir plus explicitement l’istihsan. Ce qui est clair, en revanche, est le caractère distinctif de

l’istihsan. Selon Bazdawi, l’istihsan est une analogie plus forte que le qiyas. Adopter

une solution par voie d’istihsan, c’est renoncer à la solution induite par voie d’analogie. Ainsi, il y a une distinction entre deux sortes d’analogie: l’analogie évidente (qiyas jali) et l’analogie cachée (qiyas khafi).164 D’autres juristes hanafites définissent l’istihsan comme un indice (dalil) qui a lieu dans le cerveau du mujtahid mais qu’il ne peut pas le décrire avec ses mots.

Bien que les écoles juridiques classiques et récentes partagent les principes essentiels de la théorie juridique classique à savoir, le Coran, la Sunnah, le consensus et l’analogie, chaque école apporte sa propre vision et contribution à la notion d’istihsan. 161 KAMALI M. H., Equity and Fairness in Islam, Cambridge, The Islamic Texts Society, 2005, p. 5, 12, 15, 24-25, 59, 65, 68, 73-74 ; ABU-ZAHRAH, M., Usul al-Fiqh, Dar el Fikr el-Arabi, Caire §255; AL-SARAKHSĪ, Kitāb al-Mabsūṭ, Maṭbaʿat al-Saʿadah, Egypte, 1906-1913, t.X, p.145: 162 AL-SARAKHSĪ, Kitāb al-Mabsūṭ, Maṭbaʿat al-Saʿadah, Egypte, 1906-1913, t.X, p.145: 163 AL-SARAKHSI, Usul al-Sarakhsi, Abu’l-Wafa al-Afghani (éd.), Caire, Matba’ah Dar al-Kitab al-‘Arabi, 1372 AH, II, 203. 164 Pour déguiser l’opération de l’esprit qui consiste à faire table rase, de toute induction, on l’a affublée de ce qualificatif : « khafi ». Au fait, on passe d’une solution à une autre, dans deux cas semblables, sans raison à apparente : à savoir, sans exciper d’une similitude quelconque.

B) Les écoles hanafites, malékites et hanbalites: des contributions